Notre système de santé dans 50 ans

Publié le 16 février 2023
Écrit par Eric Simard, docteur en biologie et chercheur

Notre système de santé dans 50 ans

Nous sommes en 2073 et les 100 dernières années nous ont appris qu’il vaut mieux garder les gens en santé que de faire des efforts pour augmenter l’accessibilité aux soins. Les médecins de famille, spécialistes du diagnostic, sont devenus la porte d’entrée des soins et non pas de la santé. Les avancés de la science en regard de la prévention et de la demande de la population de jouir d’une plus grande qualité de vie, et ce, plus longtemps, ont mené au développement d’une nouvelle catégorie de professionnels voués à garder les gens en santé.

 

Libre pensée

Vous comprendrez que le texte qui suit n’est pas un texte scientifique soutenu par une grande quantité de références récentes comme j’ai l’habitude de le faire, mais un partage d’une vision qui pourrait faire évoluer notre façon de voir les choses. Et si nous étions réellement capables de tout réinventer ? De quoi aurait l’air notre système de santé ? On dit qu’un dollar investi en prévention fait économiser trois dollars en traitement.

Je me permets donc de me propulser 50 ans en avant et d’imaginer que la réflexion actuelle de réformer encore le système donnerait lieu à une longue transformation ayant pour but de remettre la santé à l’avant-plan. J’essaie ici de traduire, non pas seulement ma vision, mais aussi mes discussions des dernières années avec des professionnels de la santé et des praticiens en approches complémentaires qui regardent la forêt au lieu d’être parmi les arbres. Que pensent-ils, ces médecins, pharmaciens, infirmières, naturopathes, psychologues, ostéopathes, chiropraticiens, acupuncteurs, amis ? Le besoin de recul n’a jamais été aussi grand que présentement. Et si cela devenait une réalité ?

 

Le diagnostic : une dérive de plus de 150 ans

Thomas A. Edison disait (1903) : « Le médecin du futur ne donnera pas de médicaments ; il formera ses patients à prendre soin de leur corps, à la nutrition et aux causes et à la prévention des maladies ». Nous pouvons nous dire que c’était un grand visionnaire, qu’il avait déjà raison et que cette évolution de la médecine aura nécessité plus de 175 ans (rappelons que nous sommes en 2073).

Il aura fallu exactement 150 ans après Edison en 2053, après plusieurs discussions avec des praticiens en approches complémentaires, pour que le nouveau jeune président du Collège des médecins déclare : « il est temps d’arrêter de chercher à optimiser le système et d’optimiser la santé de la population. » C’est que trente ans après la pandémie, qui aura mis à rude épreuve le système de santé et divisé fortement la population, les changements apportés visant principalement l’accessibilité aux soins n’auront pas beaucoup porté fruit et c’est tout à fait normal.

Durant ces trente années, le vieillissement de la population et l’augmentation de l’espérance de vie auront totalement annulé les bénéfices dégagés par l’augmentation de l’efficacité à l’accessibilité aux soins. Il est vrai que les médecins de famille n’étaient plus les seules portes d’entrée, que les pharmaciens et les infirmières jouent un rôle plus important, avec plus d’autonomie, mais tout cela ne suffisait toujours pas.

L’analyse de la gestion de cette pandémie mondiale, qui marquait le début d’une présence permanente de ces virus en constante mutation, avait pourtant clairement démontré qu’au cours de ces huit années, il aurait été facilement possible de mettre en place des recommandations permettant à la population de réduire son risque de développer la forme grave de la COVID-19.

Sans nier l’importance des vaccins et des mesures préventives de nature physique (lavage des mains, distanciation et masque), les études avaient documenté à tour de rôle l’effet aggravant des mauvaises habitudes de vie et des carences en nutriments comme le zinc, le sélénium, le magnésium, la vitamine D, la vitamine B6 et les oméga-3. Des équipes multidisciplinaires ont même déterminé que toutes ensemble, ces considérations reliées à l’alimentation ou à la prise de suppléments auraient pu sauver des centaines de milliers de vies.

Pourquoi cette difficulté à considérer l’optimisation de la santé ? C’est la faute à ce qui était sous-jacent à l’énoncé de Thomas A. Edison : le diagnostic. C’est l’augmentation de la place du diagnostic comme élément essentiel à recevoir des soins, qui a lentement, sur une période de plus de 150 ans, éloigné nos médecins de la possibilité de jouer un rôle d’optimisation de la santé.

Le diagnostic faisait figure de proue ; il n’est pas possible d’avoir des recommandations de saines habitudes de vie si l’on est en santé, puisqu’aucun diagnostic ne précise les lignes de prise en charge.

Il faudrait diagnostiquer une carence pour des paramètres qui n’engendrent pas nécessairement de symptômes apparents ; ce n’est pas possible. La définition nous dit qu’il faut regarder ailleurs : « Constitue l’exercice de la médecine tout acte qui a pour objet de diagnostiquer ou de traiter toute déficience de la santé d’un être humain. »

« Déficience de la santé » sous-entend que bien qu’une carence puisse créer une situation dans laquelle la santé n’est pas optimale, comme l’efficacité du système immunitaire, il ne s’agit pas nécessairement d’une situation créant des symptômes de « déficience ». Il aura donc fallu créer une autre catégorie de professionnels qui ne pratiqueraient pas la médecine selon cette définition limitative.

 

Un changement de paradigme : la santé au lieu de la maladie

Durant ce règne du diagnostic de plus de 150 ans, nous avons lentement perdu de vue que cette étape arrive en quatrième place sur l’expression physiologique de la santé : 1) un problème, 2) un symptôme, 3) la catégorisation du symptôme, 4) le diagnostic, 5) le traitement et 6) le suivi. Plus nous sommes loin du problème, plus l’approche choisie vise le symptôme, plus la possibilité de rétablir la santé est peu probable.

Il s’ensuivra une situation de traitement perpétuel que nous avons justifié par la classification des maladies dites chroniques. Les maladies chroniques deviennent ainsi une porte d’acceptation d’un état nécessitant des traitements jusqu’à la fin des jours des patients sans possibilité du rétablissement de la santé.

Pourtant, il y a 50 ans, en 2023, à l’époque de cette pandémie, certaines maladies chroniques commençaient déjà à être guéries. Agissant avec une certaine gêne face à cette situation, nous parlions de renversement plutôt que de guérison pour le diabète de type II, certaines maladies cardiovasculaires, et même, l’Alzheimer.

Ce phénomène de renversement, de rétablissement de la santé, avait pris racine 30 ans plus tôt, à l’échelle internationale, avec des universités comme Harvard qui enseignaient déjà la médecine fonctionnelle : une médecine vouée à traiter le problème au lieu du symptôme.

Les réformes de 2023 n’ayant pas laissé place à un changement d’objectif pour favoriser la santé et prioriser le renversement des maladies chroniques, ces pratiques émergentes de renversement auront quand même permis d’en documenter les répercussions afin de provoquer ce changement de paradigme de 2053. Il est maintenant ancré dans l’histoire québécoise par l’énoncé mentionné auparavant, de David Mafolini, médecin d’origine italienne, alors président du Collège des médecins : « il est temps d’arrêter de chercher à optimiser le système et d’optimiser la santé de la population. »

 

Pour que cela existe, il faut être en mesure de le nommer

Pour donner suite à ce constat de 2053, il devenait évident que la meilleure approche ne serait pas de changer les objectifs des médecins actuels, qui soit dit en passant font très bien ce pour quoi ils ont été formés. Il devenait nécessaire de créer une nouvelle classe de professionnels dont l’objectif serait d’optimiser la santé au lieu d’attendre que les gens soient malades ; « nous allons arrêter de créer des casernes de pompier et nous concentrer à réduire les risques d’incendie », déclarait alors Judite Beausecourt, la ministre de la Santé, responsable de la mise en place de cette nouvelle vision.

Cette réforme prodigieuse du système de la maladie pour en faire un réel système de santé allait passer par l’élaboration d’un nouveau programme de formation universitaire visant à créer les intégralistes santé. Une nouvelle catégorie de professionnels : « il a pour objectif de guider et d’optimiser l’état de santé de la population ». Basée sur une approche de santé intégrative, de coaching santé et faisant place à des professionnels de différents horizons, cette approche fut applaudie des praticiens en approches complémentaires, particulièrement par les naturopathes.

Confortés par l’obtention récente de leur ordre professionnel en 2033, les naturopathes du Québec revendiquèrent alors les actes de cette nouvelle profession qui représentait l’essentiel de leurs raisons d’être. Après quelques années de négociation d’une reconnaissance facilitant l’entrée des naturopathes dans ce nouveau programme et la création d’un ordre professionnel conjoint, cette nouvelle profession voyait le jour.

 

Les intégralistes santé

C’est ainsi qu’en 2073, les intégralistes santé, qui sont majoritairement d’anciens naturopathes, mais aussi d’anciens médecins, pharmaciens, infirmières, ostéopathes et autres praticiens, sont devenus la première porte d’accès à un système ayant pour but d’optimiser la santé de la population. Il est intéressant de souligner que plusieurs de ces professionnels ont accepté de réduire leur salaire afin d’embrasser une pratique avant tout orientée sur la santé et non sur le traitement de la maladie.

Un traitement plus humain, qui considère à la fois les préférences de la population, mais aussi les chances de succès basées sur les données probantes, afin de conseiller la meilleure approche, non pas pour le système, mais pour la personne.

La baisse de la pression sur les médecins de famille aura permis, pour la première fois de l’histoire du Québec, de réduire les efforts de formation de nouveaux médecins tout en ayant une population pleinement accompagnée pour optimiser et diagnostiquer sa santé ou en prendre soin.

Malgré l’augmentation de la population et le vieillissement de celle-ci, les nouveaux résultats publiés par l’INOSSS (l’Institut national d’optimisation de la santé et des services sociaux) démontrent une réduction importante des coûts par habitant. L’Hôpital Beausecourt, nouvel hôpital de Laval, viendra souligner l’importance qu’aura eue cette transformation pour les Québécois.

 

Mot de la fin

Il est facile de jouer les gérants d’estrade, mais il est toujours bénéfique de partager une vision, de faire briller sa lumière, dans l’esprit de participer à la réflexion. Mon objectif n’est bien sûr pas de critiquer le système actuel dont les employés sont durement éprouvés par la situation des dernières années. J’en profite pour les remercier chaleureusement. Ils ont effectué un travail remarquable, mais j’aimerais les voir dans une meilleure position, avec plus de temps, moins stressés, avec une population plus en santé.