Nourrir son microbiote pour garder le sourire !

Publié le 8 juin 2020
Écrit par Véronique Bourbeau, ND.A, herboriste clinicienne

Nourrir son microbiote pour garder le sourire !

Tout le monde connaît des épisodes de fluctuation émotionnelle ; toutefois, les personnes atteintes de troubles de l’humeur les éprouvent avec plus d’intensité et sur de plus longues périodes que la plupart des gens. La communauté médicale convient que les neurotransmetteurs ont une influence majeure sur le comportement et les troubles de santé mentale et que cette tendance serait liée, pour une grande partie, à une prédisposition génétique. En dépit des améliorations apportées au diagnostic et de la variété des traitements offerts, près du quart des utilisateurs jugeraient ces derniers inadéquats et insatisfaisants1. La tendance croissante des afflictions mentales à travers le monde indique un besoin urgent d’innovation afin de considérer la santé mentale sous un nouvel angle. 

Le microbiote intestinal est la collection de micro-organismes, principalement des bactéries, qui résident dans le tractus gastro-intestinal de l’hôte humain2. On estime que ces microbes sont plus nombreux que les cellules humaines3 et qu’ils expriment 100 fois plus de gènes que leur hôte humain4, d’où l’intérêt grandissant de leur participation dans l’état de santé.

Il existe une relation bidirectionnelle entre l’intestin et la fonction cérébrale (c’est-à-dire l’axe microbiote-intestin-cerveau). Les données accumulées indiquent que le microbiote intestinal communique avec le système nerveux central par diverses voies, notamment le nerf vague, le système immunitaire et les voies endocrines. Les études sur les humains et les animaux fournissent de plus en plus de preuves suggérant un lien étroit entre la composition du microbiote intestinal et le développement de troubles mentaux tels que la dépression et l’anxiété5, 6.

Les communautés microbiennes se développent essentiellement au cours des premières années de la vie et demeurent relativement résistantes au changement. Cependant, il est reconnu que des facteurs tels que la prise d’antibiotiques, la composition du régime alimentaire, les fluctuations glycémiques et l’exposition au stress provoquent des altérations significatives du microbiote et peuvent favoriser les troubles neuropsychologiques.

La nutrition et le bonheur

Au cœur de l’intestin se trouve un système nerveux dit entérique. Les neurones appartenant à cet organe participent, conjointement au microbiote, à l’équilibre et à la régulation de nos neurotransmetteurs. En effet, l’intestin produit une large gamme d’hormones et environ 40 types de neurotransmetteurs identiques à ceux qui sont présents dans le cerveau. Parmi les neurotransmetteurs issus généreusement de l’intestin, nous retrouvons la sérotonine, la dopamine et le GABA7. Ensemble, ils régulent l’humeur, le sommeil, l’appétit, et interviennent dans la prévention de la dépression et de l’anxiété. 

La sérotonine est essentielle pour l’épanouissement et le bien-être en général, et les gens l’associent souvent à une attitude positive. La recherche a lié un faible taux de sérotonine à des troubles de l’humeur, neurotransmetteur qui semble tenir un rôle important dans la dépression. Il est estimé qu’environ 90 à 95 % de la sérotonine utilisée par l’organisme est produite dans l’intestin. 

Le tryptophane est un acide aminé indispensable à la production de sérotonine. Il est essentiel au fonctionnement du cerveau et permet un sommeil réparateur. Le tryptophane se retrouve dans les aliments, contrairement à la sérotonine. Puisque l’organisme n’est pas capable de le fabriquer, il doit absolument provenir de l’assiette. Parmi les sources alimentaires les plus riches en tryptophane, nous retrouvons la dinde, les œufs, le saumon et l’avoine. 

Le microbiote intestinal régule à la fois la voie métabolique du tryptophane7, en plus d’assurer l’absorption de la vitamine B6 et du magnésium, issus du régime alimentaire. Ces éléments représentent des cofacteurs intervenant dans la synthèse de l’ensemble des neurotransmetteurs, dont la sérotonine. Par ailleurs, la concentration de vitamine B6 dans le cerveau est environ 100 fois plus élevée qu’au niveau sanguin, il n’est donc pas surprenant que la carence en cette vitamine entraîne des conséquences neuropsychologiques. Les meilleures sources de vitamine B6 sont les pois chiches, le foie de bœuf de pâturage, le thon à queue jaune, le saumon sockeye, la volaille, la pomme de terre et la banane.

La dopamine, pour sa part, est impliquée dans les processus de motivation et de récompense. Elle participe à l’attention, à la mémoire et au sentiment de dépendance. Lorsque la dopamine est libérée en grande quantité, elle crée une vague de plaisir et d’enthousiasme. Environ 50 % de la dopamine utilisée par l’organisme est produite par les neurones entériques, avec la contribution du microbiote, à partir de la phénylalanine et de la tyrosine. Des études montrent que l’augmentation de la quantité de tyrosine et de phénylalanine dans l’alimentation augmente les niveaux de dopamine dans le cerveau, alors qu’à l’inverse, lorsque ces acides aminés sont peu consommés ou peu absorbés, les niveaux de dopamine s’amenuisent8. Ces deux acides aminés se trouvent naturellement dans les aliments riches en protéines comme la dinde, le bœuf, les œufs, les produits laitiers et les légumineuses.

Le GABA est une autre substance importante produite par la flore intestinale. Il tient le rôle de neurotransmetteur inhibiteur. En d’autres termes, il calme l’esprit et nous donne accès à la zénitude. En modifiant ainsi l’activité neuronale, le GABA contrôle le sentiment de panique, la détresse psychologique, l’hostilité et l’anxiété. Il nous permet de mieux gérer le stress et de diriger notre attention. Une équipe de recherche a publié dans le Journal of Applied Microbiology que certains types de bactéries intestinales assuraient la production de ce neurotransmetteur, soit les lactobacilles et les bifidobactéries à partir de la glutamine9. Les meilleures sources alimentaires de cet acide aminé sont le bouillon de poulet, la viande de pâturage, les fruits de mer, les œufs, les produits laitiers, le chou et les noix.

Le sucre et le bonheur

Bien que le principal carburant pour le cerveau soit le glucose, ceci ne signifie pas qu’il faille en manger exagérément afin d’améliorer la performance mentale pour autant ! Bien connue pour sa tendance à augmenter la sensation de bien-être à très court terme, la dent sucrée contribuerait plutôt à la dépression, l’anxiété, l’irritabilité, la confusion, les excès de colère et la fatigue. En effet, les afflux de sucre dans la circulation sanguine ont de multiples effets néfastes sur le cerveau et le microbiote en entraînant une carence importante en neurotransmetteurs, notamment en sérotonine, en dopamine et en GABA. Les substances requises pour produire ces neurotransmetteurs, comme les vitamines B et le magnésium, s’épuisent également10. 

Les fluctuations glycémiques induites par la consommation régulière de sucre perturbent le comportement en plus de favoriser un phénomène que l’on nomme « dysbiose ». La dysbiose s’oppose en quelque sorte à la symbiose. La symbiose signifie un état harmonieux et un partenariat avantageux entre les germes de l’intestin et les cellules humaines, alors que la dysbiose se réfère à un état de déséquilibre dans la biodiversité microbienne (en qualité et/ou en quantité). Dans une telle condition, les micro-organismes opportunistes (appelés « pathobiontes »), normalement peu nombreux et secondaires, deviennent dominants, alors que les bactéries bénéfiques se font plus rares. Ce remaniement de l’intestin interviendrait dans l’apparition et la sévérité de certaines pathologies, dont la dépression. En effet, certaines bactéries néfastes consommeraient le précieux tryptophane dans le but de se reproduire au détriment de la synthèse de la sérotonine11. Comme quoi une dysglycémie entraîne des carences en sous-produits issus des bactéries intestinales, essentiels à la santé nerveuse12. 

Des preuves récentes ont démontré que les saines bactéries de l’intestin produisent également une substance nommée BDNF, soit le facteur neurotrophique dérivé du cerveau. Cette molécule est une protéine essentielle pour la croissance cérébrale. Elle est impliquée dans la protection des cellules nerveuses existantes, mais aussi dans la neurogenèse, soit le processus de formation de nouveaux neurones. Or, des taux réduits en BDNF sont observés dans une multitude d’affections neuropsychologiques telles que la dépression, l’anxiété et les troubles obsessifs compulsifs. Vous l’aurez deviné, les fonctions du BDNF sont affectées par un débalancement de la glycémie, d’où l’importance de nourrir adéquatement son microbiote.

Afin de préserver le fonctionnement du cerveau, la régulation de la glycémie est la priorité. Pour ce faire, il est suggéré de limiter la consommation de glucides pauvres en fibres, d’optimiser les sources de protéines, dont les légumineuses, et de prioriser les bons gras, en plus de ne pas abuser des fruits, de maintenir une régularité dans l’horaire des repas et des collations, de limiter la consommation de stimulant comme le café, de ne sauter aucun repas et de miser sur l’activité physique. D’ailleurs, l’une des façons non alimentaires d’augmenter la synthèse de BDNF est justement la pratique régulière d’un sport !

Le stress et l’intestin

En cette période d’incertitude globale, de distanciation sociale et de confinement à domicile, le stress engendré par les inquiétudes (économiques, sanitaires, relationnelles, autres) est une composante de la vie quotidienne pour une grande partie de la population. Le cortisol est la principale hormone de réponse au stress et nous aide à réagir dans les situations d’alerte. Toutefois, l’excès de cortisol entraîne une modification dans la composition des colonies intestinales, rendant l‘individu plus susceptible de présenter des troubles de l’humeur13, 14, 15. C’est bien connu, il existe un cercle vicieux dans lequel le stress et l’anxiété s’influencent mutuellement.

Le stress peut perturber le microbiote intestinal en faveur d’une dysbiose et les micro-organismes pathogènes peuvent affecter, en retour, le comportement de l’hôte. Notre réponse au stress serait, là aussi, déterminée par nos bactéries intestinales. Lorsque l’intestin est recolonisé avec des bactéries intestinales saines, cela conduit à une inversion de la réponse exagérée liée aux hormones de stress. Certaines souches de probiotiques se sont avérées favorables à ce retour au calme, dont le Bifidobacterium infantis et le Lactobacillus rhamnosus.

La manipulation des colonies de bactéries intestinales, par l’ajout de probiotiques, permettrait d’améliorer la gestion de stress. Un probiotique est un micro-organisme vivant (bactérie ou levure) partenaire de l’intestin qui a un effet bénéfique en améliorant l’équilibre global du microbiote. Le Bifidobacterium infantis apporte différents avantages. Il est impliqué d’abord dans la synthèse du tryptophane16, requis pour la fabrication de sérotonine, le neurotransmetteur du bien-être. De plus, cette souche bactérienne normaliserait la réponse physiologique au stress sans exagération et permettrait un retour aux normes plus rapidement. Pour sa part, le Lactobacillus rhamnosus a démontré avoir un effet amplificateur sur les niveaux de GABA et réducteur sur les niveaux de cortisol induits par le stress, se traduisant par une diminution de l’anxiété et des comportements dépressifs17.

Bien que la majorité des études soient effectuées sur des modèles animaux, les résultats sont hautement prometteurs pour le genre humain. Plus on découvre l’ampleur de la participation du microbiote sur la santé neuropsychologique, plus il devient important de prioriser son équilibre. Les probiotiques représentent, dans ce contexte, un élément bienfaisant.

L’accumulation de preuves suggère que l’alimentation et le mode de vie jouent un rôle essentiel dans le maintien et l’amélioration de la fonction cérébrale via la modulation du microbiote intestinal. Puisqu’un intestin non fonctionnel se reflète dans un cerveau non fonctionnel, une approche cohérente des troubles mentaux requiert une évaluation globale. La nutrition ne représente pas ici une approche alternative, mais bien une démarche fondamentale.

Véronique Bourbeau est naturopathe agréée, herboriste clinicienne et enseignante. Persuadée que la richesse réside dans l’union des forces, elle fonde la Clinique Intégrative du Haut-Richelieu, où le partenariat et le dialogue entre les intervenants issus de différentes approches représentent une spécialité. 

 

RÉFÉRENCES

  1. Alonso, J., Liu, Z., Evans‐Lacko, S., Sadikova, E., Sampson, N., Chatterji, S., … the WHO World Mental Health Survey Collaborators. (2018). Treatment gap for anxiety disorders is global: Results of the World Mental Health Surveys in 21 countries. Depress Anxiety, 35(3), 195– 208.
  2. Backhed, F., Ley, R. E., Sonnenburg, J. L., Peterson, D. A., & Gordon, J. I. (2005). Host‐bacterial mutualism in the human intestine. Science, 307(5717), 1915– 1920.
  3. Sender, R., Fuchs, S., & Milo, R. (2016). Revised estimates for the number of human and bacteria cells in the body. PLoS Biology, 14(8), e1002533.
  4. Qin, J., Li, R., Raes, J., Arumugam, M., Burgdorf, K. S., Manichanh, C., … Wang, J. (2010). A human gut microbial gene catalogue established by metagenomic sequencing. Nature, 464(7285), 59– 65
  5. Bastiaanssen, T. F. S., Cowan, C. S. M., Claesson, M. J., Dinan, T. G., & Cryan, J. F. (2019). Making sense of … the microbiome in psychiatry. International Journal of Neuropsychopharmacology, 22(1), 37– 52.
  6. Jiang, H. Y., Zhang, X., Yu, Z. H., Zhang, Z., Deng, M., Zhao, J. H., & Ruan, B. (2018). Altered gut microbiota profile in patients with generalized anxiety disorder. Journal of Psychiatric Research, 104, 130– 136.
  7. O’Mahony SM, Clarke G, Borre YE, Dinan TG, Cryan JF. Serotonin, tryptophan metabolism and the brain-gut-microbiome axis. Behav Brain Res. 2015;277:32–48
  8. Montgomery AJ, McTavish SF, Cowen PJ, Grasby PM (2003). Reduction of brain dopamine concentration with dietary tyrosine plus phenylalanine depletion: an [11C]raclopride PET study. Am J Psychiatry. Oct;160(10):1887-9.
  9. E. Barrett et al. Y-Aminobutyric acid production by culturable bacteria from the Human Intestine (2012). J. Appl Micobiol 113 no 2: 411-17
  10. Perlmutter D. L’intestin au secours du cerveau. Ed Marabout, (2015) p.132
  11. https://www.passeportsante.net/fr/Actualites/Dossiers/DossierComplexe.aspx?doc=tube-digestif-role-dans-emergence-maladies-p4
  12. J. qin et al. A metagenome-wide association study of gut microbiota in type 2 diabetes. (2012) Nature 490 no 7418:55-60
  13. Juruena, M. F., Cleare, A. J., & Pariante, C. M. (2004). The hypothalamic pituitary adrenal axis, glucocorticoid receptor function and relevance to depression. Brazilian Journal of Psychiatry, 26(3), 189– 201
  14. Pariante, C. M. (2003). Depression, stress and the adrenal axis. Journal of Neuroendocrinology, 15(8), 811– 812.
  15. Varghese, F. P., & Brown, E. S. (2001). The hypothalamic‐pituitary‐adrenal axis in major depressive disorder: A brief primer for primary care physicians. The Primary Care Companion to the Journal of Clinical Psychiatry, 3(4), 151– 155
  16. L. Desbonnet et al. The probiotic bifidobacteria infantis : an assessment of potential antidepressant properties in the rat (2008). J. Psychiatr Res no 2:164-74
  17. Bravo, J. A., Forsythe, P., Chew, M. V., Escaravage, E., Savignac, H. M., Dinan, T. G., … Cryan, J. F. (2011). Ingestion of Lactobacillus strain regulates emotional behavior and central GABA receptor expression in a mouse via the vagus nerve. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108(38), 16050– 16055.