Publié le 21 février 2020
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott
Plus que toute autre cuisine, celle de l’inde symbolise le mieux la contreculture des années 60. Mais au-delà des clichés, elle demeure relativement méconnue en raison sans doute de sa complexité, de ses nombreux ingrédients et de ses effets bénéfiques insoupçonnés pour la santé.
Cela dit, peut-on parler de gastronomie dans le sens de l’acceptation occidentale du terme ? La réponse est non ; l’optique de la cuisine indienne est davantage considérée comme étant un acte de vénération aux divinités et un désir de bien-être total pour l’humain, tel que dicté par les textes sacrés. Les aliments à la base des offrandes faites aux divinités sont la plupart du temps constitués de bananes, de noix de coco, de riz, de mangues, de sucreries et plus rarement, de légumes. Compte tenu des tabous religieux imposés par la doctrine hindoue et le système des castes, la commensalité n’est pas chose évidente et c’est pourquoi les pèlerins prennent soin d’apporter leur propre nourriture, bien qu’il soit possible de consommer celle préparée dans les temples.
L’Ayurveda, un des éléments fondamentaux de l’hindouisme, classifie les aliments en trois grandes familles ; rajas (passion), sattva (bonté), et tamas (ignorance). Les aliments dits rajas ont des propriétés stimulantes, alors qu’à l’opposé, les mets tamas nuisent au bien-être total et sont habituellement contaminés, rances ou fabriqués avec des ingrédients impurs. De plus, les sages des temps anciens ont établi des combinaisons alimentaires à éviter, des nourritures propres à chaque saison et aussi des jeûnes déterminés par le cycle lunaire.
Comme l’hindouisme est une religion complexe, il ne faut pas s’étonner qu’il existe des contradictions entre les écoles au sujet des aliments tamas. Au banc des accusés, on retrouve le plus souvent l’ail, l’oignon, l’alcool, le thé, le café, le vinaigre, les champignons et évidemment la viande. En substitut aux produits carnés, une quantité impressionnante de légumineuses, de produits laitiers et de noix, en combinaison avec d’autres produits, représente la principale source de protéines complètes.
Pour ce qui est de l’asafoetida, condiment à l’odeur fétide, ce dernier est parfois interdit, parfois permis ; par contre, les chanteurs professionnels croient que sa consommation enrichit le timbre et la richesse de leur voix. L’asafoetida est l’une des rares épices-condiments utilisées dans la cuisine indienne qui est impossible de retrouver sur les tablettes de nos supermarchés.
Les épices, puisqu’il se doit de parler de leur présence incontournable, incluent notamment le curcuma, qui appartient à la famille du gingembre. Cette épice reconnue pour ses propriétés antiseptiques constitue la base du curry, qui d’ailleurs, reste peu présent dans la cuisine indienne traditionnelle. Le curry que nous connaissons est un mélange développé en Angleterre et qui s’est répandu par la suite en Jamaïque et en Extrême-Orient. En Inde, personne n’oserait acheter un tel produit, puisque chacun est responsable de doser son propre mélange connu sous le nom de « masala ». Bien que le basilic pousse partout en Inde, l’emploi de cette plante sacrée par excellence se limite à la fabrication de boissons chaudes et froides.
Au moins deux zones culturelles divisent grosso modo le sous-continent indien, à savoir, le nord où l’on consomme davantage le blé et le sud où le riz constitue la base de l’alimentation. Il existe une grande variété de riz, dont celui de patna, récolté dans la région de la ville du même nom et le basmati, au goût incomparable, que l’on cultive aussi dans le nord du pays. Ce sont pourtant les corps gras qui constituent la signature régionale de bien des cuisines. L’huile de coco, par exemple, caractérise les régions côtières, puisque le cocotier nécessite un sol sablonneux situé à proximité de l’eau de mer. L’huile de moutarde est largement employée au Bengale et au Cachemire (ainsi qu’au Népal) et elle possède des propriétés médicinales (en usage externe), dont la capacité de soulager les muscles endoloris, lorsqu’elle est appliquée sur la peau. L’huile de sésame reste très populaire dans le sud du pays, et attention, il ne faut pas confondre son parfum délicat avec celui beaucoup moins subtil des produits en provenance de l’Extrême-Orient. Le ghee – enfin – est un beurre dont on a extrait les matières solides, ce qui prolonge considérablement sa durée de conservation. Notons que le beurre clarifié (ghee) – comme tous les autres produits laitiers – occupe une place incontournable dans la cuisine indienne, et c’est donc dire que le végétalisme est complètement étranger aux habitudes alimentaires de cette civilisation. La vache symbolise l’ordre cosmique pour l’ensemble de l’hindouisme et en tant que « mère universelle », elle donne son lait à tous, même à ceux qui ne sont pas ses veaux.
Si à la lecture de cet article, on s’étonne de constater que les menus proposés dans les restaurants indiens établis au Québec offrent quantité de plats carnés, cela s’explique par le fait qu’elle représente les habitudes alimentaires plus spécifiques à l’importante communauté musulmane. En effet, l’immigration du sous-continent indien s’est accentuée chez nous depuis Expo 67, et par conséquent, certains produits jadis importés, sont maintenant fabriqués au Canada, ce qui est une bonne nouvelle pour ceux et celles qui sont préoccupés par la traçabilité des aliments.
Révolue l’époque où la cuisine indienne était consommée par les adeptes de la contreculture. Comme témoins de son enracinement chez nous, certains plats typiques, tels le poulet au beurre et le célèbre pain nan sont désormais offerts au « royaume » des produits surgelés. Mais au-delà de ces quelques plats à la mode, ceux et celles qui, parmi nous, sont conscients de l’impact environnemental de nos habitudes alimentaires, pourront découvrir un répertoire de plats végétariens tout aussi inspirant qu’inépuisable.