Mal de dos : 10 croyances nuisibles déconstruites

Publié le 29 février 2024
Écrit par Nicolas Blanchette, D.O., B. Sc. kinésiologie

Mal de dos :  10 croyances nuisibles déconstruites

« La connaissance, c’est le pouvoir », disait le philosophe Francis Bacon. Il aurait fort bien pu parler du domaine de la souffrance ! En effet, il est démontré que mieux comprendre peut nous aider à agir et ainsi nous permettre de reprendre le contrôle sur nos douleurs (Clark et coll., 2011, Louw et coll., 2011). À ce sujet, de nombreuses recherches modernes lient la présence de croyances nuisibles à la persistance de la douleur et aux limitations qu’elle entraîne chez les gens qui partagent ces croyances (Baird et coll., 2020, Martinez-Calderon, 2018, ). Eh oui, l’être humain est si complexe que les mots et les croyances ont bien le pouvoir de guérir ou de blesser. Dans cette chronique, je vous présente la traduction d’un excellent article rédigé par une équipe d’experts en douleur persistante et en troubles musculosquelettiques menée par l’éminent professeur Peter B. O’Sullivan. J’y ajouterai quelques-uns de mes commentaires personnels tout au long. Bonne lecture !

 

La lombalgie et les croyances nuisibles

La douleur au bas du dos, communément appelée « lombalgie », est la première cause d’invalidité dans le monde (OMS, 2023). Elle engendre beaucoup de souffrance humaine et génère des coûts financiers et sociaux élevés. Qu’est-ce qui explique que, malgré les progrès de la médecine, la lombalgie demeure si invalidante et que les soins pour tenter d’améliorer la situation ne soient souvent pas à la hauteur ? De l’avis de nombreux experts, les croyances néfastes, plus répandues que jamais, pourraient bien être au cœur de cet épineux problème.

En effet, les croyances aux effets nocifs de la lombalgie sont associées à des niveaux plus élevés de douleur, de handicap, de dépression, d’anxiété, de consommation de médicaments, de recherche de soins de santé et d’absentéisme au travail (Main et coll., 2010). Ces préconceptions contribuent à instaurer des attitudes d’hypervigilance face à la douleur, des comportements d’évitement, de peur, et des inquiétudes quant à l’avenir : tous des éléments bien démontrés comme étant en lien avec la persistance de la douleur au-delà des temps de guérison normaux (Mills et coll., 2019). Jumelées à des comportements passifs et à un manque de ressources pour s’adapter et apprendre à autogérer la douleur, ces idées peuvent avoir des impacts nuisibles considérables, généralement des répercussions sur la santé physique et mentale des gens, perpétuant un cercle vicieux de douleur, de déconditionnement et de limitations fonctionnelles (Bunzli et coll., 2017).

Ces croyances répandues sont véhiculées à tous les niveaux de la société. Elles sont régulièrement entretenues à la fois par les personnes qui ont mal au dos, par leurs proches, par une grande proportion de gens dans le domaine de la santé (pourtant bien intentionnés) et par les médias. Un manque d’actualisation des connaissances est à la base de cette désinformation généralisée. L’équipe d’experts en douleur et en troubles musculosquelettiques rassemblée pour ces travaux propose de démystifier 10 croyances répandues sur la lombalgie et de remplacer celles-ci par 10 faits utiles pour aider les gens à reprendre le contrôle sur leurs douleurs.

 

10 croyances nuisibles répandues concernant la lombalgie… accompagnées de 10 rectifications factuelles utiles !

  1. La lombalgie est une affection médicale grave et sérieuse.

Faux. Les maux de dos, bien que pouvant certes être incommodants, ne représentent pas un problème médical qui peut mettre votre vie en danger.

  1. La plupart des maux de dos deviendront chroniques et se détérioreront en vieillissant.

Faux. La vaste majorité des épisodes de maux de dos ne tourneront pas à la chronicité. Les recherches montrent que plus de 85 % des épisodes de lombalgie aiguë se règlent complètement en 12 semaines ou moins (Sayed et coll., 2022). De plus, contrairement à la croyance populaire, la lombalgie ne s’aggrave généralement pas en vieillissant (Fejer et coll., 2012).

  1. Une lombalgie persistante est toujours liée à des blessures ou à des dommages tissulaires.

Faux. Contrairement à la croyance populaire, avoir une attitude négative, des comportements de peur et d’évitement ou bien des attentes pessimistes, de même que manquer de stratégies de gestion de douleur sont davantage associés à la persistance de la douleur que l’état des tissus lors d’examens médicaux (Beales et coll., 2015).

  1. La résonance magnétique permet de détecter la cause de la lombalgie.

Faux. En fait, 80 % à 95 % des lombalgies sont dites non spécifiques, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible, au moyen d’examens médicaux comme l’imagerie par résonance magnétique, de lier avec certitude la douleur ressentie à un élément physique ayant une lésion (Balagué et coll., 2012). La vaste majorité du temps, les examens par résonance magnétique ne permettent ni de prédire l’évolution ou le temps de résolution, ni d’évaluer la possibilité d’autres épisodes, ni d’améliorer la prise en charge de la lombalgie. Elle peut même être associée à un pronostic plus défavorable en contribuant à élever les niveaux d’anxiété des patients (Walker et coll., 2021).

  1. Si je fais de l’exercice et que j’ai mal au dos, c’est toujours un signe que je suis en train de me blesser et que je dois cesser l’activité en question.

Faux. Les exercices réalisés de façon progressive et graduelle sont sécuritaires et favorisent une bonne santé vertébrale et psychologique, et ce, dans toutes les directions de mouvement. L’exercice physique est la modalité la mieux étudiée pour aider toutes sortes de douleurs persistantes, y compris la lombalgie (Korownyk et coll., 2022).

  1. La lombalgie est causée par l’adoption de mauvaises postures lorsque l’on est assis, que l’on se tient debout ou encore quand on soulève des charges.

Faux. Les études montrent que les différentes postures de la colonne vertébrale ne permettent ni de prédire l’apparition d’une lombalgie ni d’estimer sa sévérité ou encore son temps de guérison (White et coll., 2022).

  1. La lombalgie est causée par des muscles abdominaux faibles. Renforcer les muscles abdominaux nous protégera contre un futur épisode de mal de dos.

Faux. Faire de l’exercice a généralement un effet bénéfique pour réduire le temps des épisodes de lombalgie et diminuer les récurrences. Toutefois, des muscles abdominaux faibles ne sont pas la cause des lombalgies, et certaines personnes ont tendance à contracter de façon excessive leurs muscles abdominaux pour effectuer toutes sortes de tâches (Karayannis et coll., 2013). Même s’il est souhaitable d’entraîner ses muscles abdominaux, au même titre que les autres muscles de son corps, il n’est pas nécessaire d’activer volontairement les abdominaux lors d’un effort comme soulever une charge du sol (Lair et coll., 2014). Notre corps est tout à fait capable de réaliser la séquence de contraction nécessaire de manière automatique. Se protéger excessivement peut être lié à la kinésiophobie, un facteur de persistance de la douleur (Vlaeyen, 2015).

  1. Faire de l’exercice qui sollicite sa colonne vertébrale contribuera à créer de l’usure dégénérative qui entraînera de la douleur.

Faux. Graduellement, renforcer les muscles de notre colonne vertébrale dans tous les plans de mouvement est sécuritaire. L’exercice graduel et progressif ne contribue pas à détériorer les éléments de notre anatomie. Il permet, au contraire, d’améliorer la résilience de notre colonne vertébrale et favorise notre bonne santé (Korownyk et coll., 2022).

  1. Une « rechute » soudaine d’un épisode de lombalgie est un signe que la situation s’aggrave et qu’il faut absolument se reposer.

Faux. Les « rechutes » de douleur en lien avec les lombalgies sont davantage liées aux changements dans nos activités, nos niveaux de stress et notre humeur qu’à l’état des éléments de notre colonne vertébrale (Fitzcharles et coll., 2022).

  1. Les traitements comme une médication puissante, des injections ou une chirurgie sont souvent efficaces et nécessaires pour traiter la lombalgie persistante.

Faux. Une bonne prise en charge efficace de la lombalgie est sécuritaire et n’est relativement pas dispendieuse. Elle inclut de l’éducation centrée sur le patient dans le but d’adopter une attitude positive ainsi qu’un accompagnement pour optimiser sa santé physique, mentale et émotionnelle : faire de l’activité physique régulièrement, s’impliquer dans des activités sociales et un travail valorisant, adopter de bonnes habitudes de sommeil et bien manger pour réduire le surpoids sont d’autant d’éléments sur lesquels le patient peut avoir le contrôle pour améliorer sa situation.

 

Que fait-on, maintenant ?

Un effort important doit être fait de la part des professionnels de la santé afin de rendre ces informations plus accessibles à la population (comme vous le voyez, je tente de faire ma part dans cette mission !).

Les thérapeutes qui souhaitent aider les gens vivant avec des maux de dos doivent davantage explorer les croyances, craintes, peurs et attitudes des patients qui les empêchent de retrouver le contrôle sur la douleur. Améliorer ses habiletés de communication et d’écoute est primordial, afin d’aider les gens à puiser la motivation nécessaire pour agir sur leur situation. C’est bien connu : la douleur persistante nécessite une implication et une approche actives ! Les thérapeutes ne devraient pas être des mécaniciens qui réparent passivement leurs clients brisés ! Ils peuvent agir comme des guides en aidant les gens à reprendre confiance en leur corps et en les aidant à reconceptualiser leurs croyances nuisibles !

Pour les personnes lombalgiques, il est souhaitable d’explorer, sans crainte et avec confiance, toutes sortes d’activités, de mouvements et de postures. Les thérapeutes peuvent également leur prodiguer des conseils d’hygiène de vie prouvés comme ayant des effets bénéfiques sur la santé et les aider à cultiver une attitude optimiste basée sur la confiance en leur corps. Ainsi, les patients pourront développer davantage de stratégies d’autogestion et prendre des décisions mieux informées au fil du temps. Ultimement, réduire le fardeau de la lombalgie sur la société doit passer par une meilleure éducation et transmission de cette éducation par tous les acteurs concernés : professionnels de la santé, patients, décideurs publics et médias.

 

Besoin d’un coup de main ?

Vous avez besoin d’aide pour reprendre le contrôle sur vos douleurs ? Nos professionnels sont là pour vous aider !

 

RÉFÉRENCES :

O’Sullivan, PB et coll, Back to basics : 10 facts every person should know about back pain, Br J sports Med, 2019

Autres sources dans le texte