« Pourquoi mes muscles me semblent-ils raides ? » – (Partie 1)

Publié le 20 mars 2019
Écrit par Nicolas Blanchette, B. Sc. kinésiologie, D.O.

« Pourquoi mes muscles me semblent-ils raides ? » – (Partie 1)
Bio-Strath Novembre

« Je sens que les muscles de mon dos sont vraiment raides, ces temps-ci », « ma hanche est tellement tendue », « tu vas voir, mes trapèzes sont complètement bloqués ».

 

Voilà le type de plaintes qu’un thérapeute manuel entend tous les jours. Bien sûr, ce dernier passera la majorité de son temps à tenter de trouver une solution pour diminuer ladite sensation désagréable. Mais qu’est-ce que cela signifie, au juste, lorsqu’on ressent que nos muscles sont raides ? Cela signifie-t-il que les muscles en question sont physiologiquement tendus et qu’ils ne parviennent jamais à se relaxer ? Qu’est-ce qui explique cette perception et comment peut-on y remédier ? J’expose dans cet article l’opinion du thérapeute britannique Todd Hargrove, appuyé par les dernières recherches en neurosciences à ce sujet.

 

La « raideur » est une sensation et non un problème biomécanique

Lorsqu’un patient mentionne qu’il se sent raide dans une région musculaire particulière, sa plainte peut signifier plusieurs choses. La première tâche du thérapeute est de trouver la vraie nature de la plainte.

  • Peut-être le patient cherche-t-il à dire que son amplitude de mouvement est diminuée ? Qu’il a de la difficulté à faire des mouvements avec l’une de ses articulations amplement et avec facilité ?
  • Peut-être le patient peut-il bouger amplement son épaule ou sa hanche, mais qu’il ressent un malaise en fin de mouvement ?
  • Peut-être que cela lui demande plus d’effort qu’à l’habitude pour réaliser un mouvement ?
  • Ou peut-être son problème n’a-t-il rien à voir avec le mouvement, mais plutôt avec le fait qu’il ressent qu’une certaine région de son corps ne parvient jamais vraiment à relaxer ?
  • Peut-être encore parvient-il à relaxer ladite région, mais qu’il ressent une vague sensation d’inconfort : une sensation qu’on ne pourrait qualifier de « douleur », mais qui est néanmoins désagréable ?

 

Selon Hargrove, cette ambiguïté signifie que la sensation de raideur musculaire est justement cela : une sensation. Une sensation n’est pas la même chose qu’une caractéristique physique ou mécanique liée au surplus de tension, à la raideur ou à un raccourcissement. Et c’est tout à fait possible de vivre une sensation sans vivre de modification physique ou mécanique ! Par exemple, plusieurs patients nous mentionnent en clinique que leur région lombaire ou l’arrière de leurs cuisses sont « raides ». Néanmoins, ces mêmes patients sont capables de déposer facilement la paume de leurs mains au sol lorsqu’ils se penchent vers l’avant, ce qui serait physiquement impossible avec des muscles réellement physiologiquement raidis, incapables de s’allonger.

Le contraire est aussi possible : des patients parfaitement satisfaits de la situation de leur dos ou de l’arrière de leurs cuisses sont parfois incapables de descendre plus bas que la hauteur de leurs genoux lorsqu’ils se penchent vers l’avant. En résumé, on peut avancer que la fameuse sensation de « raideur » n’est pas toujours une manière efficace de prédire l’amplitude de mouvement disponible.

Il apparaît que la sensation de raideur ne permet pas non plus de prédire le degré de tension ou de rigidité d’un muscle ni la présence de « nœuds » ou de « cordes » dans les fibres musculaires, comme on le pense couramment. Il arrive fréquemment qu’un thérapeute palpe une région décrite comme tendue par le patient (disons, par exemple, le trapèze) et que le patient lui demande au même moment : « Ressentez-vous comment c’est raide à cet endroit ? »

Si le thérapeute est entièrement honnête, sa réponse pourrait ressembler à ceci dans la plupart des cas :

« Hum… Non. La texture me semble la même que les tissus aux alentours. Mais je comprends que vous pouvez tout à fait RESSENTIR que cette région est rigide et que cette sensation vous importune. Je n’aime pas non plus éprouver la sensation d’être raide ou tendu, donc je veux vous aider à vous débarrasser de cette sensation. Mais la sensation d’être raide n’est pas la même chose que la présence réelle d’une raideur physique. Est-ce que cela a du sens à vos yeux ? »

Pour la plupart des gens, cette explication a, en effet, un certain sens. Mieux, elle les amène à réfléchir aux mécanismes derrière cette sensation désagréable. Cela peut les amener à reconsidérer l’approche à prendre pour guérir leurs raideurs ou encore les inciter à éviter des méthodes d’acharnement thérapeutique, tels la réalisation d’exercices d’étirements douze fois par jour ou le massage agressif trois fois par semaine !

 

Pourquoi peut-on ressentir que les muscles sont tendus même lorsqu’ils ne sont pas physiquement tendus ?

Ici, il est très pratique d’utiliser la douleur pour faire une analogie. La douleur peut exister même en l’absence de dommages aux tissus. Pourquoi ? Parce que la douleur résulte de la perception d’une menace et que la perception ne correspond pas toujours à la réalité. La douleur est essentiellement une alarme et les alarmes peuvent se déclencher parfois même sans la présence d’un réel danger.

Nous émettons l’hypothèse qu’un mécanisme semblable est impliqué dans la sensation de raideur qui nous préoccupe ici. Celle-ci se produit lorsque nous percevons (avec raison ou non) qu’il y a une menace au niveau de notre intégrité musculaire et que cela nécessite une correction.

Mais quelle est cette menace dont la sensation de raideur cherche à nous prévenir ? Cela ne peut être la présence de tension, puisque les muscles sont faits pour générer de la tension (comme lorsqu’on fait de l’exercice). De plus, nous ressentons souvent de la raideur alors que nos muscles sont au repos. Bien plus que la tension, la menace semble venir de l’absence de repos adéquat (récupération) et de flux sanguin vers les cellules (circulation). Ces deux conditions sont bien étudiées et nous avons les preuves scientifiques qu’elles produisent un stress métabolique et activent les nocicepteurs, ces terminaisons nerveuses responsables des signaux douloureux. Donc, la menace dont la sensation de raideur cherche à nous prévenir semble beaucoup plus liée à la fréquence de la tension et à la circulation sanguine lorsque celle-ci est diminuée. Nous savons que les nerfs ont particulièrement besoin d’irrigation sanguine.

En gardant cela en tête, M. Hargrove émet l’hypothèse que la sensation de raideur est une variété de douleur. Une sensation trop faible pour être appelée « douleur », mais néanmoins déplaisante. Et cette forme de douleur présente des caractéristiques qui nous incitent à changer de position, à bouger et à nous étirer. C’est donc très différent d’une douleur qui nous dirait instinctivement de CESSER de bouger. Peut-être pourrait-on dire que la douleur au sens classique nous met en garde de ne pas bouger une certaine articulation tandis que la raideur nous conseille plutôt de mettre celle-ci en mouvement plus souvent ?

 

Comment éliminer la sensation de raideur ?

Suivant l’hypothèse de M. Hargrove, il semble logique de suivre une méthodologie semblable au traitement de la douleur si l’on cherche à traiter la sensation de raideur. Pour ce faire, il faut chercher à changer les « entrées de données » qui amènent le système nerveux à percevoir une menace pour notre organisme. Ces dernières incluent la nociception, les perceptions, les pensées, les émotions, les souvenirs, etc.

Certaines douleurs sont, de toute évidence, liées au mouvement ou aux habitudes posturales. Le thérapeute peut habituellement aisément le déduire si le patient nous mentionne « ça fait mal quand je fais ceci, et ça fait encore plus mal quand je fais cela, mais moins mal quand je fais plutôt ceci ». Dans cette situation, changer le mouvement ou la posture aidera probablement le patient, puisque cela agira directement sur ce qui apporte la douleur en premier lieu : une stimulation mécanique nociceptive engendrée par le mouvement.

À l’opposé, il existe aussi plusieurs cas de douleur, particulièrement de douleur chronique, qui sont beaucoup plus complexes. Pour ces cas, on ne peut pas établir une grande corrélation entre la présence de douleur et certains mouvements ou postures. En effet, la douleur semble davantage liée à d’autres variables très diverses, telles que le moment de la journée, la quantité de sommeil, l’état émotionnel, le stress vécu, l’alimentation, l’exercice réalisé, la température ou d’autres facteurs inconnus. Dans ces circonstances, il est peu probable que la douleur soit issue d’une cause mécanique nociceptive. Plutôt, on pensera à une sensibilisation accrue du système nerveux central ou périphérique.

Nous pouvons probablement voir la sensation de raideur de la même manière. Dans les cas les plus fréquents et les plus simples, la cause est évidente : nous avons été pris dans la même posture ou le même patron de mouvement pendant trop longtemps ; nos muscles ont besoin de repos ou d’un changement de position pour réduire l’ischémie ou le stress métabolique qui génère des perceptions nociceptives dans certaines régions du corps. Par exemple, si nous passons des heures dans une voiture, dans un siège d’avion ou derrière un ordinateur, nous éprouverons instinctivement le besoin de nous étirer et de bouger. Ceci atténuera habituellement rapidement la sensation de gêne, de lourdeur ou de raideur.

Bien sûr, la plupart des gens qui se plaignent de raideurs persistantes ont déjà essayé et essuyé un échec avec cette simple stratégie. Dans les cas chroniques, la sensation de raideur demeure pendant des heures, parfois pendant plusieurs jours, arrive et repart à sa guise, et ne semble plus reliée du tout à la posture adoptée ou aux mouvements réalisés. Dans ces cas, la cause première du malaise semble davantage liée à une hypersensibilisation du système nerveux qu’au besoin d’accroître la circulation sanguine dans certaines régions. Le mécanisme de cette sensation pourrait se produire par plusieurs voies : réaction à l’inflammation locale, adrénosensibilité (le nerf devient plus sensible lorsque stressé), augmentation de la sensibilité de la corne dorsale de la moelle épinière ou même des associations apprises entre certains environnements (disons la salle d’ordinateur) et certaines sensations (avoir la nuque endolorie).

 

RÉFÉRENCE

HARGROVE, Todd. Physio Network, [en ligne], https://www.bettermovement.org/, 2017.