Publié le 1 octobre 2021
Écrit par Chantal Ann Dumas, ND.A.
Je ne sais pas si les hommes viennent vraiment de Mars et les femmes de Vénus, mais je pense que l’une des choses sur lesquelles nous pouvons tous être d’accord en cette ère de controverses est que le cerveau des femmes diffère significativement de celui des hommes.
Parmi ces différences, nous savons avec certitude que les femmes reçoivent plus de diagnostics de trouble anxieux et de dépression[i], de maux de tête et de migraines[ii] ainsi que de certaines conditions telles que la maladie d’Alzheimer (MA)[iii]. En fait, les deux tiers de toutes les personnes atteintes de la MA d’apparition tardive sont des femmes[iv].
Mais à quoi cette importante différence entre les sexes par rapport à la cognition et à la fonction cérébrale est-elle attribuable ? Principalement aux hormones stéroïdiennes, aussi appelées « hormones sexuelles »[v]. Ces caractéristiques, conjuguées au cumul de deux décennies de commentaires de femmes craignant d’être en train de « devenir folles » dans le cadre de ma pratique clinique, m’ont motivée à démystifier la question.
Le cerveau et le système reproducteur
Les interactions entre le cerveau et le système reproducteur sont cruciales au bon vieillissement des femmes. Notre cerveau et nos ovaires font partie du système neuroendocrinien et communiquent constamment entre eux par le biais de nos hormones. Les hormones sexuelles telles que les estrogènes jouent un rôle important dans le maintien des fonctions reproductives, mais aussi d’autres fonctions. Leur contribution est notamment essentielle au maintien du fonctionnement du cerveau. Lorsque la chute du taux d’estrogènes affecte le cerveau, elle peut induire de nombreux symptômes incommodants tels que les troubles du sommeil et de l’humeur, les bouffées de chaleur, la fatigue ainsi que des troubles cognitifs et de la mémoire[vi].
Anatomie du cerveau à la ménopause
Les effets du déclin estrogénique sont plus marqués dans certaines régions spécifiques du cerveau. Par exemple, l’hypothalamus est chargé de la régulation de la température corporelle. Lorsque les estrogènes n’activent pas cette glande maîtresse correctement, le cerveau ne parvient plus à ajuster la température du corps, ce qui peut provoquer les tristement célèbres bouffées de chaleur que certaines femmes subissent à la ménopause[vii]. Puis, nous retrouvons le tronc cérébral, responsable du cycle sommeil-veille. Lorsque les estrogènes lui font défaut, cela peut se manifester par des troubles du sommeil[viii]. Finalement, nous avons l’amygdale – le centre émotionnel du cerveau – située près de l’hippocampe, siège de la mémoire. Lorsque les niveaux d’estrogènes diminuent dans ces régions, nous pouvons ressentir des sautes d’humeur et peut-être même, commencer à oublier des choses[ix].
Le cerveau et la production énergétique
Nous connaissons bien les estrogènes en tant que régulateurs fondamentaux du système métabolique féminin, mais cela s’applique aussi au cerveau. En effet, les estrogènes gèrent le transport du glucose, la glycolyse aérobie et la fonction mitochondrique afin de générer de l’énergie, ou ATP[x]. Un type d’estrogènes en particulier, l’estradiol, constitue la clé de voûte de la production énergétique dans le cerveau. Au niveau cellulaire, les estrogènes poussent littéralement les neurones à brûler le glucose pour produire de l’énergie. Lorsqu’elles sont à leur niveau optimal, l’énergie du cerveau l’est aussi, mais durant la ménopause, le déclin des estrogènes en circulation coïncide avec celui de la bioénergétique du cerveau, et un changement vers un phénotype métaboliquement compromis survient[xi]. Autrement dit, lorsque le niveau d’estrogènes baisse, les neurones commencent à ralentir et vieillissent plus rapidement. Ce phénotype au vieillissement accéléré engendre par la suite l’hypométabolisme du cerveau – une caractéristique souvent observée chez les femmes ménopausiques – et au déclin cognitif léger associé à la MA, également désigné sous le nom de « phase préclinique de la MA ». Des études ont démontré que ce processus peut mener à la formation des plaques amyloïdes caractéristiques de la MA[xii].
Estrogènes et fonctions cognitives
Les estrogènes possèdent de puissantes propriétés antioxydantes et exercent des actions neuroprotectrices. La baisse d’estrogènes est associée au dysfonctionnement mitochondrique, à la neuroinflammation, au déclin synaptique et cognitif ainsi qu’à une augmentation du risque de troubles associés au vieillissement[xiii]. Plusieurs études ont documenté les effets profonds et les différents mécanismes d’action des estrogènes sur la mémoire, l’humeur, l’état mental ainsi que sur les processus neurodéveloppementaux et neurodégénératifs, confirmant leurs propriétés neurotropiques, neuroprotectrices et psychoprotectives[xiv]. Par exemple, certaines femmes subissent une diminution de la mémoire verbale pendant la transition ménopausique, un changement qui a été associé aux modifications de la fonction hippocampique liées à la perte d’estradiol[xv].
Supporter l’équilibre hormonal, naturellement
Je sais qu’à ce stade, beaucoup de femmes pensent sans doute qu’elles manquent d’estrogènes et qu’elles devraient se soumettre à une thérapie hormonale substitutive. Cependant, sachez que les hormones synthétiques comportent aussi des risques qui doivent être bien évalués. Par contre, les aliments que nous consommons, la pratique d’activités physiques, la quantité et la qualité de notre sommeil, notre degré d’exposition au stress et notre capacité à le gérer sont autant de facteurs qui affectent nos hormones, pour le meilleur et pour le pire. Par exemple, des études ont démontré que les femmes consommant le régime méditerranéen éprouvent non seulement moins de bouffées de chaleur, mais elles présentent aussi un risque beaucoup plus faible de souffrir de déclin cognitif, de dépression, de maladie cardiaque, d’accident vasculaire cérébral et de cancer[xvi]. Je vous parlais d’ailleurs des bienfaits de ce régime sur la production d’oxyde nitrique lors de ma dernière chronique intitulée : À vos salades ! Le régime méditerranéen est aussi plutôt riche en aliments renfermant des estrogènes végétaux (phytoestrogènes) qui modulent l’activité des récepteurs estrogéniques de notre corps. On a effectivement recours aux plantes – sous forme alimentaire ou médicinale – depuis des millénaires pour soulager les symptômes menstruels et de la ménopause. Parmi celles-ci, notons le gingembre, le houblon, le chardon-Marie, le trèfle rouge, la sauge, le soja, l’actée à grappes noires et le vitex, pour n’en nommer que quelques-unes[xvii].
Conclusion
La ménopause est une étape naturelle (ou artificiellement induite) universelle, vécue par toutes les femmes. Étant donné que nous pouvons raisonnablement espérer passer en moyenne un tiers de notre vie au stade post-ménopausique[xviii], il est essentiel d’en tenir compte lorsqu’il est question de fonction cérébrale et de maladie d’Alzheimer (MA). Surtout, nous devons adopter les modifications au régime alimentaire et au mode de vie qui permettent d’optimiser l’équilibre hormonal et notre santé globale AVANT l’amorce du processus de déclin cognitif. Plusieurs stratégies relevant des diverses traditions médicinales et soutenues par la science permettent de protéger notre cerveau contre le vieillissement accéléré et ses conséquences délétères. Je vous en ferai part dans une prochaine chronique.
RÉFÉRENCES
[i] Parker G, Brotchie H. Gender differences in depression. Int Rev Psychiatry. 2010;22(5):429-36. doi: 10.3109/09540261.2010.492391. PMID: 21047157.
[ii] Lipton RB, Bigal ME, Diamond M, Freitag F, Reed ML, Stewart WF; AMPP Advisory Group. Migraine prevalence, disease burden, and the need for preventive therapy. Neurology. 2007 Jan 30;68(5):343-9. doi: 10.1212/01.wnl.0000252808.97649.21. PMID: 17261680.
[iii] Nebel RA, Aggarwal NT, Barnes LL, et al. Understanding the impact of sex and gender in Alzheimer’s disease: A call to action. Alzheimers Dement. 2018;14(9):1171-1183. doi:10.1016/j.jalz.2018.04.008
[iv] Mosconi L, Rahman A, Diaz I, Wu X, Scheyer O, Hristov HW, Vallabhajosula S, Isaacson RS, de Leon MJ, Brinton RD. Increased Alzheimer’s risk during the menopause transition: A 3-year longitudinal brain imaging study. PLoS One. 2018 Dec 12;13(12):e0207885. doi: 10.1371/journal.pone.0207885. PMID: 30540774; PMCID: PMC6291073.
[v] Nebel RA, Aggarwal NT, Barnes LL, et al. Understanding the impact of sex and gender in Alzheimer’s disease: A call to action. Alzheimers Dement. 2018;14(9):1171-1183. doi:10.1016/j.jalz.2018.04.008R
[vi] Echeverria V, Echeverria F, Barreto GE, Echeverría J, Mendoza C. Estrogenic Plants: to Prevent Neurodegeneration and Memory Loss and Other Symptoms in Women After Menopause. Front Pharmacol. 2021 May 20;12:644103. doi: 10.3389/fphar.2021.644103. PMID: 34093183; PMCID: PMC8172769.
[vii] Freedman RR. Menopausal hot flashes: mechanisms, endocrinology, treatment. J Steroid Biochem Mol Biol. 2014;142:115-120. doi:10.1016/j.jsbmb.2013.08.010
[viii] Brown RE, Basheer R, McKenna JT, Strecker RE, McCarley RW. Control of sleep and wakefulness. Physiol Rev. 2012;92(3):1087-1187. doi:10.1152/physrev.00032.2011
[ix] Mosconi, L. How menopause affects the brain. TEDWomen 2019. https://www.ted.com/talks/lisa_mosconi_how_menopause_affects_the_brain/transcript?language=en#t-413417
[x] Rettberg JR, Yao J, Brinton RD. Estrogen: a master regulator of bioenergetic systems in the brain and body. Front Neuroendocrinol. 2014;35(1):8-30. doi:10.1016/j.yfrne.2013.08.001
[xi] Rettberg JR, Yao J, Brinton RD. Estrogen: a master regulator of bioenergetic systems in the brain and body. Front Neuroendocrinol. 2014;35(1):8-30. doi:10.1016/j.yfrne.2013.08.001
[xii] Zárate S, Stevnsner T, Gredilla R. Role of Estrogen and Other Sex Hormones in Brain Aging. Neuroprotection and DNA Repair. Front Aging Neurosci. 2017;9:430. Published 2017 Dec 22. doi:10.3389/fnagi.2017.00430
[xiii] Zárate S, Stevnsner T, Gredilla R. Role of Estrogen and Other Sex Hormones in Brain Aging. Neuroprotection and DNA Repair. Front Aging Neurosci. 2017;9:430. Published 2017 Dec 22. doi:10.3389/fnagi.2017.00430
[xiv] Gillies GE, McArthur S. Estrogen actions in the brain and the basis for differential action in men and women: a case for sex-specific medicines. Pharmacol Rev. 2010;62(2):155-198. doi:10.1124/pr.109.002071
[xv] Rentz DM, Weiss BK, Jacobs EG, Cherkerzian S, Klibanski A, Remington A, Aizley H, Goldstein JM. Sex differences in episodic memory in early midlife: impact of reproductive aging. Menopause. 2017 Apr;24(4):400-408. doi: 10.1097/GME.0000000000000771. PMID: 27824681; PMCID: PMC5365356.
[xvi] Mediterranean Diet May Protect Against Alzheimer’s Disease. Weill Cornell Medicine Newsroom. https://news.weill.cornell.edu/news/2018/05/mediterranean-diet-may-protect-against-alzheimer%E2%80%99s-disease
[xvii] Echeverria V, Echeverria F, Barreto GE, Echeverría J, Mendoza C. Estrogenic Plants: to Prevent Neurodegeneration and Memory Loss and Other Symptoms in Women After Menopause. Front Pharmacol. 2021 May 20;12:644103. doi: 10.3389/fphar.2021.644103. PMID: 34093183; PMCID: PMC8172769.
[xviii] Nebel RA, Aggarwal NT, Barnes LL, et al. Understanding the impact of sex and gender in Alzheimer’s disease: A call to action. Alzheimers Dement. 2018;14(9):1171-1183. doi:10.1016/j.jalz.2018.04.008