Méconnus… et parfois bien de chez nous!

Publié le 1 avril 2025
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott

Méconnus… et parfois bien de chez nous!
AOR avril 2025

Il semble que nos habitudes alimentaires soient souvent dictées par un train de vie nous amenant à opter pour des choix routiniers. Pourtant, il est possible de varier nos menus et même de redécouvrir des denrées et des ingrédients qui étaient tombés dans l’oubli.

 

Livèche

La livèche est une plante robuste qui, selon différentes sources, serait originaire d’Afghanistan, d’Iran ou du sud de l’Europe. Aussi appelée « céleri perpétuel », elle est gustativement et physiquement apparentée tant au persil qu’au céleri. Toutes les parties de la plante, y compris ses racines, sont comestibles et on l’utilise aussi bien fraîche que séchée pour aromatiser des ragoûts, des soupes ou encore pour faire des herbes salées.

Si elle était déjà répandue dans la cuisine de la Rome antique et dans l’Europe du Moyen Âge, on la consommait abondamment pour tenter de combattre le scorbut. À l’époque médiévale, elle constituait un élément indispensable dans la fabrication de philtres d’amour, d’où son nom anglais de Lovage.

On retrouvait aussi la livèche dans les jardins des premiers colons d’Amérique et, selon les recherches faites par des archéologues, cette plante a été adoptée il y a longtemps par nos aïeux, tant pour son goût et sa facilité de culture que pour ses qualités ornementales. Elle s’adapte aussi à tous les sols et peut vivre longtemps, sans craindre l’attaque d’insectes nuisibles.

 

Caméline

Également appelée « lin bâtard » ou « sésame d’Allemagne », la caméline est un grain très ancien qui était déjà utilisé à l’âge de Bronze. Plante indigène dans plusieurs régions du monde, dont le Canada, ses origines se trouvent, selon des sources diverses, en Europe du Nord ou en Asie centrale. C’est une espèce peu exigeante et à production élevée. Elle était cultivée dans le nord de la France jusqu’au début du XXe siècle pour son huile, qui était notamment employée dans la fabrication des savons et des peintures. Les résidus solides, obtenus après l’extraction de l’huile, servaient de complément alimentaire au bétail ou étaient utilisés comme fertilisant, alors que les tiges servaient à la confection de balais. La caméline a récemment repris sa place dans la production agricole au Québec, ce qui en facilite la traçabilité.

Cette plante impressionne par ses propriétés nutritives et son goût, qui rappelle à la fois le sésame et les noisettes. De plus, l’huile qui en est extraite constitue un bon choix pour la cuisson à haute température. Fait intéressant, des vols d’essai ont été réalisés avec des avions dont les moteurs ont été alimentés par un mélange d’agrocarburant à base de caméline et de kérosène classique. Un vol d’essai en provenance de Seattle fut le premier avion commercial à traverser l’Atlantique avec ses quatre moteurs alimentés en agrocarburant à base de caméline.

 

Quelques baies à redécouvrir

Petit fruit au goût souvent associé au cassis ou au bleuet, la camerise, aussi connue sous le nom de « chèvrefeuille comestible » (haskap en anglais), pousse à l’état sauvage dans les régions nordiques des forêts boréales d’Asie, d’Europe et du Canada. Cultivée chez nous depuis 2007, elle se récolte en début d’été. Son nom a d’ailleurs été inventé au Québec afin de mieux l’adapter à la clientèle locale. L’arbuste de camerisier est peu sensible aux attaques d’insectes et aux maladies, ce qui facilite une production biologique et sans ajout chimique. Surnommée « fruit de la longévité », la camerise a une valeur antioxydante très élevée, surpassant ainsi le cassis, la canneberge et le bleuet sauvage.

Autre baie intéressante, celle de l’amélanchier qui est, quant à elle, originaire d’Amérique du Nord et donc bien adaptée à notre climat. On dit que ses petits fruits étaient populaires auprès des Premières Nations des Prairies qui les appelaient Saskatoon Berries(son appellation en cri : mis-sask-guah-too-min). Ils les consommaient tels quels ou les incorporaient dans le pemmican, un mélange de viande séchée, de gras et de fruits déshydratés. Si elle semble avoir sombré dans l’oubli dans la Belle Province, l’amélanche est aujourd’hui cultivée sur une base industrielle dans l’Ouest canadien et, par conséquent, on l’a adaptée à de nombreuses recettes de tartes et de confitures. Au Québec au siècle dernier, on allait cueillir les fruits de l’amélanchier vers la fin juin ou en début juillet, mais cette tradition s’est étiolée avec le temps.

Si cet arbuste est présent dans presque toutes les régions de notre province, les Québécois n’ont plus l’habitude d’en récolter le fruit, préférant acheter d’autres baies en épicerie. Tout comme la camerise, la baie d’amélanchier a un pouvoir antioxydant supérieur à la moyenne des fruits nordiques.

Autre source importante d’antioxydants et de vitamines, la chicoutai (cloudberry en anglais) ressemble à une grosse framboise orangée dont la texture est juteuse et pulpeuse, voire presque grasse. Particulièrement délicieuse dans les desserts, la chicoutai fait partie de la tradition culinaire de plusieurs pays nordiques où on la transforme en liqueur. À cause de sa rareté dans les pays scandinaves, le lieu où elle pousse est souvent gardé secret et, par souci de conservation, on la conserve souvent enfouie sous la neige.

Encore peu connue en Amérique, la chicoutai pousse au Québec dans les grandes forêts de conifères de la Côte-Nord, de la Minganie et du Labrador, qui aurait d’ailleurs son festival de la chicoutai. Le nom, chicoutai*, signifie « feu » en langue innu, mais elle est aussi bien connue des Naskapis, des Cris et des Inuits. En arrivant au pays, les Français la reconnurent, puisqu’on en trouvait aussi dans certaines régions montagneuses d’Europe. Ces derniers savaient pertinemment que sa croissance était longue et son rendement faible. Puisqu’elle pousse en milieu difficilement accessible, sa cueillette et sa production sont des exercices lents et onéreux.

 

Ce bref portrait met en évidence de nombreuses préoccupations, notamment la pleine utilisation de notre garde-manger patrimonial. En diversifiant nos habitudes de consommation et en encourageant l’achat local, il est possible de mieux connaître la traçabilité de ce que l’on met dans notre assiette.

* Le nom « chicoutai » n’a rien à voir avec le toponyme « Chicoutimi ».