Les probiotiques

Publié le 16 février 2016
Écrit par Daniel-J. Crisafi, nd.a., m.h., ph. d.

Les probiotiques

Une nouvelle foulée d’articles semble suggérer que la flore intestinale, ou microbiote, est une sorte de panacée. Pouvez-vous offrir quelques pistes de réflexion sur ce sujet ?

 

CONNAÎTRE LES PROBIOTIQUES

Certainement ! Le domaine des probiotiques n’est pas nouveau pour moi. Déjà, dans la première édition de mon livre Candida Albicans, publiée en 1986, j’avais consacré un chapitre complet sur les « bactéries lactiques ». Pendant mes recherches pour ce livre, j’ai eu la chance inouïe d’être mis en contact avec deux sommités dans le domaine de ce que l’on nomme aujourd’hui les probiotiques. Le premier, le docteur Edward Brochu, était chercheur à l’Institut Rosell, à Montréal. Le deuxième, le docteur Khem Shahani, était alors à l’avant-garde des recherches sur les probiotiques à l’Université du Nebraska, à Lincoln. Au milieu des années 1990, le docteur Shahani m’avait donné un exemplaire du livre d’Élie Metchnikoff, écrit en 1907, The Prolongation of Life (« La prolongation de la vie »). On reviendra sur Metchnikoff un peu plus loin. Beaucoup plus tard, vers la fin des années 1990, Claude Chevalier et Monique Roy, les fondateurs de Bio-K+, m’ont permis de rencontrer et de questionner une autre sommité dans le domaine des probiotiques, le docteur François-Marie Luquet.

Donc, si vous me parlez de probiotiques, disons que je ne suis pas en terrain inconnu. J’y réfléchis, je révise les études, j’écris sur le sujet et j’en consomme depuis plus de 30 ans. Mais surtout, j’ai été privilégié de côtoyer personnellement certains des plus grands experts dans le domaine, des gens qui ont démontré intelligence et générosité dans le partage de leurs connaissances.

 

UN PEU D’HISTOIRE

Commençons, si vous le voulez, par le commencement. Les êtres humains consomment des aliments fermentés probablement depuis le début de l’humanité. Il est certain que cette consommation a d’abord été accidentelle : un aliment a fermenté dans un contenant et les individus, n’ayant rien d’autre à consommer, ont goûté à cet aliment ayant une odeur et une consistance différentes de l’original. Dans certains cas, ils ont été empoisonnés ; dans d’autres, ils ont probablement été heureusement surpris par l’effet d’un alcool qui s’y est produit, et finalement, dans certains cas, l’effet atout simplement été plaisant et sain.

Après maints essais, ils ont découvert une façon consistante pour produire soit le produit alcoolisé, soit l’aliment plus digeste et plus fortifiant. Fait important, ces aliments fermentés se préservaient en général plus longtemps que leurs contreparties non fermentées.

Grâce à ces divers « accidents » alimentaires ainsi qu’à la capacité de nos ancêtres éloignés à reproduire les conditions gagnantes reliées à la fermentation, nous avons divers aliments et boissons pris pour acquis aujourd’hui comme le yogourt, la bière, le miso, la choucroute et le kimchi. C’est n’en nommer qu’une fraction, car toutes les populations du monde ont utilisé la fermentation comme mécanisme pour améliorer la digestibilité et la conservation des aliments.

C’est en ce qui concerne les laitages que cette fermentation a été particulièrement bénéfique, en grande partie parce que les produits laitiers se conservent beaucoup moins bien que les grains, les légumineuses, les légumes ou les viandes séchées. Or, dans les régions très froides ou très arides, les produits laitiers étaient parfois la seule source alimentaire disponible. Donc, la fermentation par les bactéries lactiques assurait à la fois une meilleure digestibilité, mais surtout une meilleure conservation des laitages.

 

QU’EST-CE QUE LA LACTOFERMENTATION ?

 La lactofermentation est le processus par lequel certaines bactéries, naturellement présentes ou ajoutées, transforment les sucres naturellement présents dans les aliments en acide lactique. Ce processus, lorsque bien entrepris et avec les bonnes bactéries, a plusieurs effets positifs.

Dans un premier temps, il améliore la conservation des aliments de plusieurs façons. Les bactéries qui produisent de l’acide lactique produisent aussi des antibiotiques naturels. Or, ces antibiotiques naturels détruisent les bactéries pathogènes ou au minimum en réduisent la prolifération, et la présence d’acide lactique nuit au développement des bactéries pathogènes ainsi qu’à celui des moisissures. Évidemment, la présence accrue de bactéries saprophytes crée de la compétition pour les bactéries pathogènes en ce qui a trait à leurs ressources alimentaires, réduisant par le fait même la capacité des bactéries pathogènes à se nourrir.

Mais il y a plus. Grâce à la lactofermentation, c’est-à-dire en produisant de l’acide lactique, ces bactéries dégradent la caséine, la protéine du lait, rendant celle-ci significativement plus digeste, et en réduisent considérablement l’allergénicité. La consommation de produits laitiers lactofermentés a aussi un effet plus général par rapport aux allergies. Ceux-ci peuvent augmenter la production systémique d’interféron de type I et II, améliorant ainsi la capacité immunitaire et réduisant par le fait même le potentiel allergique général.

Sur le plan nutritionnel, la lactofermentation n’a pas que des effets prophylactiques. En effet, la fermentation par les bactéries lactiques améliore soit la densité, soit la disponibilité de diverses substances nutritionnelles.

L’acidité des aliments lactofermentés améliore l’absorption de certains nutriments tels que le calcium, le magnésium et le fer. Certains chercheurs ont même démontré un lien positif entre les probiotiques et l’amélioration de la masse osseuse.

Ceci peut expliquer pourquoi une étude publiée dans le British Medical Journal a pu constater une augmentation du risque de fractures des os chez les femmes consommant du lait, mais une réduction du risque chez celles qui consommaient des produits laitiers fermentés. Certains chercheurs vont même jusqu’à suggérer que les bactéries présentes dans l’intestin servent de « fournisseurs de vitamines ».

Dans certains cas, la lactofermentation aide aussi à libérer certains nutriments qui n’auraient pas pu être bien absorbés autrement. C’est le cas de l’utilisation du levain plutôt que de la levure dans la fabrication du pain. Nous savons que le blé contient de l’acide phytique, un acide qui nuit à la solubilité, et donc à l’absorption de plusieurs minéraux. Or, la panification au levain, plutôt qu’à la levure, améliore la solubilité et l’absorption du calcium et du magnésium dans le blé. Le goût acidulé du pain au levain, ce même goût qui décourage certains à en consommer, est causé par des bactéries lactiques et devrait donc être un gage de supériorité nutritionnelle par rapport au pain fabriqué avec de la levure.

Il y a deux faits importants à noter ici. Dans un premier temps, les bactéries lactiques, celles mêmes qui produisent de l’acide lactique dans divers aliments, sont présentes dans notre microbiote intestinal. Ainsi, celles-ci produisent des effets semblables à ceux qu’elles produisent sur le plan alimentaire.

Deuxièmement, tous les aliments qui sont lactofermentés ne sont pas nécessairement une source alimentaire de probiotiques. En d’autres mots, même si des bactéries lactiques ont amélioré ces aliments, cela ne veut pas dire que ceux-ci vont contribuer à augmenter la présence de bonnes bactéries dans l’intestin.

 

QUELQUES EFFETS CHEZ LES HUMAINS

Sans vouloir faire une analyse exhaustive des effets des bactéries saprophytes présentes dans l’intestin, laissez-moi en souligner quelques-uns, en plus de ceux mentionnés précédemment.

Nous savons que ces bactéries peuvent réduire l’incidence et la sévérité des symptômes du rhume, de la grippe et d’autres infections respiratoires communes chez les enfants ainsi que chez les adultes et les personnes âgées, mais les effets immunitaires de ces bactéries ne s’arrêtent pas là. En effet, elles ont un impact positif sur l’immunité en général, et, comme nous l’avons souligné plus haut, elles aident aussi à réduire l’allergénicité, un autre phénomène immunitaire.

Elles aident à réduire la sévérité des diverses maladies intestinales inflammatoires ainsi que celle de diarrhées aiguës aussi bien que chroniques. Elles aident aussi à réduire la récidive de vaginites et de vaginoses chez la femme.

Deux effets surprenants des bactéries lactiques sont leur capacité à réduire le cholestérol et à améliorer le métabolisme de l’œstrogène, réduisant par le fait même les risques de cancer du sein.

Le dernier point que j’aimerais souligner par rapport aux effets du microbiote ou des bonnes bactéries intestinales est leur effet sur l’humeur.

 

MICROBIOTE ET SÉROTONINE

Comme les lectrices et les lecteurs de Vitalité Québec le savent bien, en 2014, j’ai écrit un livre sur les conséquences du stress, dont le titre est Syndrome S. Ce sujet m’intéresse au plus haut point, car le stress joue un rôle dans plus de 80 % des maladies non infectieuses. Ceci dit, dans ce livre, j’ai voulu souligner l’importance de la sérotonine, un neurotransmetteur, et les effets négatifs du stress sur celle-ci.

Pourquoi la sérotonine ? Parce que la baisse de sérotonine peut causer divers symptômes associés au stress, tels que l’anxiété, la dépression, l’appétit anormal, l’insomnie, la perception accrue de la douleur, etc. Or, il y a un lien important entre la sérotonine et le microbiote.

Le voici…

De plus en plus d’études soulignent que la majorité de la sérotonine, jusqu’à 95 %, est présente dans l’intestin. Or, elles soulignent aussi le rôle essentiel du microbiote dans la production de sérotonine.

L’équilibre de ces bonnes bactéries intestinales peut donc jouer un rôle crucial pour réduire certains effets du stress et ainsi aider les gens aux prises avec les effets d’une baisse de sérotonine. L’effet est tel que certains chercheurs parlent maintenant de « psychobiotiques » ou de bactéries ayant un effet sur le psychisme.

De leur côté, des chercheurs ontariens notent que l’altération du microbiote et son influence sur la sérotonine peuvent être associés à divers désordres neuropsychologiques, comme la dépression, ainsi qu’à des désordres métaboliques comme l’obésité.

Comme on peut le constater, la qualité du microbiote ou de la flore intestinale joue un rôle clé dans la santé. Malheureusement, la qualité de ce microbiote peut être considérablement perturbée.

 

LE PROBLÈME ET SA SOLUTION

Notre environnement moderne est saturé de substances qui peuvent altérer les bactéries saprophytes faisant partie de notre microbiote. Parmi celles-ci, un rôle pernicieux revient aux antibiotiques à large spectre utilisés pour différentes infections ainsi qu’aux résidus d’antibiotiques qui peuvent être présents dans certains aliments de source animale. Divers additifs alimentaires ont aussi un effet négatif sur la flore intestinale.

Il est reconnu que la consommation d’alcool a un effet négatif sur la flore intestinale. Par contre, il est possible que la présence accrue de bactéries saprophytes améliore, entre autres, la stéatose hépatique, ou foie gras. Malgré le fait que l’excès de sucre, un phénomène courant chez nous, peut diminuer la qualité du microbiote, nous savons aussi que les édulcorants artificiels ont probablement des effets encore plus pernicieux.

La consommation d’aliments lactofermentés de qualité assure un apport nutritionnel important. Que ce soit la choucroute, le miso, le pain au levain naturel ou le yogourt, ces aliments nous permettent de mieux absorber les nutriments de nos aliments tout en réduisant le risque d’allergies alimentaires. Par contre, la majorité de ces aliments, sauf certains yogourts, n’assurent pas une amélioration du microbiote. Ce sont d’excellents aliments et ils devraient être consommés plusieurs fois par semaine, voire quotidiennement.

Néanmoins, la qualité d’un produit probiotique dont le but est de refaire ou d’accroître la qualité et la quantité de la flore microbienne dépend des facteurs suivants :

  • La qualité des souches initiales, idéalement des souches de source humaine.
  • Le milieu de culture dans lequel ces bactéries sont cultivées, ce qui comprend le substrat sur lequel les bactéries sont nourries ainsi que la température utilisée.
  • La façon dont les bactéries sont extraites ou isolées de leur milieu de culture.
  • Finalement, la façon dont elles sont manutentionnées une fois extraites, empaquetées et entreposées.

Il faut le dire, la majorité des produits de laits fermentés, surtout les yogourts commerciaux populaires, ne répondent pas à ces critères, même s’ils sont d’exceptionnels aliments pour ceux qui ne sont pas intolérants aux produits laitiers. Concernant les produits probiotiques commerciaux, attention aux produits qui ne spécifient pas la souche utilisée.

 

CONCLUSION

J’ai devant moi ce livre d’Élie Metchnikoff que j’ai mentionné plus tôt. Le docteur Metchnikoff, prix Nobel, était le deuxième directeur de l’Institut Pasteur après son mentor, Louis Pasteur. Son livre, The Prolongation of Life, suggérait dès 1907 que la santé du système digestif, et surtout celle de sa flore microbienne, avait un lien direct sur la santé de l’individu. Lorsque certains disciples de Pasteur semblaient croire que toutes les bactéries étaient mauvaises, Metchnikoff avait déjà développé l’idée que ce que nous appelons aujourd’hui la flore intestinale, ou microbiote, a un rôle important dans la santé. En effet, comme le souligne le titre de son livre, Metchnikoff était convaincu que l’état de l’intestin et celui de sa flore jouaient un rôle primordial dans la « prolongation de la vie ». Toutes les nouvelles recherches corroborent l’observation de ce chercheur brillant.

Pour assurer notre santé optimale, il est nécessaire d’assurer également une santé intestinale optimale. En effet, la santé du microbiote ou de la flore intestinale est aussi près d’une panacée que possible.

 

RÉFÉRENCES

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