Publié le 16 mai 2016
Écrit par Daniel-J. Crisafi, nd.a., m.h., ph. d.
Dans le dernier numéro de Vitalité Québec, j’ai traité du rôle des carences nutritionnelles dans le développement ou l’aggravation de maladies dites mentales. Dans ce numéro, j’aimerais aborder le rôle de l‘hypoglycémie et des intolérances alimentaires ainsi que, brièvement, celui des intoxications aux métaux lourds.
J’aimerais réitérer la mise en garde faite dans le premier volet de cet article, soit que tous les problèmes mentaux, psychologiques ou psychiatriques, ne sont pas nécessairement de source nutritionnelle. De plus, même lorsque la nutrition joue un rôle dans certains de ces problèmes, cela ne signifie pas que son rôle soit exclusif. En effet, dans certains cas, la nutrition peut être un facteur précipitant ou aggravant sans pour autant être la cause première du problème. Finalement, même pour ceux et celles qui ont des problèmes essentiellement nutritionnels, il est souvent utile, voire nécessaire, de travailler de concert avec leur professionnel de la santé afin d’assurer des résultats optimaux et des symptômes minimes. Les soins psychologiques ou psychiatriques ne sont donc pas nécessairement superflus.
HYPOGLYCÉMIE
« L’hypoglycémie fonctionnelle prend souvent le masque de la maladie mentale, car beaucoup de ses symptômes, notamment dans les cas graves, miment des désordres psychiatriques. Il en résulte que ses victimes se retrouvent même souvent sur le divan psychanalytique, avec des espérances d’amélioration assez problématiques. »
Cette citation de l’édition française du livre du psychiatre américain Carl Pfeiffer donne une indication du problème soulevé par certains symptômes hypoglycémiques. Tout au long de cet article, je reviendrai sur les conclusions parfois surprenantes et toujours avant-gardistes de ce médecin, pionnier dans le domaine de la nutrition orthomoléculaire.
Donc, qu’est-ce que l’hypoglycémie et quel rôle joue-t-elle quant aux problèmes psychologiques ou mentaux ? Le mot hypoglycémie est composé de deux éléments, hypo et glycémie. Le premier, un mot grec, signifie « bas » tandis que le second, glycémie, nous vient du latin et signifie « sucré ». Donc, le mot hypoglycémie définit un taux de sucre qui est bas, soit plus bas qu’il ne devrait l’être.
Il existe deux types d’hypoglycémie : l’hypoglycémie clinique et l’hypoglycémie sous-clinique. La première forme peut être diagnostiquée par un test clinique qui va « provoquer » une réaction du corps vis-à-vis une consommation de sucre. La procédure, qui peut avoir lieu en milieu hospitalier ou en clinique, est simple : une prise de sang initiale est faite pour vérifier le taux de sucre à jeun. Après la prise initiale, le patient boit une boisson contenant 75 grammes de glucose, donc beaucoup de sucre. Après deux heures d’attente, il y a une autre prise de sang afin de vérifier le taux de sucre dans le sang. Chez certains patients hypoglycémiques, le taux de sucre (glycémie) dans le sang va chuter de façon appréciable. C’est alors que l’on va déterminer qu’il y a hypoglycémie. Il faut dire qu’au Québec, les médecins ne prescrivent que le test d’hyperglycémie de deux heures. Malheureusement, le test de deux heures n’est pas suffisant pour diagnostiquer une grande majorité d’hypoglycémiques. En effet, certains vont réagir trois, quatre ou cinq heures après la prise de glucose. Ceux-ci n’ayant pas réagi après les deux heures de test se font alors dire, à tort, qu’ils ne sont pas hypoglycémiques.
Le deuxième type d’hypoglycémie, l’hypoglycémie sous-clinique, est difficile à diagnostiquer à l’aide d’analyses sanguines. La raison est simple : nous ne sommes pas que le sucre qui circule dans le sang, nous sommes aussi, et avant tout, celui qui est utilisé par les cellules qui en ont besoin. Dans l’hypoglycémie sous-clinique, le taux de sucre dans le sang est normal, mais ce sont les cellules du corps qui ne l’utilisent pas de façon appropriée. Laissez-moi revenir à l’analogie de la voiture pour bien illustrer le phénomène.
Le taux de glucose dans le sang peut être considéré comme l’essence d’une voiture. Pour produire l’énergie qui fait tourner le moteur, j’ai besoin d’essence, d’un système qui va permettre d’allumer l’essence, comme des bougies d’allumage, et d’un système de transport qui achemine l’essence vers ces bougies.
Si je n’ai pas assez d’essence, il n’y aura pas de combustion et le moteur ne pourra pas fonctionner. Évidemment, je peux le constater en vérifiant le niveau de l’essence dans le réservoir. C’est l’hypoglycémie clinique. Mais il est possible que le moteur ne tourne pas, malgré le fait que j’ai assez d’essence dans le réservoir. La ligne qui transporte l’essence du réservoir aux bougies peut être bloquée ou les bougies peuvent ne pas produire l’étincelle qui brûle le gaz. Lorsqu’il s’agit de l’utilisation du sucre par nos cellules, nous pouvons considérer les différents systèmes d’enzymes associés au métabolisme du glucose comme les bougies d’allumage et nous pouvons aussi considérer la réceptivité des cellules comme la ligne de transport.
Donc, je peux avoir suffisamment de sucre dans le sang, ne pas être hypoglycémique, si celui-ci ne se rend pas aux cellules qui en ont besoin, c’est tout comme si je n’en avais pas assez. De même, si les systèmes cellulaires qui utilisent ou « brûlent » le sucre ne fonctionnent pas de façon optimale, c’est tout comme si je n’en avais pas assez.
POURQUOI EST-CE UN PROBLÈME ?
Le cerveau a besoin d’un apport ininterrompu de glucose. Toute baisse de glucose, que ce soit à cause du taux de glucose dans le sang ou à cause d’une utilisation inefficace par les cellules, va inévitablement réduire l’apport énergétique et donc la fonction du système nerveux central. Cette constatation a été faite aussi tôt qu’en 1943, lorsque le docteur Wilder a suggéré que « la symptomatologie de l’hypoglycémie, spontanée ou induite, est essentiellement de nature neuropsychiatrique ». Au milieu des années soixante, le Dr Salzer est arrivé à la même conclusion. Les symptômes « mentaux » associés à l’hypoglycémie peuvent inclure la dépression, l’anxiété, les phobies, la schizophrénie et des symptômes de type bipolaire. D’autres symptômes comprennent des tremblements, la transpiration extrême, la fatigue extrême, la somnolence, de la difficulté à se concentrer, des étourdissements et des maux de tête. La psychiatre américaine Emily Deans suggère que l’hypoglycémie peut être la source de changements négatifs de l’humeur et même de comportements violents chez certaines personnes.
Il est évident que d’autres facteurs peuvent causer des états ou des symptômes semblables à ceux énumérés précédemment. Ce qui est particulier de l’hypoglycémie, c’est qu’ils peuvent se manifester tard la nuit ou au réveil, lorsque le taux de sucre dans le sang a baissé en deçà de son seuil normal, ou en relation avec la fréquence et la nature des repas ou des collations.
Je l’ai mentionné plus tôt, une hyperglycémie provoquée de deux heures n’est pas assez précise pour détecter une hypoglycémique sous-clinique. Par contre, il existe certaines pistes de détection qui peuvent aider à déterminer si un problème « mental » est relié à une hypoglycémie. L’Association des hypoglycémiques du Québec offre la possibilité de faire le test d’hyperglycémie provoqué de cinq heures. Malheureusement, ce test n’est pas couvert par l’assurance maladie, et il ne permet pas de détecter l’hypoglycémie sous-clinique. L’Association offre aussi un questionnaire de dépistage en ligne qui permet d’avoir une idée à savoir si l’hypoglycémie joue en effet un rôle dans les symptômes. Il va de soi qu’un questionnaire du genre a ses limites. L’idéal est de consulter un professionnel de la santé qui soit au courant du problème et qui peut offrir des solutions personnalisées. Certains praticiens complémentaires tels que les docteurs en naturopathie et les naturopathes agréés ont la formation requise pour travailler avec ce genre de problème. Il en va de même pour certains médecins holistiques, chiropraticiens et nutritionnistes.
SOLUTIONS SIMPLIFIÉES
Malgré le fait que l’hypoglycémie décrive un bas taux de glucose (sucre), la solution n’est pas de consommer plus de sucre, mais bien d’en consommer beaucoup moins. Voici quelques points, très synthétisés, qui peuvent aider.
Pour clore cette section, je laisse le mot de la fin au Dr Pfeiffer…
« Bien qu’il soit souvent difficile de les en distinguer, les difficultés émotionnelles ordinaires ne peuvent évidemment se ramener toutes au syndrome d’hypoglycémique. Il reste que l’hypoglycémie fonctionnelle est une des causes les plus importantes de dérèglement nerveux chronique, et qu’elle gâche la vie de beaucoup d’individus… Moyennant l’observation des recommandations exposées plus haut, l’hypoglycémique peut espérer une amélioration entière. »
Nous nous tournons maintenant vers les allergies alimentaires, ou, à proprement parler, les hypersensibilités alimentaires. Il est intéressant de noter, dans cette transition entre l’hypoglycémie et les allergies alimentaires, que d’après l’allergologue J.C. Brennan, les allergies alimentaires difficiles à détecter peuvent aggraver près de 75 % des cas d’hypoglycémie.
ALLERGIES CÉRÉBRALES, HYPERSENSIBILITÉS OU INTOLÉRANCES ALIMENTAIRES
« Les Drs T.-G. Randolph et Dohan ont décrit, depuis plusieurs années, le syndrome de l’allergie cérébrale, dont la psychopathologie peut être suffisamment grave pour mériter l’étiquette de schizophrénie. »
Plusieurs médecins, dont certains psychiatres tels que les Drs Hoffer, Pfeiffer, Dohan et Philpott ont souligné le rôle des allergies alimentaires dans divers désordres psychologiques aussi bien que psychiatriques. Hoffer souligne son rôle dans la dépression, tout comme Pfeiffer et Philpott. Bien avant que l’intolérance au gluten soit popularisée, Pfeiffer a écrit : « Une hypersensibilité cachée au gluten des céréales peut fort bien être à l’origine d’un comportement compulsif ou ritualiste, d’un défaut de développement de la parole ou même simplement d’altérations intermittentes de l’humeur. » Jean-Pierre Willem, cofondateur de Médecins sans frontières, souligne le rôle des intolérances alimentaires dans l’anxiété et l’insomnie aussi bien que la dépression. Dans une étude publiée dans la revue britannique de psychiatrie, le psychiatre américain F.C. Dohan, a démontré que les patients schizophrènes s’amélioraient plus rapidement avec un régime sans grains céréaliers et sans produits laitiers.
L’intolérance alimentaire joue donc un rôle potentiel dans les maladies « mentales ». Mais comment cela se peut-il ? Il y a plusieurs explications possibles, mais nous ne connaissons pas toutes les raisons. Nous savons que l’hypersensibilité alimentaire peut causer une augmentation de la protéine TNF-alpha. Or, nous savons que l’un des effets de l’augmentation de la TNF-alpha est d’augmenter la résistance à l’insuline. Cette augmentation de la résistance à l’insuline peut alors causer plusieurs problèmes, dont un diabète non insulinodépendant ou une hypoglycémie cellulaire. La sérotonine est l’une des substances les plus importantes dans l’équilibre de l’humeur. Une baisse de sérotonine peut causer, entre autres, de l’anxiété, de la dépression et de l’insomnie. Plusieurs médicaments antidépresseurs agissent d’ailleurs en modifiant le métabolisme de la sérotonine. Et nous savons maintenant qu’environ 95 % de la sérotonine est produite dans l’intestin. Or, des études démontrent que tout processus inflammatoire intestinal, dont celui causé par des allergies ou des intolérances alimentaires, peut réduire la production de sérotonine. La baisse de sérotonine va alors accroître les risques d’anxiété, de dépression et d’insomnie.
Finalement, nous savons que des allergies alimentaires peuvent causer des carences nutritionnelles. Nous savons, par exemple, que les individus souffrant de la maladie cœliaque ont généralement des carences en fer, en acide folique, en vitamines B12 et D ainsi qu’en magnésium et en zinc. Or, comme nous l’avons vu dans le numéro précédent de Vitalité Québec, ces mêmes carences peuvent causer des changements de personnalité, de comportement ou tout simplement causer une certaine fatigue mentale.
L’intolérance alimentaire doit donc être envisagée dans toute approche naturelle dont le but est de traiter des désordres « mentaux » ou « comportementaux ».
UNE NOTE EXPLICATIVE
L’intolérance alimentaire ou l’hypersensibilité alimentaire, que certains auteurs ont nommée « allergie cérébrale », n’est pas l’allergie classique. Dans un premier temps, contrairement à l’allergie classique, la réaction n’est pas rapide. En fait, l’individu peut se sentir mieux après avoir ingéré son aliment et réagir jusqu’à 72 heures plus tard. L’individu peut devenir accro à l’aliment de sorte que son élimination du régime peut provoquer des symptômes de sevrage. Il va de soi que cela a pour effet de brouiller les pistes.
Diverses analyses sont possibles pour détecter la présence d’intolérances. Néanmoins, la façon la plus certaine est le régime d’élimination, qui consiste à éliminer les aliments qui sont de menaces potentielles pour trois à quatre semaines, puis de défier l’organisme en les réintroduisant l’un après l’autre. Si l’aliment retiré du régime joue un rôle, son élimination devrait améliorer les symptômes et, au contraire, sa réintroduction devrait aggraver les symptômes améliorés et faire réapparaître des symptômes disparus. Il est préférable, lorsque possible, d’entreprendre ce type de démarche sous la supervision d’un professionnel de la santé, comme ceux mentionnés plus haut, afin d’éviter toute carence nutritionnelle. Le dernier mot revient à nouveau au Dr Pfeiffer : « L’évolution finale d’un malade allergique présentant une symptomatologie cérébrale peut être excellente dès lors que le diagnostic et le traitement ont été correctement conduits. »
INTOXICATION AUX MÉTAUX LOURDS
Certaines études associent des formes de dépression à la présence de métaux toxiques dans l’organisme. Bien que ceci soit bien moins documenté que les deux facteurs précédents, il n’en demeure pas moins qu’il est reconnu qu’une intoxication aux métaux lourds peut avoir un effet nocif sur le système nerveux central. Malheureusement, il n’y a pas d’études fiables qui déterminent la quantité de métaux qui peuvent causer ces symptômes. Cela dit, les rôles de ces métaux devraient être évalués dans les cas ou des personnes souffrant de désordres neurologiques ou de symptômes psychologiques ont été en contact avec de fortes concentrations de ceux-ci.
Ma liste n’est pas exhaustive, mais elle comprend les gens travaillant avec des peintures à base de métaux, les gens travaillant les métaux, les personnes vivant près d’endroits où l’on utilise de fortes concentrations de pesticides et les personnes ayant de nombreux amalgames (plombages) dentaires.
La présence de ces métaux peut être déterminée par une simple analyse de cheveux. Même si l’analyse de cheveux est loin d’être parfaite, elle est, dans les mains d’un professionnel de la santé expérimenté, un excellent outil de dépistage.
CONCLUSION
Des milliers de personnes souffrent de problèmes « mentaux », que ce soit l’anxiété, la dépression, les phobies ou l’obsession. L’approche nutritionnelle, qui ne peut faire de tort si elle est bien entreprise, et qui est bien justifiée dans un grand pourcentage de cas, devrait être considérée dans tous les cas où des individus souffrent du désordre le plus dépersonnalisant, celui qui affecte leur personnalité.
Si des approches nutritionnelles ont eu des effets aussi probants que ceux mentionnés par les Drs Pfeiffer ou Dohan sur des pathologies aussi extrêmes que la maladie bipolaire ou la schizophrénie, leurs effets sur des maladies plus douces ne doivent pas être rejetés facilement. L’idéal, évidemment, serait un travail de concert avec le psychologue ou le psychiatre. Mais, avec ou sans leur coopération, l’approche nutritionnelle offre un soutien qui saura améliorer les résultats thérapeutiques et par le fait même, améliorer la qualité de la vie.
RÉFÉRENCES
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