Rejeter les eaux usées sans traitement dans les cours d’eau est encore une pratique courante en 2024

Publié le 1 août 2024
Écrit par Gabriel Parent-Leblanc, B. Sc., M. Env.

Rejeter les eaux usées sans traitement dans les cours d’eau est encore une pratique courante en 2024

Saviez-vous qu’il est fréquent que les eaux usées des systèmes d’épuration un peu partout au Québec soient rejetées sans aucun traitement dans les cours d’eau, les milieux naturels et le fleuve Saint-Laurent ?

C’est effectivement arrivé 57 263 fois en 2022, selon le tout nouveau palmarès de la Fondation Rivières ! Cet organisme environnemental surveille effectivement la situation de près depuis plusieurs années et nous informe grâce à une carte interactive très révélatrice résumant tous les déversements pour chaque ville et chaque station d’épuration ainsi que leur évolution à travers les années. Vous pouvez consulter cette carte sur leur site web au deversements.fondationrivieres.org.

Commençons par tenter de comprendre ce qui cause ces déversements. Selon la Fondation Rivières, « chaque station d’épuration a une capacité maximale de traitement qui se calcule en m3 d’eau par jour (1 m3 = 1 000 L). […] Les ouvrages de surverses sont l’équivalent de disjoncteurs : ils sont là pour protéger la station et le réseau d’égouts contre les surcharges d’eau. Quand il y a trop d’eau, en cas de fortes pluies, par exemple, le débit excède ce que le réseau est capable de prendre et cela provoque un déversement d’eaux usées directement dans les rivières et le fleuve ».

 

Le palmarès des pires villes

Au-delà de la grille de couleurs de chaque ville présentée dans la carte des déversements de la Fondation Rivières, il est intéressant de s’attaquer aux données concernant les villes aux bilans les plus… odorants.

 

Tableau 1 : les 10 municipalités ayant eu le plus de déversements

* Les installations de plusieurs municipalités sont desservies par le même réseau de traitement.

 

Cependant, il faut comprendre que l’évaluation du nombre de déversements ne dépeint pas entièrement le tableau. Effectivement, il est facile de comprendre que 1 000 déversements d’une grosse usine d’épuration peuvent être pires que 3 000 petits déversements ; tout est une question de quantité et donc de toxicité.

Comme la quantité des eaux usées rejetées sans traitement n’est pas comptabilisée par le ministère de l’Environnement, la Fondation Rivières a dû concocter son propre critère pour évaluer et comparer la gravité de la pollution, l’indice d’intensité des déversements.

 

Tableau 2 : les 10 municipalités ayant eu le pire indice d’intensité des déversements en 2022

* Les installations de plusieurs municipalités sont desservies par le même réseau de traitement.

 

Finalement, il est aussi intéressant de présenter l’indice d’intensité en fonction du nombre d’habitants. Effectivement, plusieurs petites municipalités ne se retrouvent pas dans les précédents tableaux de la honte en raison d’un plus faible volume d’eau à traiter…, mais méritent de se retrouver sur la sellette en raison d’une pollution relative majeure.

 

Tableau 3 : les 10 municipalités ayant eu le pire indice d’intensité des déversements selon le nombre d’habitants en 2022

 

194 villes rejettent leurs eaux usées aveuglément

Avec le lancement de la présente édition du palmarès, la Fondation Rivières met l’emphase sur une situation qui complique leurs calculs, soit l’absence de capteurs électroniques dans les ouvrages de surverses pour approximativement 10 % des municipalités. Sans ces appareils, dont l’installation est pourtant obligatoire depuis près de 10 ans, certains déversements ne sont pas enregistrés et la durée de ceux qui sont constatés n’est qu’estimée… Or, comme le rapporte si bien l’organisme : « ce qui ne se mesure pas ne se corrige pas ! ».

La fondation invite les citoyens préoccupés à écrire au ministère de l’Environnement pour qu’il fasse respecter sa propre réglementation ! Effectivement, alors que 194 municipalités (le tiers étant en Montérégie) sont en situation d’infraction à ce niveau, le ministère n’a émis à ce jour que six sanctions…

Vous retrouverez un modèle de texte à envoyer au ministère et aux villes concernés au https://fondationrivieres.org/eaux-usees-deversees-ministere-villes/.

 

Pire encore, 80 villes rejettent leurs égouts directement dans les cours d’eau, sans aucun traitement, 24 h/24, 7j/7 !

On ne parle pas de déversements occasionnels ici, mais plutôt de canalisation qui se déversent directement dans l’environnement, utilisant les cours d’eau comme usine de traitement.

Vous avez bien lu, pas d’usine de traitement. Comment un tel système peut-il être légal et accepté en 2024 ; ça m’échappe et me sidère bien honnêtement…

Bref, vous serez assurément étonné d’apprendre que le rejet des eaux usées sans traitement dans les cours d’eau est un phénomène répandu et en quelque sorte accepté par aplaventrisme au Québec. Malgré une légère amélioration du bilan noté par la Fondation Rivières pour la majorité des régions depuis 2017, vous en conviendrez que 57 263 déversements (donc 157 fois par jour en moyenne), c’est beaucoup trop ! Saluons le travail titanesque effectué par l’organisme, sans qui la situation serait probablement restée aux oubliettes. Si celle-ci vous frustre autant que moi, je vous invite fortement à participer à leur campagne de pression pour que les usines se dotent de l’équipement requis pour mesurer ces rejets. On pourrait croire que c’est le strict minimum, étant obligatoire depuis 10 ans par sa propre réglementation, mais force est de constater que ce n’est pas une priorité pour le ministère de l’Environnement !

Si tout ce laxisme vous motive à passer individuellement à l’action, je vous invite plutôt à diminuer de manière substantielle la quantité d’eau et de polluants dans vos eaux usées en utilisant une toilette au compost. En arrêtant de faire vos besoins dans l’eau potable, vous diminuez effectivement de 30 % le volume d’eau, 99 % des bactéries, 90 % du phosphore et 98 % de l’azote à traiter par les usines (ou vos installations sanitaires autonomes).

 

Pour démarrer vos démarches :

Eaux usées rejetées sans traitement : Il serait temps d’accepter les toilettes sèches ! (mon article dans Vitalité Québec de janvier 2016).

 « La grande révolution de la micromaison » (mon livre, comportant un chapitre complet sur le sujet et même un tutoriel pour construire votre propre toilette au compost !).

 

RÉFÉRENCES :

Fondation Rivières. (2023a). Palmarès 2022 : 57 263 déversements d’eaux usées dans les lacs et rivières. [En ligne] https://fondationrivieres.org/palmares-2022-deversements-deaux-usees-lacs-rivieres/ (Page consultée le 9 novembre 2023).

Fondation Rivières. (2023b). Foire aux questions. [En ligne] https://fondationrivieres.org/nos-actions/carte-palmares-deversements-quebec/faq-deversements/ (Page consultée le 9 novembre 2023).

Fondation Rivières. (2023 b). Eaux usées déversées aveuglément : interpellez le ministère de l’Environnement et les villes! [En ligne] https://fondationrivieres.org/eaux-usees-deversees-ministere-villes/ (Page consultée le 9 novembre 2023).