Les médicaments pour la gestion de la douleur : deuxième partie

Publié le 1 février 2025
Écrit par Nicolas Blanchette, ostéopathe, B. Sc. kin.

Les médicaments pour la gestion de la douleur : deuxième partie
AOR avril 2025

Avertissement : avant toute nouvelle prise ou modification d’un médicament, qu’il soit sur ordonnance ou en vente libre, il est nécessaire d’en discuter d’abord avec votre médecin ou votre pharmacien.

La pharmacothérapie, ou la prise de médicaments dans le but de produire un effet thérapeutique, est utilisée depuis très longtemps pour aider les gens à passer à travers toutes sortes d’épisodes de douleur. Dans la première partie de cette chronique, nous nous sommes surtout concentrés sur les molécules fréquemment utilisées contre la douleur aiguë : acétaminophène, anti-inflammatoires non stéroïdiens, relaxants musculaires et opioïdes. Ces médicaments sont généralement consommés pour une durée assez brève ou en combinaison avec d’autres substances et un suivi médical pour certains cas de douleur persistante. Explorons maintenant plus en détail certaines molécules couramment utilisées dans la gestion de cette catégorie : la douleur persistante.

D’entrée de jeu, il est nécessaire de rappeler que la douleur persistante (aussi appelée « douleur chronique », bien que ce terme ait une connotation pessimiste assez malheureuse) est définie comme persistant au-delà du temps de récupération normal des tissus. Dans la littérature, on la qualifie ainsi lorsqu’elle s’incruste depuis plus de trois à six mois. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à faire durer la douleur au-delà du temps normal de guérison des tissus, mais on sait qu’elle découle souvent d’un phénomène appelé « hypersensibilisation neuronale ». L’hypersensibilisation neuronale se développe souvent graduellement au fil du temps en raison de facteurs autant biologiques que psychologiques et sociaux. Les études nous apprennent toutefois que ce processus est réversible. Pour ce faire, des approches actives incluant l’éducation et des modifications des habitudes de vie sont au cœur de la désensibilisation de la douleur persistante.

Il est important de mentionner que se fier à la médication SEULE en situation de douleur persistante est, la plupart du temps, inefficace. Cependant, la prise de médicaments adaptés, lorsqu’indiquée, peut faire partie de la solution. Elle peut aider à ouvrir une fenêtre d’opportunité, permettre aux gens de prendre des mesures touchant les multiples facettes de la douleur persistante et ainsi mieux reprendre le contrôle de leur vie.

Les médicaments coanalgésiques sont parfois prescrits dans les cas de douleur persistante. Ce sont des médicaments qui ont d’abord été développés pour traiter d’autres pathologies, mais auxquels on a découvert des propriétés contre la douleur. En voici les principaux.

 

Les antidépresseurs

Certains patients qui vivent de la douleur persistante se font prescrire des antidépresseurs. Dans mon bureau, j’entends régulièrement : « On m’a prescrit des antidépresseurs, mais je ne les prends pas, car je ne me sens pas déprimé! J’ai simplement mal! ». Ce raisonnement découle d’un manque d’informations. Les antidépresseurs agissent sur la douleur en améliorant l’efficacité des mécanismes de modulation descendante, c’est-à-dire les processus physiologiques qui permettent de régler le « volume » de l’alarme de la douleur à la baisse. Lorsqu’on utilise les antidépresseurs contre la douleur, la dose est plus faible que pour soigner les troubles de l’humeur. Environ une personne sur trois en situation de douleur persistante noterait une diminution de l’intensité de sa douleur en prenant des antidépresseurs. Les antidépresseurs de nouvelle génération (duloxétine et venlafaxine) présentent moins d’effets secondaires que les plus anciens, appelés « antidépresseurs tricycliques » (amitriptyline, désipramine, doxépine et nortriptyline). L’effet analgésique des antidépresseurs est généralement rapporté après une période d’utilisation d’environ deux semaines, mais il est conseillé de tester une même molécule sur une période de 8 à 12 semaines avant de se prononcer sur son efficacité. Les effets secondaires les plus fréquents sont sécheresse de la bouche, constipation, somnolence et augmentation de l’appétit. Ces médicaments peuvent être contre-indiqués chez certaines personnes. Contrairement à une croyance populaire, ces médicaments n’entraînent pas de dépendance psychologique.

 

Les gabapentinoïdes

Aussi appelés anticonvulsivants, antiépileptiques ou bloqueurs de canaux calciques voltage-dépendants, ces molécules présentent plusieurs modes d’action contre la douleur persistante. Les plus fréquemment prescrits sont la gabapentine et la prégabaline. Les gabapentinoïdes peuvent stabiliser l’irritabilité des neurones et améliorer la modulation descendante. Ils sont souvent utilisés dans les cas de douleur persistante de nature neuropathique, c’est-à-dire lorsqu’un ou des nerfs blessés se mettent à émettre des signaux inadéquats entraînant des sensations de brûlures, de décharges électriques, d’aiguilles et engourdissements par exemple. Ils peuvent aussi être pris dans d’autres circonstances : syndrome des jambes sans repos, migraines, insomnie et fibromyalgie, par exemple. On estime qu’un anticonvulsivant pourrait réduire la douleur persistante chez une personne sur trois. L’effet analgésique est généralement ressenti dans une période d’environ deux semaines après le début de la prise. Ces médicaments présentent des effets secondaires de somnolence et d’étourdissement. Afin de minimiser ces effets, le dosage doit être augmenté graduellement jusqu’à atteindre la dose efficace.

 

Les cannabinoïdes

Le cannabis est consommé à des fins thérapeutiques depuis des centaines d’années. En 2018, avec la légalisation de la marijuana au Canada, l’intérêt pour le cannabis et ses effets contre la douleur a augmenté. Les phytocannabinoïdes, un groupe de substances chimiques présentes dans la plante, permettent d’activer des récepteurs cannabinoïdes qui se trouvent dans le corps humain. L’activation de ces récepteurs peut entraîner une diminution de la douleur en réduisant sa transmission et en améliorant la modulation descendante (régler le volume de l’alarme à la baisse). Les principaux phytocannabinoïdes présents dans le cannabis sont le tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD). Les deux molécules sont connues pour produire des effets analgésiques. Cependant, contrairement au THC, le CBD ne produit pas d’effet euphorisant.

Étant donné qu’il manque encore de recherches impartiales en la matière et que la consommation de cannabis à long terme est associée à des effets secondaires néfastes (particulièrement s’il est inhalé), au Canada, l’utilisation des phytocannabinoïdes contre la douleur persistante est actuellement classée comme un traitement de troisième ligne. Lorsque l’on utilise le cannabis contre la douleur persistante, il vaut mieux le faire de manière supervisée. Certains médicaments à base de cannabis sont offerts sur ordonnance. L’utilisation des phytocannabinoïdes pour la douleur persistante nécessite encore davantage de recherche. En outre, on dispose toujours de peu d’études sur les effets du CBD sur la douleur lorsque consommé de manière isolée.

 

En conclusion

La douleur persistante est un fléau partout dans le monde. Au Canada seulement, on estimait qu’elle était le fardeau de plus de 8 millions de personnes (l’équivalent de la population entière du Québec). Chaque cas de douleur persistante est aussi complexe et intriqué que l’être humain qui en souffre. On peut ressentir de la douleur même en l’absence de lésions. J’affectionne cette citation, mais je ne sais malheureusement plus qui en est l’auteur : « La douleur chronique est moins un problème médical qu’elle n’est un problème humain ». Cet énoncé rappelle très bien l’importance de chercher à comprendre avant tout l’être humain derrière la douleur.

La médication en douleur persistante n’a pas pour objectif de trouver un remède définitif (une telle chose n’existant malheureusement pas à ce jour). Cette démarche vise plutôt à aider à établir un plan pour mieux contrôler la douleur afin de reprendre une vie plus fonctionnelle. La prise de médicament peut être utile au patient pour qu’il apprenne à mieux gérer la douleur ou qu’il entreprenne d’autres genres de traitements comme l’activité physique, l’éducation à la douleur, la psychothérapie ou les modifications des habitudes de vie. La pharmacothérapie en douleur est considérée comme efficace lorsqu’elle diminue la douleur d’une personne d’au moins 30 % OU, encore plus important, lorsqu’elle favorise une vie plus fonctionnelle. La réponse aux médicaments pour la douleur persistante est très variable entre les individus. Le plus souvent, il s’agit d’une démarche exploratoire qui doit être réalisée sous la supervision de médecins ou de pharmaciens et dans laquelle il est nécessaire d’être patient et persévérant.

 


Ressources

Le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) a mis en ligne de courtes fiches résumant l’utilisation de ces médicaments coanalgésiques pour des problèmes de douleur persistante. Ces documents sont accessibles à tous en ligne. Ils peuvent être une porte d’entrée intéressante pour discuter de la pertinence d’utiliser ces médicaments pour votre situation auprès de votre médecin.

Antidépresseurs : https://www.chumontreal.qc.ca/sites/default/files/2021-12/20-4-antidepresseurs-tricycliques.pdf

Gabapentinoïdes : https://www.chumontreal.qc.ca/sites/default/files/2022-08/23-4-les-gabapentinoides.pdf

Cannabinoïdes : https://www.chumontreal.qc.ca/sites/default/files/2022-01/22-4-les-cannabinoides.pdf

 

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Nous réitérons que, pour toute modification à votre médicament d’ordonnance ou en vente libre, vous devez d’abord en discuter avec votre médecin ou votre pharmacien. Pour une approche complémentaire (ostéopathie, kinésiologie), nos professionnelles et professionnels sont là pour vous aider.