Pourquoi vivre vieux et malade plus longtemps ?

Publié le 25 janvier 2021
Écrit par Eric Simard, Ph. D.(biologie)

Pourquoi vivre vieux et malade plus longtemps ?
Bio Strath September

La grande majorité des recherches sur le vieillissement visent à comprendre ce qui se passe en vieillissant, à constater les dommages, à définir les origines des changements; habituellement dans le but de mieux les comprendre ou de développer des traitements. Ce n’est que tout récemment que les recherches sur la prévention du vieillissement ont débuté. La raison est simple : jusqu’à tout récemment, au début des années 2000, le vieillissement était considéré comme une accumulation d’usure, principalement causé par l’oxydation. Voici les enjeux qui étaient abordés :

  • L’importance de la longueur des télomères ;
  • Le vieillissement causé par la sénescence cellulaire ;
  • Les dommages à l’ADN ;
  • Le dysfonctionnement des mitochondries ;
  • Le remodelage épigénétique ;
  • Les dommages aux protéines ;
  • L’épuisement des cellules souches ;
  • Les problèmes de détection de l’apport énergétique ;
  • Les problèmes de communication entre les cellules.

 

Il était considéré à l’époque que ces indicateurs causaient, du moins en partie, le vieillissement. Dans mon premier livre (Vivre jeune plus longtemps, 2016), j’explique qu’il y avait plus de 300 théories qui tentaient d’expliquer le vieillissement biologique. Même après avoir observé que les niveaux d’oxydation n’étaient pas directement corrélés à la vitesse du vieillissement ou à la longévité, il aura fallu plus de 10 ans pour qu’en 2013, une nouvelle théorie soit défendue par les scientifiques du domaine, donnant raison à George C. Williams (1926-2010), un chercheur ayant émis cette hypothèse, soit la pléiotropie antagoniste, en 1957. Elle a ensuite été rebaptisée la « théorie de l’hyperfonction » par Mikhail V. Blagosklonny, un grand chercheur américain. Nous y reviendrons dans un prochain article. Parlons plutôt de la recherche.

 

La génétique

Il va de soi qu’une des premières stratégies de recherche a été de considérer la génétique dans le but d’y découvrir des possibilités d’intervention. Les premières découvertes importantes qui ont donné beaucoup d’espoir dans la génétique ont été réalisées à partir de vers microscopiques. Dans les années 80, une seule mutation, le gène âge-1 chez C. elegans, a permis d’augmenter de 40 à 65 % sa longévité. C’était la première fois qu’on démontrait à l’aide d’un organisme complet que la génétique pouvait réguler, du moins en partie, la longévité. 

Une autre découverte importante a été réalisée 20 ans plus tard, en 2007. Cette fois-ci, une seule mutation a permis d’augmenter de 10 fois la durée de vie de C. elegans. 

Le vieillissement relié à la génétique a alors été considéré comme quelque chose d’encodé que nous pourrions comprendre et modifier. Nous pourrions peut-être agir sur quelques gènes et vivre dix fois plus longtemps ? Pour ces vers microscopiques, qui ne comptent qu’environ 1 000 cellules (le corps humain en compte environ 100 000 milliards), nous savons maintenant qu’il y aurait 550 gènes qui modulent la longévité et que, possiblement, la moitié des 20 000 gènes seraient aussi impliqués. Aussi, plus l’organisme étudié est complexe, plus l’impact des modifications génétiques est réduit. Par exemple, les travaux sur les souris n’ont pas permis de reproduire une longévité 10 fois supérieure, mais d’environ 1 fois seulement. La raison qui explique ce phénomène est que plus l’organisme est complexe, plus il existe un grand nombre de mécanismes de régulation pour un même processus, ce qui réduit l’impact des modifications génétiques précises. 

 

Un autre exemple de ce phénomène est l’action de la restriction calorique. La restriction calorique demeure l’approche la mieux documentée pour l’augmentation de la longévité chez tous les organismes vivants. L’impact chez la levure (organismes unicellulaires eucaryotes, cellules semblables aux nôtres) est une longévité supérieure de 150 à 200 %. Chez le nématode, il s’agit d’un impact de 50 à 150 %. Pour la mouche et la souris, on obtient respectivement 100 % et de 30 à 50 %. Pour les primates, tel l’être humain, l’impact serait d’environ 15 à 23 %. Donc, plus l’organisme est complexe, plus l’effet diminue. De plus, il est important de rappeler que la restriction calorique agit sur une multitude de gènes. Une approche visant un gène précis a donc très peu de chance de donner des résultats significatifs.

Les dix dernières années de recherches nous ont démontré que la génétique ne compte que pour 15 à 25 % de la longévité humaine. Les 75 à 85 % qui restent reposent sur nos habitudes de vie. L’épigénétique est bien sûr reliée à l’expression de gènes ayant des effets positifs ou négatifs sur nos chances de maladies. 

 

La correction des dysfonctions

En vieillissant, un grand nombre de dysfonctions cellulaires viennent troubler le fonctionnement des tissus et ainsi causer les maladies associées au vieillissement. Plusieurs approches de recherche ont porté sur la correction de ces dysfonctions, en espérant soit rétablir un état plus jeune, soit arrêter le processus du vieillissement, ou encore, trouver des façons de guérir des pathologies. Ces approches sont plutôt risquées, puisque l’on découvre souvent que ce que l’on considère comme étant des dysfonctions a aussi des rôles biologiques précis. 

Prenons le cas des télomères, ces séquences répétitives qui protègent l’extrémité de nos chromosomes. Ils rapetissent à chaque division cellulaire et causent la mort de la cellule lorsqu’ils sont trop courts. On pensait avoir découvert la fontaine de Jouvence avec les télomères en croyant que, si on les rallongeait continuellement, les cellules seraient éternelles. Il est vrai qu’il est possible de les rallonger pour ainsi prolonger la durée de vie des cellules. 

Les télomères sont des indicateurs de la durée de vie utile des cellules en fonction de l’état de santé de la personne. Une personne plus en santé possède des télomères plus longs, parce que ses cellules sont plus en santé et peuvent être utilisées plus longtemps. Si l’on rallonge volontairement les télomères d’une personne qui n’est pas en santé, ces cellules risquent d’être utilisées plus longtemps que ce qu’elles peuvent supporter. Des cellules trop vieilles qui n’auraient pas été remplacées à temps risqueraient de se dérégler et de causer des cancers. Ainsi, une approche visant à augmenter la durée de vie des cellules pourrait augmenter les risques de cancer.

En contrepartie, des découvertes récentes (2016) ont porté sur l’élimination des cellules désuètes, les cellules dites sénescentes. Un des problèmes du vieillissement est l’accumulation de cellules désuètes, dysfonctionnelles, qui auraient dû être remplacées, mais qui sont maintenant enfermées dans un état dysfonctionnel perpétuel que l’on appelle la sénescence cellulaire. L’élimination de ces cellules sénescentes a permis de conserver les organes plus jeunes, plus longtemps, et de prolonger la longévité de 30 % chez la souris. Ces souris sont demeurées plus en santé, plus longtemps.

 

Un groupe de recherche américain, établi en Californie, fait la promotion d’un programme de recherche visant à corriger sept dysfonctions précises reliées au vieillissement dans le but de freiner et d’arrêter le processus. Ce groupe, dirigé par Aubrey de Grey, se nomme SENS pour « Strategies for Engineered Negligible Senescence ». Personnellement, je n’y crois pas, pour une raison fondamentale : il sera plus productif d’agir sur les mécanismes de base du vieillissement (prévention) que d’essayer d’effacer les problèmes une fois qu’ils sont implantés. Ces dysfonctions ont des causes métaboliques, et nous savons maintenant qu’il est possible d’agir sur les mécanismes du vieillissement afin de prévenir l’apparition de ces dysfonctions et d’améliorer le vieillissement en santé. Il est donc possible d’agir en amont sur le vieillissement, au lieu de viser à corriger ses conséquences.

 

Traiter ce qui n’est pas une maladie

Un des freins au développement des approches préventives sur le vieillissement est la structure de nos systèmes de santé. Nous vendons des « traitements », applicables lorsque le « diagnostic » a établi qu’il y a lieu de traiter. La FDA (Food and Drug Administration), aux États-Unis, a déjà statué que le vieillissement n’est pas une maladie et donc qu’il ne peut y avoir de diagnostic et de traitement. Il y a tout de même beaucoup de recherches en cours qui sont financées par des gens très fortunés désireux de bien vieillir, visant même à stopper le vieillissement. Des centaines de millions de dollars sont actuellement investis dans la recherche sur le vieillissement par différents milliardaires tels que les fondateurs de Google, qui ont investi dans Calico.

Un autre frein important sera la réalisation des études cliniques. L’utilisation des marqueurs du vieillissement sera discutable, et une étude portant sur la longévité humaine devra possiblement durer au moins 25 ans pour être significative. Une équipe de chercheurs a quand même statué récemment que ce type d’étude est réalisable et que les marqueurs à utiliser sont suffisamment bien documentés pour être valables.

La grande majorité des scientifiques des gérosciences s’entendent pour dire que la recherche sur le vieillissement permettra de concentrer les maladies associées au vieillissement durant une période plus courte en fin de vie. Cela permettra de prolonger la période active, en santé, durant laquelle nous conservons l’autonomie et les capacités nécessaires pour profiter de la vie. Il n’est donc pas question d’être « vieux et malade plus longtemps ».

 

Être vieux et malade plus longtemps ? Bien sûr que non !

Les modulateurs du vieillissement primaire, les agents gérosuppresseurs préventifs, que nous sommes en train de découvrir, devraient augmenter nos chances de vieillir comme les gens des populations centenaires, car ils sont d’origine naturelle et font souvent partie de l’alimentation. Il faut savoir que la période de maladie chronique chez les centenaires est d’environ 6 à 10 % de leur espérance de vie par rapport à environ 19 % pour la population nord-américaine. Donc, les centenaires, en plus de vivre plus longtemps, connaissent une période beaucoup plus courte au cours de laquelle ils sont affectés par des maladies associées au vieillissement. Une étude récente auprès de 3 000 personnes le confirme, et dans certains cas, la période de maladie se limite à quelques mois ou à quelques semaines chez les centenaires. N’est-ce pas plus intéressant comme approche ?

Au plaisir de vous accompagner à vivre jeune plus longtemps.

 

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