Publié le 15 novembre 2017
Écrit par Daniel-J. Crisafi, nd.a., m.h., ph. d.
Le régime paléolithique, ou régime paléo, est certes l’un des régimes les plus populaires pour l’accroissement de la performance athlétique ainsi que pour la perte de poids.
Ce régime comprend des variations, tout comme pour les autres régimes populaires, mais ce qui est présenté ici est le régime paléo tel que défini par son « créateur » récent, le Dr Loren Cordain, auteur de The Paleo Diet. Dr Loren Cordain est mentionné à titre de « créateur » récent, car l’idée d’un régime paléolithique n’est pas nouvelle. En effet, elle date de la période paléolithique !
UN PEU D’HISTOIRE
Un nutritionniste américain, Irvin P. Johnson, connu par son pseudonyme Rheo H. Blair, a recommandé, durant les années 1950, un régime très similaire au régime paléolithique. Le régime de Blairaété suivi surtout par les adeptes de culture physique ou de bodybuilding des années 1950 et 1960. L’entraîneur des vedettes, Vince Gironda, en a fait la base du régime de ses protégés, dont Arnold Schwarzenegger.
En 1975, le médecin américain Walter Voegtlin a publié un livre, The Stone Age Diet, qui avançait que les humains sont des carnivores et que le régime alimentaire humain doit consister, avant tout, d’aliments de source animale.
Au milieu des années 1980, deux médecins américains, Eaton et Konner, ont publié une étude dans laquelle ils ont développé les idées de Voegtlin. L’article publié dans la prestigieuse revue New England Journalof Medicine, intitulé « Paleolithic Nutrition : A Consideration of its Nature and Current Implications », a donné à la théorie un air de respectabilité. Selon ces deux chercheurs, à l’âge de pierre, les gens ne souffraient pas de maladies de civilisation comme le cancer, le diabète ou les maladies cardiovasculaires. D’après ces deux chercheurs, c’est l’importante différence dans le régime alimentaire et le niveau d’activité physique qui expliquerait l’absence de ces maladies à cette époque. Plus tard, en 1989, les auteurs ont publié un livre, The Paleolithic Prescription, dans lequel ils exposent leur thèse et offrent des suggestions alimentaires précises.
QU’EST-CE QUE LE RÉGIME PALÉOLITHIQUE ?
Le régime paléo se limite aux aliments que consommaient nos ancêtres éloignés, ceux de la période dite paléolithique, il y a de3 millions d’années à 12 000 ans environ. Comme nos ancêtres étaient des chasseurs-cueilleurs, les adeptes du régime paléo découragent la consommation d’aliments qui n’ont été disponibles que grâce à l’avènement de l’agriculture et de l’élevage. Imaginez, si vous le pouvez, votre ancêtre, certes très éloigné, et ce qu’il aurait pu se mettre sous la dent à son époque. Ses aliments de base auraient été les végétaux sauvages, les légumes, les fruits et les noix, qu’il pouvait cueillir, ainsi que des insectes. En plus de la chasse et de la pêche et de ce qu’il pouvait facilement cueillir, il a aussi pu voler quelques œufs et du miel sauvage, lorsque ceux-ci étaient accessibles. Non, votre ancêtre paléolithique ne consommait pas de produits laitiers, car ceux-ci étaient assez difficiles d’accès. La domestication et l’élevage des bovins et des caprins n’existaient pas, et il aurait été difficile de trouver un mammifère sauvage afin de lui extraire du lait.
Les adeptes du régime paléolithique moderne vont parfois un peu plus loin en recommandant l’élimination des légumineuses et des pommes de terre, que les gens de l’âge de pierre auraient consommées.
Le régime paléolithique consiste donc en des aliments végétaux (fruits, graines, légumes et noix) et en des aliments de sources animales (amphibiens, insectes, mammifères, volailles et poissons). Fait intéressant à noter, la majorité des livres recommandant le régime paléolithique semblent ignorer (volontairement ou non) la consommation d’insectes et d’amphibiens. Le rapport alimentaire de ce régime est intéressant. En effet, Eaton et Konner suggèrent un rapport de 45 % de glucides, principalement des fruits et légumes ; 35 % de protéines et 20 % de gras.
Le gras dans ce cas-ci est celui qui est naturellement présent dans les tissus animaux ainsi que dans les noix et les graines.
Ce régime ne comprend donc rien de ce qui est issu de l’élevage ou de l’agriculture et qui n’aurait pas été accessible à l’état sauvage.
« Grâce à la chimie isotopique, on en sait désormais plus sur le régime paléolithique des néandertaliens. Au menu : 80 % de viande de mammouth et de rhinocéros, en plus de 20 % de végétaux. » Natura Sciences, 17 mars 2016
POURQUOI ?
L’argument des tenants du régime paléolithique est simple. D’après des recherches en anthropologie médicale, nos maladies les plus importantes, telles que le cancer et les maladies cardiovasculaires, n’existaient virtuellement pas à l’âge de pierre. Or, le régime alimentaire de nos aïeux était très différent du nôtre, avec l’absence de grains et de produits laitiers et une quantité minime de sucres simples. Les humains ont suivi ce régime pendant à peu près deux millions d’années et s’y sont adaptés génétiquement. Il y a environ 10 000 ans, ce régime a commencé à changer radicalement. En effet, les êtres humains ont commencé à consommer des groupes d’aliments jusqu’alors absents du régime, tels que les grains céréaliers (blé, millet, orge, etc.) et les produits laitiers. Selon ces partisans du régime paléo, notre régime actuel n’est donc pas adapté à notre génétique. Ils recommandent donc un retour à nos sources alimentaires ancestrales afin de diminuer l’incidence des maladies dégénératives.
POINTS POSITIFS
Le régime paléolithique a plusieurs points positifs à son acquis. Dans un premier temps, tout régime qui augmentera la proportion de protéines tout en encourageant la consommation d’une grande quantité de fruits et de légumes ne peut avoir que des effets bénéfiques. Notre régime alimentaire actuel, basé en partie sur celui de nos aïeux récents, est trop centré sur la consommation de grains céréaliers et de glucides. Pains, pâtes et patates sont encore la base de l’alimentation chez plusieurs. Or, le régime paléolithique apporte un correctif important à cette situation. Finalement, ce régime mène inéluctablement à une importante baisse dans la consommation de sucres simples, avec d’excellents résultats sur la santé.
Ce régime offre aussi une certaine facilité lorsqu’il est question de la préparation des plats. En effet, rien de plus simple que de faire mijoter des cubes de bœuf avec des herbes aromatiques et quelques légumes. Et que dire d’une poitrine de poulet grillé accompagnée d’une grande salade verte ? Le régime paléo peut donc encourager la préparation de plats simples, cuisinés avec aisance et rapidité.
De plus, le régime paléolithique n’est pas un régime pratiqué dans le vide. En effet, il bénéficie de plusieurs études récentes. Ces études, entreprises pour la plupart depuis les années 2000, soulignent que le régime paléolithique peut en effet avoir un effet positif sur le taux de sucre sanguin, les lipides sanguins (cholestérol et triglycérides) et sur l’hypertension artérielle. Il a aussi démontré des effets positifs sur la perte de poids.
POINTS NÉGATIFS
Même s’il est bien plus équilibré que d’autres régimes « miracles », le régime paléolithique strict a néanmoins quelques lacunes, dont celle d’être limitant. Commençons par la critique de leurs prémisses.
Premièrement, et contrairement à ce que pensaient les auteurs de Paleo Prescription, les populations à l’âge de pierre souffraient aussi de maladies dégénératives. Certes, celles-ci n’étaient pas aussi présentes qu’aujourd’hui, mais il y en avait. De plus, comme la moyenne d’âge durant la période paléolithique était considérablement plus courte que celle d’aujourd’hui, il est normal que le taux de maladies dégénératives ait été plus bas à cette époque. En effet, les gens ne vivaient en général pas assez longtemps pour souffrir de ces maladies de vieillesse.
Deuxièmement, mettre l’accent sur le régime paléolithique sans mettre autant d’accent sur le niveau d’activité physique, c’est brouiller les cartes. Si nous acceptons l’hypothèse que ces gens étaient plus en santé, il faut alors pratiquer à la fois leur régime alimentaire et leur niveau d’activité physique. L’activité physique est tout aussi importante que l’alimentation.
Il est vrai que l’agriculture et l’élevage ont été introduits dans l’histoire de l’humanité qu’il y a 10 000 ans environ. Mais il ne faut pas oublier que ces pratiques, du fait qu’elles ont libéré les humains du besoin de chasser, de fourrager et de migrer en suivant les troupeaux, ont permis le développement de la civilisation et de la culture. Les gens de l’âge paléolithique étaient très actifs, mais presque littéralement incultes !
Finalement, des études ont démontré que contrairement à ce qu’ont suggéré certains théoriciens du régime paléo, les humains s’adaptent rapidement à des changements alimentaires. Certes, nous ne parlons pas d’adaptation sur quelques centaines d’années, mais sur quelques millénaires. À titre d’exemple, la biologiste Marlene Zuk a démontré que les êtres humains se sont adaptés biologiquement à la consommation de produits laitiers.
En effet, même si les humains ne produisaient pas initialement l’enzyme lactase, nécessaire pour digérer le sucre du lait, leurs descendants ont développé la capacité d’en produire. Nous ne pouvons donc pas conclure que comme nos ancêtres éloignés n’avaient pas la capacité de digérer, d’absorber ou de métaboliser une substance alimentaire, nous ne l’avons pas non plus.
Il faut aussi noter que le régime lui-même comporte quelques lacunes. En effet, ce régime comporte quelques limites ou failles importantes sur le plan pratique. En effet, l’exclusion de légumineuses, de produits laitiers et de grains céréaliers limite considérablement la variété alimentaire. Oubliez le repas italien avec pâtes (même les pâtes sans gluten) ou le repas tunisien composé de couscous, de pois chiches et d’agneau. Que dire des repas asiatiques quand il n’y a aucun riz ? Pour ce qui est du pâté chinois traditionnel, ne mangez que la viande, car le maïs et les pommes de terre sont hors de question. Si vous voulez une pizza (de qualité et naturelle, certes !) vous devrez la demander sans croûte (même pas les croûtes sans gluten) et sans fromage.
Eh oui, le régime paléolithique est sans équivoque contre tous les grains céréaliers, quelle qu’en soit la quantité. Or, les grains céréaliers sont une partie importante d’un régime équilibré. En effet, même si nous consommons certainement trop de grains dans notre régime actuel, éliminer complètement tous les grains du régime peut compromettre l’effort vers une santé optimale.
Une critique similaire peut être faite en ce qui concerne la consommation de légumineuses. L’élimination des légumineuses entraîne par le fait même une diminution de la qualité du régime. Les légumineuses contiennent une variété de composants nutritionnels qui ont démontré d’importants effets contre le cancer et les maladies cardiovasculaires. En réduire la consommation revient à réduire la qualité du régime alimentaire.
Depuis plusieurs années, les experts nous vantent les bienfaits du régime méditerranéen. Or, ce régime, bien documenté pour ses effets positifs sur la santé, comporte une importante composante de grains (couscous, pain ou pâtes), de légumineuses (lentilles ou pois chiches) et d’huiles végétales (huile d’olive). Dans ce cas-ci, trois des groupes d’aliments interdits dans le régime paléolithique sont à la base d’un régime alimentaire sain.
MOT DE LA FIN
Le régime paléolithique pur et dur est donc un régime qui est très, voire inutilement, restreint pour la majorité des gens. Par contre, un régime paléolithique modéré, dans lequel nous réduisons notre consommation souvent excessive de grains, augmentons de façon importante nos protéines et nos aliments végétaux et diminuons considérablement notre consommation de sucres simples ne peut qu’être bénéfique pour la santé.
Ce régime peut servir de régime thérapeutique temporaire pour les personnes qui veulent perdre du poids rapidement. Il peut aussi servir de régime de pointe chez des athlètes qui veulent améliorer leur performance ou augmenter leur masse maigre. Par contre, étant donné ses limites, il ne devrait pas servir de régime quotidien permanent.
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