
Publié le 1 mai 2025
Écrit par Christiane Lamarche
Je ne comprends pas la société de consommation. Où vont tous ces biens, ces invendus, qui sortent des commerces chaque saison? Je sais bien qu’en grande majorité ces biens sont détruits, enfouis ou brûlés. Je n’arrive toujours pas à voir la logique de tout ce qui est potentiellement jeté partout au monde, comme vêtements, appareils électroniques, jouets, articles scolaires, etc. seulement parce que la mode et les tendances évoluent, et les montagnes de déchets qui s’accumulent.
On parle ici de milliers de tonnes de biens physiques par pays, province, et région. Des articles souvent en parfait état qui, sous prétexte qu’ils ne correspondent plus à l’image de marque ou qu’ils ne trouvent plus preneur, finissent enterrés ou incinérés. Ce qui m’échappe, c’est pourquoi ces produits ne sont pas simplement redistribués à ceux qui en ont besoin? Plusieurs personnes manquent de ressources pour se nourrir, se vêtir ou équiper leurs enfants. En quoi les entreprises seraient-elles affectées de donner aux plus démunis ce qu’elles comptent détruire?
La logique voudrait qu’on redistribue, qu’on offre une deuxième vie à ces produits qui pourraient alléger le quotidien de milliers de personnes. Pourtant, ce n’est pas ce qui se passe. Prenons un exemple simple : les vêtements. Chaque année, des tonnes de textiles invendus sont détruits, et ce cycle infernal se répète. Les vêtements pourraient facilement être donnés à des associations caritatives. Cette solution reste cependant marginale, car le profit passe toujours avant tout.
Un exemple frappant : l’enfouissement délibéré
J’ai un exemple précis en tête qui illustre bien l’absurdité de cette dynamique. Dans mes jeunes années, j’ai travaillé comme chargée de projet dans un centre d’enfouissement. Le site recevait régulièrement de gros conteneurs pleins d’objets et de vêtements en tout genre provenant d’un grand magasin. Un pyjama avec un rebord à peine décousu, un livre avec un coin corné, une lampe avec une petite égratignure, mais rien n’était réellement inutilisable. Nul besoin de vous dire que nous, les employés du centre, n’avions aucun scrupule à nous servir parmi ces « déchets », non par nécessité, mais par conscience. Nous étions fiers de détourner de l’enfouissement ce qui pouvait encore être utile. C’était un acte de rébellion silencieuse contre cette absurdité.
Cette situation n’a malheureusement pas duré. Les dirigeants du magasin, apprenant que nous récupérions ces biens, ont commencé à compacter méthodiquement leurs déchets pour s’assurer que personne ne peut en tirer quoi que ce soit, que tout ce qui est jugé « inutilisable » est détruit, même si cela aurait pu profiter à quelqu’un d’autre. Ce geste en dit long sur notre société : mieux vaut tout détruire que de donner.
Le paradoxe de la société de consommation
Ce paradoxe est troublant. D’un côté, nous vivons dans une société de surabondance, où les produits sont créés en masse, souvent à des prix dérisoires. D’un autre, cette même société valorise le gaspillage : il est plus rentable de détruire des invendus que de les redistribuer, sous prétexte de maintenir la « valeur perçue » des produits. Nous vivons dans une logique où la surconsommation est encouragée, tandis que les solutions simples comme le don ou la réutilisation sont négligées, voire découragées.
Ce phénomène est encore plus frappant lorsque l’on considère l’impact écologique désastreux de cette gestion des ressources. Les invendus, qu’il s’agisse de vêtements, d’appareils électroniques ou de denrées alimentaires, sont des produits qui ont nécessité d’énormes quantités d’énergie, d’eau et de matières premières. Les détruire revient à gaspiller non seulement ces ressources, mais aussi à augmenter notre empreinte carbone. Les enfouir ou les incinérer crée des émissions de gaz à effet de serre, contribuant ainsi au changement climatique que nous devons urgemment combattre.
L’inaction des gouvernements face au gaspillage
Face à cette situation, on pourrait s’attendre à ce que les gouvernements interviennent pour réguler ces pratiques absurdes. Pourtant, l’inaction est flagrante. Les lois contre le gaspillage existent, mais elles sont souvent timides, limitées à quelques pays ou secteurs, et trop peu contraignantes. Prenons l’exemple de la France, qui a interdit la destruction des invendus alimentaires et oblige les supermarchés à en faire don aux associations. Cette loi est un premier pas, mais elle reste l’exception plutôt que la norme.
Dans la plupart des pays, le problème est largement ignoré. Les entreprises continuent de jeter des produits à grande échelle, sans être tenues responsables des conséquences écologiques et sociales. On parle beaucoup de la nécessité d’agir pour lutter contre le changement climatique, mais les actions concrètes pour limiter le gaspillage restent marginales. Pourtant, il est évident que la réduction des déchets et le partage des ressources devraient être des priorités dans cette lutte.
Pourquoi les gouvernements hésitent-ils à légiférer de manière plus stricte sur cette question? Parce que la société de consommation est profondément ancrée dans nos économies. Les grandes entreprises, qui tirent profit de cette dynamique, exercent une influence colossale sur les décisions politiques. La redistribution des invendus, ou même la limitation de la production, serait perçue comme une menace pour leur modèle économique. Il est donc plus facile pour les dirigeants de fermer les yeux que d’affronter ces lobbys puissants.
La voie à suivre : réapprendre à valoriser ce que nous avons
L’enjeu aujourd’hui est de transformer cette logique. Si les gouvernements ne prennent pas les mesures nécessaires pour limiter le gaspillage, il appartient à chacun d’entre nous de repenser notre rapport à la consommation et à la réutilisation. Des mouvements citoyens émergent, prônant des pratiques de partage et de récupération, comme le « freeganisme » ou les groupes d’échange d’objets. Ces initiatives, bien qu’encourageantes, ne suffiront toutefois pas à elles seules. Il faut une prise de conscience collective pour inciter les pouvoirs publics à agir.
Nous devons aussi valoriser la réutilisation et l’économie circulaire, où les produits ont plusieurs vies avant de devenir de véritables déchets. Il est urgent de sortir de cette culture du jetable et de réapprendre à donner, à réparer, à recycler. Les gouvernements, s’ils sont véritablement engagés dans la lutte contre le changement climatique, devraient s’emparer de ces questions et réguler plus sévèrement le gaspillage.
Un changement de mentalité s’impose
L’incohérence entre notre mode de consommation et l’inaction face au gaspillage devient impossible à ignorer. Chaque saison, des tonnes de produits sont détruits inutilement alors que des millions de personnes manquent de tout. Les gouvernements doivent prendre des mesures concrètes pour réguler ces pratiques, et les citoyens doivent repenser leur rapport aux biens matériels. Il est temps d’adopter un modèle où le partage, la réutilisation et la durabilité priment sur la surconsommation et le gaspillage. Si nous ne faisons rien, c’est la planète qui continuera à payer le prix fort.