Publié le 7 août 2021
Écrit par Éric Simard, docteur en biologie et chercheur
L’exposition graduelle au soleil, l’été, est un exemple de régulation épigénétique nous permettant de démystifier ce sujet important en santé humaine. L’épigénétique est responsable du réglage de l’expression des gènes en fonction de nos habitudes de vie. Il s’agit du mécanisme responsable, ou non, de l’expression de nos facteurs de risque de maladies, ou de nos facteurs de prévention. L’épigénétique contribue ainsi largement à la longévité en santé.
Il est possible que vous vous posiez ces questions :
Il est important de bien définir ce qu’est l’épigénétique et son lien avec l’expression des gènes. Nous reviendrons sur l’exposition au soleil, en exemple, par la suite.
La génétique : une bibliothèque d’information
Pour la majorité des gens, l’ADN représente l’ultime vérité : ce qui dicte nos chances d’être en santé ou nos risques de maladie. La réalité en est tout autre : nos habitudes de vie influent sur la lecture de notre ADN.
L’ADN, ou acide désoxyribonucléique, est une séquence de molécules qui servent à encoder l’information du vivant. L’ADN est composé de lettres, qui peuvent former des mots qu’on appelle « codons », des phrases qu’on appelle « gènes », qui font partie de différents chapitres (p. ex, les gènes relatifs à la peau), de différents livres et de différentes sections de la bibliothèque (qui constituent les chromosomes). La génétique, ou science des gènes, est la science qui étudie ce qui est encodé par l’ADN des espèces vivantes. Les généticiens sont des bibliothécaires du vivant.
Une bibliothèque complète forme le génome d’une espèce ou d’un individu. Bien sûr, la génétique fait partie des facteurs internes de la longévité, mais elle est fortement influencée par les facteurs externes. Il est vrai que certains gènes sont responsables de maladies graves, ou encore, qu’ils vont considérablement augmenter le risque de certaines maladies, qu’ils vont réduire nos chances de vivre plus longtemps. Certains gènes sont donc des indicateurs directs de notre longévité potentielle. On a qu’à penser à l’APOE4 ou aux mutations des gènes BRCA1 ou 2. L’APOE4 est lié à un risque accru de maladies cardiovasculaires et d’Alzheimer. Avoir une seule copie de l’ApoE4 d’un de nos parents multiplie le risque de maladie d’Alzheimer par trois. Rappelons que nous avons deux copies de chacun de nos gènes, provenant chacune d’un de nos parents.
Posséder les deux copies de l’APOE4, une de chaque parent, multiplie le risque par 10 à 12 de développer l’Alzheimer. Pour les gènes BRCA1 et 2, certaines mutations augmentent considérablement le risque de certains cancers, dont le cancer du sein. Heureusement, les gènes qui augmentent beaucoup les risques de maladies sont faiblement représentés dans la population : peu de gens en sont porteurs.
Ainsi, il faut considérer la génétique comme de l’information, beaucoup d’information. Ce qui permet de bien comprendre son rôle, c’est le traitement de l’information. Si nous avons une bibliothèque remplie de livres et que certains de ces livres contiennent des phrases aux conséquences négatives, il suffit de ne pas les lire ou de réduire la fréquence de lecture. De façon similaire, si des livres ont des contenus utiles en prévention des maladies, il est possible de faire en sorte qu’ils soient lus plus régulièrement, qu’ils restent ouverts sur la table de lecture. C’est exactement ce qui explique la plus grande longévité des centenaires.
Ce qui est important, ce n’est pas ce qui est écrit, mais ce qui est lu !
J’utilise souvent cette phrase pour parler de l’épigénétique. Il semble que ce qui est le plus important n’est pas la présence des gènes de facteurs de risque (gènes négatifs), mais bien la présence de facteurs positifs ou l’expression de ceux-ci en fonction des habitudes de vie. Un individu comportant un certain nombre de facteurs de risques importants peut vivre très longtemps si ses facteurs positifs sont bien exprimés ou sont lus plus fréquemment, en fonction de ses saines habitudes de vie.
De façon générale, notre génétique serait responsable de seulement 15 % à 25 % des raisons de notre longévité. Bonne nouvelle : cela veut dire que les 75 % à 85 % qui restent sont sous notre contrôle.
Nous savons maintenant que, non seulement les mêmes gènes ne fonctionnent pas tous de la même façon selon les individus, mais la structure même de notre génome est modifiée, soit de façon transitoire ou de façon permanente, sous l’effet de l’environnement et de nos habitudes de vie. Ces modifications font en sorte de permettre ou non une « lecture » plus ou moins fréquente de certaines parties du génome. Elles sont ainsi responsables du degré auquel notre génétique nous protège ou nous rend plus fragiles tout au cours de notre vie. Ces modifications à l’ADN, en réponse à notre environnement, se nomment l’épigénétique.
La génétique correspond à l’étude des gènes et à l’information qu’ils contiennent, tandis que l’épigénétique est l’étude de l’information complémentaire qui définit comment ces gènes vont être utilisés par une cellule, selon nos habitudes de vie et notre environnement. Certains traits épigénétiques sont aussi hérités de nos parents. L’épigénétique change au cours de la vie en fonction du vieillissement et des habitudes de vie. Le génome, dans sa forme réelle d’édition propre à chaque individu, se nomme ainsi : l’épigénome.
Et si nous allons plus souvent au soleil ?
Vous avez probablement remarqué que les premières expositions au soleil nous affectent plus rapidement ? C’est simple, car nous n’avons pas encore commencé à bronzer et n’avons pas non plus demandé à notre corps de préparer l’information nécessaire (l’épigénétique du bronzage).
La pigmentation de la peau provient de la production de la mélanine qui protège des rayons UV. En y allant une première fois, nous envoyons la demande qu’il faut ouvrir le livre contenant l’information pour produire la mélanine. En y allant une seconde fois, surtout sur un court laps de temps, nous indiquons que nous aurons besoin souvent de ces informations. Ainsi, en s’exposant pendant de courtes périodes, mais fréquemment, nous augmentons notre capacité de production de mélanine, et cela nous permet de répondre plus rapidement aux stimulus d’exposition au soleil.
Toutefois, il existe aussi un livre de la pigmentation de la peau (pour continuer l’analogie entre la bibliothèque et la génétique), qui peut contenir des informations erronées ou plus difficiles à lire. Ce livre contient, entre autres, le MC1R. Il est lié à la faible pigmentation de la peau et aux cheveux roux. Il est démontré que certaines variantes de ce gène font en sorte que les gens roux bronzent difficilement, ont plus facilement des coups de soleil, et leur peau vieillit plus rapidement. Ainsi, pour ces personnes, il est préférable de moins s’exposer au soleil ou de bien se protéger au moyen de la crème solaire.
Nous empêcher de lire le bon livre
Il y a des facteurs externes qui peuvent modifier notre épigénétique ou interférer avec les effets protecteurs ou les résultats obtenus. Comme si d’autres processus, qui requièrent de lire d’autres livres, pourraient réduire notre capacité à faire lire les livres appropriés ou annuler les effets protecteurs produits. Un exemple pourrait être la consommation d’agrumes, principalement les pamplemousses et les oranges, et l’augmentation des risques de mélanome. Une étude observationnelle, fondée sur les données de 100 000 personnes suivies durant 26 ans, a démontré un lien, en 2015. La consommation d’agrumes augmenterait les risques de mélanome de 36 %. Cette observation est aussi corrélée avec le fait de passer plus de temps au soleil et d’être plus sensible aux coups de soleil. Cela proviendrait de l’effet des furocoumarines, des molécules naturelles qui se lient à l’ADN des cellules qui produisent les protéines de la peau (la kératine). Elles absorbent le rayonnement ultraviolet et transmettent cette énergie aux molécules d’ADN, ce qui brise l’ADN et augmente les risques de cancer. Les furocoumarines rendent la peau plus sensible au soleil.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut plus consommer d’agrumes l’été, mais que, comme pour les personnes rousses, les personnes qui en consomment beaucoup devraient mieux se protéger du soleil.
À l’opposé, certains aliments riches en polyphénols, comme le thé vert, ou encore certains suppléments, comme le resvératrol, peuvent avoir des effets protecteurs pour la peau et s’additionner aux bénéfices de la production de mélanine pour réduire nos risques de cancer.
Ce qu’il faut retenir, c’est que l’exposition au soleil est bénéfique, nous avons des mécanismes naturels pour nous protéger des effets négatifs, mais aussi que nos risques dépendent à la fois de notre génétique, de notre fréquence d’exposition et de la consommation de certains produits qui peuvent nous protéger ou augmenter les risques.
Nous ne sommes pas les esclaves de notre génétique ; celle-ci s’exprime selon nos propres décisions, selon nos habitudes de vie. La prévention demeurera toujours votre meilleur outil afin de demeurer longtemps en santé.
RÉFÉRENCES
Aziz SW, Aziz MH. Protective molecular mechanisms of resveratrol in UVR-induced Skin carcinogenesis. Photodermatol Photoimmunol Photomed. 2018 Jan;34(1):35-41.
Brooks-Wilson AR. Genetics of healthy aging and longevity. Hum Genet. 2013 Dec;132(12):1323-38.
Dato et al, 2013. Exploring the Role of Genetic Variability and Lifestyle in Oxidative Stress Response for Healthy Aging and Longevity. Int. J. Mol. Sci. 2013, 14, 16443-16472.
Dato et al, 2017. The genetics of human longevity: an intricacy of genes, environment, culture and microbiome. Mech Ageing Dev. 2017 Apr 5.
Giuliani et al, 2017. Centenarians as extreme phenotypes: An ecological perspective to get insight into the relationship between the genetics of longevity and age-associated diseases. Mech Ageing Dev. 2017 Feb 27.
Govindaraju et al, 2015. Genetics, lifestyle and longevity: Lessons from centenarians. Applied & Translational Genomics 4 (2015) 23–32.
John J. Cole, Neil A. Robertson, Mohammed Iqbal Rather, John P. Thomson, Tony McBryan, Duncan Sproul, Tina Wang, Claire Brock, William Clark, Trey Ideker, Richard R. Meehan, Richard A. Miller, Holly M. Brown-Borg, Peter D. Adams. 2017. Diverse interventions that extend mouse lifespan suppress shared age-associated epigenetic changes at critical gene regulatory regions. Genome Biol. 2017; 18: 58. Published online 2017 Mar 28.
Lacaze et al, 2017. Pathogenic variants in the healthy elderly: unique ethical and practical challenges. J Med Ethics 2017;0:1–9.
Law et al, 2017. Genome-Wide Association Shows that Pigmentation Genes Play a Role in Skin Aging. J Invest Dermatol. 2017 Sep;137(9):1887-1894.
Lee and Dong, 2017. FoxO integration of insulin signaling with glucose and lipid metabolism. Journal of Endocrinology, (2017) 233, R67–R79.
Giuseppe Passarino, Francesco De Rango, Alberto Montesanto. 2016. Human longevity: Genetics or Lifestyle? It takes two to tango. Immun Ageing. 2016; 13: 12. Published online 2016 Apr 5.
Qureshi et al, 2015. Citrus fruit consumption may be associated with increased melanoma risk. American Society of Clinical Oncology. Jun 30, 2015. JOURNAL OF CLINICAL ONCOLOGY.
Senbastiani et Perls, 2012. The genetics of extreme longevity: lessons from the New England Centenarian study. Frontiers in Genetics. November 2012, Volume 3, Article 277.
Sebastiani et al, 2013. Meta‐analysis of genetic variants associated with human exceptional longevity. AGING, September 2013, Vol 5 N 9.
Torano et al, 2016. The Impact of External Factors on the Epigenome: In Utero and over Lifetime. Biomed Res Int. 2016.
Yashin et al, 2015. How the effects of aging and stresses of life are integrated in mortality rates: insights for genetic studies of human health and longevity. Biogerontology (20