Qu’est-ce que la douleur ? « la douleur, c’est quand ça fait mal ! »

Publié le 20 octobre 2019
Écrit par Nicolas Blanchette, B. Sc. kinésiologie, D.O.

Qu’est-ce que la douleur ? « la douleur, c’est quand ça fait mal ! »
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De prime abord, voilà une question plutôt simple. Oui, bien sûr…,mais encore ? Pourquoi éprouve-t-on cette sensation déplaisante ? Quel est son rôle ? Pourquoi certaines douleurs s’en vont-elles rapidement, alors que d’autres persistent dans le temps ?

 

Enrichir sa compréhension de la douleur ne peut pas faire de mal ! Les recherches montrent que d’éduquer les gens qui souffrent sur le phénomène de la douleur a un effet positif sur ce qu’ils ressentent, sur leur fonctionnement au quotidien, sur leur performance physique ainsi que sur leur niveau d’anxiété (Louw et autres, 2011). De plus, ne pas posséder de notions sur la douleur ouvre toute grande la porte à l’apparition de la douleur persistante plus tard dans la vie. En effet, si l’on éprouve de la douleur et que l’on ne comprend pas ce qui se passe, cela nous amène à développer de l’inquiétude et de la peur, et encourage notre système nerveux à maintenir l’état d’alerte, la plupart du temps sans que nous en ayons même conscience. Or, ces éléments – l’inquiétude, la peur, les croyances erronées – entretiennent justement la douleur. Creusons l’expérience de la douleur plus en détail pour mieux comprendre cette sensation commune qui n’a pas fini de nous étonner.

 

Définition de la douleur

L’International Association for the Study of Pain (IASP) définit la douleur ainsi : « La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle déplaisante associée à des dommages ou à des dommages potentiels aux tissus de l’organisme. » (traduction libre)

Très simple, n’est-ce pas ? Encore une fois, les apparences sont trompeuses et le diable est dans les détails.

 

Une expérience

Commençons par « une expérience sensorielle et émotionnelle ». C’est notre cerveau qui a le rôle d’interpréter les différents signaux qu’il reçoit. L’expérience de la douleur passe donc immanquablement par le cerveau, en toute circonstance. En quelque sorte, la douleur est bel et bien toujours dans notre tête, mais ce n’est pas pour autant qu’on s’imagine avoir mal ! Le fameux discours des professionnels médicaux qui, après une recherche exhaustive, ne trouvent pas la cause d’une douleur : « Monsieur, madame, vous n’avez rien, c’est dans votre tête » manque certes beaucoup de tact (et d’explications), mais on ne peut lui reprocher d’être faux. La douleur est une expérience que l’on vit. Mais sans cerveau, sans système nerveux, il serait impossible d’expérimenter cette expérience sensorielle.

Mais la douleur n’est pas qu’un simple phénomène physique sensoriel, c’est aussi une expérience qui influence beaucoup nos émotions. Quiconque a déjà vécu un épisode de douleur persistante peut se rappeler avoir ressenti de l’irritabilité, une diminution de son moral ou le besoin de rester seul : tous des traits de caractère qui diffèrent de notre « véritable » nature. La douleur est donc plus qu’une expérience de nos sens, c’est aussi une expérience émotionnelle qui pourra même avoir de profondes répercussions sociales.

De plus, chaque personne vit sa douleur d’une manière qui lui est propre. Cette dernière est largement conditionnée par plusieurs facteurs expérimentés tout au long de la vie de la personne : l’hérédité génétique, certes, mais aussi sa situation dans la vie (niveau d’anxiété au quotidien, capacité de résilience et qualité du soutien social, par exemple) ainsi que le conditionnement qu’elle a vécu pendant toute sa croissance en lien avec ce qu’elle se représente à propos de la douleur. L’expérience de la douleur est donc profondément unique et individuelle.

 

La douleur est une alarme

Ensuite, arrêtons-nous à la partie de la définition qui mentionne « à des dommages ou à des dommages potentiels ». La plupart des gens associent la douleur à une blessure et à la présence de dommages aux tissus mous (peau, muscles, nerfs, os, etc.). Bien que dans le stade initial de la douleur, des dommages soient impliqués dans la plupart des cas, la douleur est bien plus complexe que la simple présence de dommages. En fait, la présence de dommage n’est pas nécessaire à la production du phénomène de la douleur.

Plus notre organisme est endommagé, plus on ressent de douleur, n’est-ce pas ? On est porté à croire cette affirmation d’emblée, mais il n’en est rien. Il n’y a pas de corrélation entre la quantité de dégâts tissulaires et la quantité de douleur éprouvée. Vous avez bien lu : la douleur ne tient pas compte de la quantité de dommages réels. Vous êtes-vous déjà coupé le bout du doigt avec une feuille de papier, pour ensuite vous laver les mains avec du savon contenant de l’alcool ? La quantité de dommages à l’organisme est minime. Mais la douleur est pourtant très intense ! À l’inverse, certaines personnes qui souffrent d’ostéoporose (perte de masse osseuse) peuvent avoir une fracture d’une vertèbre du dos et ne pas s’en rendre compte (source : Ostéoporose Canada) ! Ces exemples sont innombrables.

Il y a aussi la question du temps. De manière générale, notre organisme se régénère de lui-même plutôt très bien (l’évolution l’aura doté de plusieurs milliers de générations de temps de pratique) ! Par exemple, la plupart des os brisés (fractures) guérissent en six à huit semaines. Au niveau du dos, de récentes recherches nous ont aussi montré que plus une hernie discale est sévère, plus la régression spontanée de la blessure (dégradation de la hernie) est susceptible d’arriver rapidement et de manière importante. (JEGEDE et autres, 2010 ; KOMORI, 1996 ; TEPLICK, 1985).

Pourtant, plus une sensation douloureuse perdure dans le temps, moins elle est liée aux dommages physiques de l’organisme. Ce concept peut sembler bien abstrait à saisir, mais il est important de le comprendre si l’on souhaite se donner des outils pour vaincre la douleur persistante.

 

La douleur est une « sortie de données » du cerveau

Nous savons que la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle unique. Nous savons aussi que la quantité de dommages réels n’est pas égale à la quantité de douleur ressentie. Le prochain concept important à comprendre est que la douleur est une « sortie de données », et non une « entrée de données ».

Tel un ordinateur hypersophistiqué, notre cerveau cherche constamment à prédire la meilleure réaction à avoir. Pour cela, il traite sans arrêt, et très rapidement, la multitude d’informations qu’il reçoit par ses divers sens quant à l’environnement extérieur et à son propre environnement interne. Ces informations reçues représentent les « entrées de données ». La douleur, elle, est une « sortie de données » résultant du traitement de ces informations.

Nous expérimentons la douleur quand notre cerveau décide, inconsciemment, que la somme des informations qu’il est en train de traiter est « dangereuse » et qu’il est nécessaire que nous soyons mis au courant de la possible présence de cette menace.

Les entrées de données sur lesquelles notre cerveau se base pour produire une réaction douloureuse peuvent être regroupées en trois classes. Elles peuvent être :

  1. Cognitives (nos pensées et réflexions)
  2. Affectives (nos émotions)
  3. Physiques (les messages issus des nerfs)

Plutôt intéressant : seule une catégorie de ces trois entrées de données fait référence à l’intégrité physique du corps. Si la somme de ces informations est perçue par notre cerveau comme un danger potentiel, alors nous expérimentons de la douleur. Cette dernière pourrait à son tour changer notre façon de nous mouvoir, notre posture, notre seuil de tolérance, notre niveau d’anxiété, etc.

 

La nociception et la douleur

La nociception représente le message rapporté sur l’état des composantes de notre organisme par les nerfs périphériques (des extrémités) vers le système nerveux central (cerveau et moelle épinière)

Les nocicepteurs, ces récepteurs sensoriels spécialisés de notre système nerveux, sont situés un peu partout sur notre corps. Ils nous permettent de ressentir les pressions et étirements (mécanorécepteurs), répondent aux réactions chimiques comme l’inflammation (chimiorécepteurs) et nous permettent de réagir aux différences de chaleur (thermorécepteurs). Ils avertissent notre cerveau quand une surface est trop froide, trop chaude, trop rugueuse, ou qu’elle irrite notre peau.

La nociception est un phénomène continu et commun, nécessaire à notre propre protection. Quand les récepteurs sensoriels sont stimulés passé un certain degré, ils alertent le cerveau que quelque chose est en train de se produire. Ce n’est pas un signe qu’il y a un dommage, simplement qu’il serait temps d’émettre une réaction. La réponse aux signaux ne se traduit par de la douleur que lorsque ces entrées de données issues de la nociception se combinent avec les autres entrées de données cognitives et affectives et que notre cerveau l’interprète alors comme un danger.

 

La douleur aiguë et la douleur persistante

La douleur aiguë est une réponse parfaitement normale et adaptée à un stimulus dangereux, qu’il s’agisse d’un impact, d’une coupure ou d’un étirement excessif. Elle est généralement produite en réaction à une forme d’irritation des tissus pouvant inclure des dommages à ces derniers. Dans le stade initial, son rôle est de nous protéger. Nous pourrons ainsi modifier notre comportement ou notre façon de nous déplacer pour éviter d’endommager encore plus le site de la blessure pendant que ce dernier est nettoyé et éventuellement régénéré par des cellules dont c’est la fonction.

Pour certaines personnes, la douleur ne se résorbe pas une fois la phase aiguë terminée. La douleur passe à un stade persistant (le terme chronique est parfois utilisé, mais ce dernier a une connotation négative peu encourageante). La douleur persistante apparaît lorsque des changements de notre système nerveux amènent ce dernier à devenir plus sensible, plus alerte. La douleur persistante est un phénomène très complexe à lui seul qui déborde le cadre de ce simple article. Il est cependant important de comprendre ceci : plus la douleur persiste dans le temps, plus elle est liée à une hypersensibilité de notre système nerveux et non à des dommages physiques aux tissus.

La douleur persistante doit être gérée et abordée de manière complètement différente de la douleur aiguë.

 

En conclusion, la douleur peut être perçue comme un système d’alarme. Un système d’alarme trop sensible peut se déclencher fréquemment et sans la présence d’une réelle menace. Dans le cas de notre cerveau, il peut même continuer à sonner même si on lui coupe sa source d’alimentation (la blessure initiale). Comprendre la complexité de l’expérience de la douleur est une étape importante pour résoudre et gérer cette dernière.

 

RÉFÉRENCES

INTERNATIONAL ASSOCIATION FOR THE STUDY OF PAIN, [En ligne], https://www.iasp-pain.org/, 2019.

EFTHIMIOU, Nick, Pain Science Made Simple, Integrative Osteopathy, 2015.