Publié le 27 décembre 2022
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott
C’est en 2008 que la communauté allemande de la ville de Québec s’est mobilisée pour créer un marché de Noël, perpétuant ainsi une tradition ancienne née en Europe. Ces marchés existaient déjà au Québec depuis quelques années à peine, et ce sont les municipalités de Longueuil et de Joliette qui ont joué le rôle de pionnières dans le domaine.
L’histoire de l’alimentation fourmille d’exemples de plats ou de traditions dont plusieurs peuples ou individus revendiquent la paternité, mais les marchés de Noël trouvent sans ambigüité leur origine en terre germanophone. On pense que c’est en 1434, à Dresde, qu’a eu lieu le premier marché tel que nous le connaissons de nos jours, bien que d’autres sources semblent plutôt d’avis que c’est à la fin du 13e siècle que les habitants de Vienne ont organisé une telle manifestation festive.
Les visiteurs ont ainsi eu la chance de goûter à des personnages faits de prunes séchées ou de pain d’épices, à des marrons rôtis, à divers fromages, à des douceurs à base de massepain (pâte d’amande), à des bretzels, à des crêpes, ainsi qu’aux « obligatoires » saucisses. Il faudra néanmoins attendre quelques siècles pour que le chocolat sous toutes ses formes et les pommes de terre ne fassent leur apparition dans les différentes échoppes.
Les boissons alcoolisées sont aussi mises à l’honneur, et le vin chaud (Glühwein) est souvent consommé dans une tasse faite en forme de botte, pour laquelle un dépôt est exigé ; certains choisissent de conserver la tasse en question, en souvenir de cette visite gourmande. D’autres alcools restent également populaires, dont la bière, le brandy, le cidre, le porto, etc.
Si la gastronomie allemande est à l’honneur, d’autres plats ont parfois été adoptés avec enthousiasme. On pense, entre autres, aux kürtöskalàcs, les « gâteaux cheminée » d’origine hongroise ; leur forme caractéristique de base est le résultat d’une pâte cuite sur des cylindres chauffés, avant d’être roulée dans le sucre et la cannelle (il existe moult variations de ce dessert hypercalorique).
Les marchés d’Allemagne, toujours présents au 21e siècle, occupent de 2 500 à 3 000 sites, et ce, durant les semaines précédant Noël. Outre la Suisse et l’Autriche, les pays voisins de l’espace culturel germanique ont aussi emboîté le pas. On pense à l’important marché de Strasbourg, en France, né en 1570, à ceux de Pologne, ainsi qu’à ceux des provinces situées au nord de l’Italie, là où le bilinguisme allemand-italien est monnaie courante.
En Scandinavie, et surtout en Laponie, la tradition a également été adoptée, puisque le pôle Nord, on le sait bien, est le quartier général du père Noël. Les États baltes ne sont pas en reste : le marché de Noël de Tallinn, en Estonie, jouit d’une réputation enviable.
Mentionnons qu’avant la Deuxième Guerre mondiale, une minorité allemande vivait en Roumaine, et c’est pourquoi la ville de Sibiu (alias Hermannstadt) a créé son marché, en 2007, en partenariat avec l’ambassade autrichienne.
On notera qu’ailleurs en Europe, la ville de Barcelone a emboîté le pas au 18e siècle, alors qu’il faudra attendre 1982 pour que se manifeste le premier marché au Royaume-Uni. De Belfast à Londres, les boissons alcoolisées sont omniprésentes et les mets traditionnels anglais se manifestent par l’incontournable mince pie, genre de tartelette contenant principalement des fruits confits et des épices qui côtoie des spécialités espagnoles, comme la paella et les churros. Si cet éclectisme illustre le fait que le Royaume-Uni n’a jamais joué un rôle avant-gardiste en gastronomie, l’artisanat, par contre, se veut parfois de fabrication locale, inclusive et équitable.
En effet, la presse britannique critique souvent le fait que ces événements sont essentiellement axés vers la consommation, et le manque d’accès à l’eau courante met en doute l’hygiène de certaines concessions alimentaires.
Aux États-Unis, le phénomène se manifeste avec plus d’enthousiasme encore partout où il y a eu une immigration allemande, dont notamment la ville de Chicago. Créé en 1996, le marché de Chicago s’inspire de celui de Nuremberg (le plus gros d’Europe), et est géré par une équipe exclusivement féminine, dont les origines ethniques sont diverses.
Malgré une définition plus ou moins élastique, le marché de Noël classique est un événement extérieur où se côtoient notamment des artisans et des entreprises agroalimentaires. Les enfants auront aussi une place de choix dans ces manifestations, ayant comme trame de fond le caractère historique des centres-villes. Il y aurait chez nous environ 50 marchés de Noël correspondant plus ou moins à cette définition, dont environ la moitié adhère au Regroupement des Marchés de Noël du Québec.
Cela dit, les plats du terroir sont favorisés par les organisateurs, et le contact direct avec les festivaliers encourage une relation de confiance. Les marchés permettent aussi d’établir des contacts avec des marchands locaux, ce qui donne l’occasion aux consommateurs de s’approvisionner à l’année en produits dont la traçabilité ne fait aucun doute.
De plus, la standardisation des produits n’est pas de mise ; si les kiosques offrent des tourtières, il va de soi que chacune d’elle est faite à partir d’une recette absolument originale, ce qui contribue à un plaisir gustatif toujours renouvelé. Il s’agit d’une bonne façon de découvrir de nouvelles saveurs, comme c’est le cas de la pratique visant à offrir des saucisses sur bâton faites à base de viande de sanglier, de bison ou d’autruche.
Une question reste en suspens : mais qui donc sont ces Allemands de souche qui se sont établis au Québec ? Durant la guerre d’indépendance des États-Unis, la Couronne britannique a embauché des mercenaires allemands, dont environ 1 400 se seraient fixés chez nous à la fin des hostilités. Certains d’entre eux ont épousé des Acadiennes, à la suite du Grand Dérangement de 1755, date à laquelle ces mercenaires ont décidé de s’établir dans ce qui deviendra plusieurs années plus tard le Bas-Canada. Par la suite, d’autres vagues d’immigration suivront.
Le marché de Noël n’est donc pas un événement strictement restreint aux peuples germaniques, mais il constitue un prétexte unique pour renouer avec les traditions, et un tel contact intergénérationnel nous permet de nous préparer à l’esprit des fêtes, que chacun célèbre à sa façon.