Publié le 1 août 2024
Écrit par Nicolas Blanchette, D.O, B. sc. kinésiologie
Maux de cou et maux de tête… voilà deux causes de consultation très fréquentes ! Bien qu’encore incomplètement élucidée, cette association souvent retrouvée entre les céphalées (maux de tête) et les cervicalgies (maux de cou) est parfois classée comme un problème à part entière sous le terme « céphalées cervicogéniques ». Dans ce cas, il s’agit d’un trouble de nature cervical dont les symptômes seraient à la fois des raideurs, de l’inconfort et une limitation de mouvements possibles du cou, mais également des épisodes de maux de tête et des douleurs faciales référées.
Signes et symptômes
Certains auteurs (tels que Sjaastad et Fredriksen) ont tenté de regrouper les manifestations qui pourraient mettre sur la piste de ce type de cervicalgie. En comparaison avec d’autres maux de tête, la douleur, bien qu’elle puisse être parfois intense, est décrite comme étant davantage « sourde » et « prolongée ». Elle n’est pas pulsatile (comme un battement) et n’arrive pas par salves (par coups). Bien plus souvent, elle affecterait un seul même côté du cou et de la tête. Quant au cou, le plus souvent, c’est la partie cervicale haute, près de la base de la tête, qui est l’épicentre de la sensibilité, bien que l’inconfort puisse parfois se propager dans la région du haut du dos et de l’omoplate. Il est encore plus fréquent que la douleur irradie vers l’arrière de la tête, puis le front et finalement l’orbite. La douleur peut parfois être amplifiée lorsque l’on fait un mouvement brusque, comme éternuer ou tousser. En pratique clinique, il est encore plus évident que l’on fait face à ce type de problème si un travail manuel de détente des tissus mous cervicaux atténue les symptômes de la céphalée.
Comment un mal de cou peut-il donner un mal de tête ?
L’organisme humain est fascinant et complexe. Pendant longtemps, on a cru que les réseaux nerveux du visage et ceux du cou constituaient des voies distinctes fonctionnant séparément. L’éminent neurochirurgien Frederick Kerr (1923-1983) a été l’un des premiers à brillamment démontrer en détail que ces réseaux communiquaient. Ainsi, il a pu mettre en lumière le fait que le faisceau dorsal des nerfs trijumeaux, une paire de nerfs très importants pour les sensations du visage (aussi appelé « nerf V » pour cinquième nerf crânien), communiquait et se fondait dans la substance grise des trois premiers niveaux cervicaux (C1-C2-C3).
Le nerf trijumeau, de chaque côté du visage, se divise en trois branches : ophtalmique (V1), maxillaire (V2) et mandibulaire (V3). Chaque branche permet de percevoir des sensations dans différentes parties du visage (le nerf mandibulaire fait aussi fonctionner les muscles qui permettent de bouger la mâchoire et de manger). Ce qui est intéressant dans le cas des céphalées cervicogéniques, c’est que certaines terminaisons de la division ophtalmique du nerf trijumeau chevaucheraient les nerfs près des racines cervicales. Ceci permettrait d’expliquer anatomiquement que les irritations des structures cervicales hautes peuvent se manifester comme de la douleur dans la région orbitaire (de l’œil).
Expériences de provocations
Différentes structures anatomiques, lorsqu’on les irrite expérimentalement sur des volontaires, peuvent provoquer de la douleur référée au visage (Piovesan et coll., 2024). Elles sont étonnamment variées. C’est le cas des articulations facettaires (point de jonction des vertèbres entre elles), des nerfs grands occipitaux, des disques intervertébraux, de plusieurs muscles du cou (trapèze, splénius, sterno-cléido-occipito-mastoïdien, etc.), ainsi que des tissus mous entre les apophyses épineuses des vertèbres (les petites pointes que l’on peut palper à l’arrière de notre cou).
Par exemple, chez des sujets asymptomatiques (sans douleur), des injections de solution saline provocatrice dans les muscles du cou situés à la hauteur des trois premières vertèbres cervicales ont produit non seulement des symptômes cervicaux, mais aussi des maux de tête et des symptômes faciaux près de l’orbite (Schmidt-Hansen et coll., 2006). Par ailleurs, un rhumatologue et ostéopathe français avant-gardiste, le Dr Robert Maigne (1923-2012), a permis de mettre en lumière la relation entre certaines zones douloureuses du visage lorsque l’on pince et roule doucement la peau (le sourcil et l’angle de la mâchoire) et la sensibilité vertébrale retrouvée à la palpation. Selon ses expériences, différentes techniques de thérapie manuelle ostéopathique se révéleraient efficaces pour réduire à la fois la sensibilité cervicale et la manifestation référée au visage.
Quelles peuvent être les causes des céphalées cervicogéniques ?
Elles peuvent être de nature physique, psychoémotives ou mixtes (Walters et coll., 2023). Un niveau d’anxiété ou de stress élevé est connu comme étant un élément facilitateur de plusieurs problèmes musculosquelettiques, et les céphalées cervicogéniques n’y font pas exception. Dormir régulièrement moins de sept heures par nuit peut également faciliter l’apparition de ces céphalées. Quant aux céphalées liées à la posture, elles pourraient être associées à trop de temps passé dans une même position, qui implique une sollicitation importante de la musculature du cou : devant un ordinateur portable, par exemple. En effet, avec la concentration et la fatigue, on a tendance à projeter la tête vers l’avant par rapport aux épaules. Au fil du temps, cette posture génère davantage de fatigue sur les structures postérieures du cou. Dans ma pratique, je constate qu’un travail de bureau dans un environnement stressant est souvent une tempête parfaite pour des céphalées cervicogéniques !
Pistes de solution
La gestion du stress physique et psychologique semble importante pour réduire la fréquence et la sévérité des céphalées cervicogéniques. Si l’on travaille à l’ordinateur, il est primordial d’intégrer des micropauses pendant lesquelles, idéalement, on bouge le cou et les bras. Ces mouvements peuvent être variés : mobilisations, étirements, exercices légers, etc. Les bienfaits des micropauses sont appuyés scientifiquement (Albulescu et coll., 2022). Les recommandations sur la durée et la fréquence varient : on suggère, par exemple, 2-3 minutes de mouvements pour chaque 30 minutes de travail statique (Radwan et coll., 2022). Mais l’important est surtout de commencer à intégrer des pauses actives dès que possible. On peut y aller graduellement : une petite pause au milieu de l’avant-midi, au dîner et au milieu de l’après-midi pour commencer. Ces pauses « en mouvement » permettront d’oxygéner les muscles cervicaux, qui travaillent de façon statique pendant plusieurs minutes, et évitera de sursolliciter certaines structures cervicales, qui pourraient ensuite montrer des signes d’irritation. De plus en plus d’études démontrent qu’il n’est pas nécessaire de viser une ergonomie de bureau parfaite, mais qu’il faut plutôt chercher à varier les positions et à bouger davantage au courant de la journée pour réduire les douleurs articulaires (Waters et coll., 2015).
Ensuite, puisque le stress psychologique est, lui aussi, fréquemment impliqué, il est important de développer des outils pour non seulement bien le gérer, mais aussi pour évacuer ce stress périodiquement. La thérapie manuelle, en permettant de détendre le corps et d’apaiser l’esprit, est fréquemment efficace pour réduire les symptômes de ce type de céphalées. L’automassage, avec ses mains ou un accessoire, peut être enseigné comme modalité d’autotraitement à la maison. La méditation, les étirements, le yoga et les exercices de respiration peuvent être, eux aussi, très utiles. L’activité physique régulière est très importante. Toute activité physique est souhaitable et profitable (il faudrait viser à en faire au moins 20 minutes par jour, comme de la marche rapide), mais l’activité physique de haute intensité (un sprint de 30 secondes sur un vélo stationnaire ou frapper sur un sac de boxe, par exemple) est particulièrement efficace pour évacuer un surplus d’anxiété ! Les activités en groupe apportent également de nombreux avantages ajoutant un élément social à l’exercice.
Exercices de renforcement
Renforcer les muscles du cou peut-il apporter des avantages pour ce type de problème ? En 2010, une équipe de chercheurs (Ylinen et coll.) s’est intéressée à la question. Ils ont ainsi pu constater que les participants qui réalisaient des exercices de renforcement du cou sous forme conventionnelle ou isométrique (sans mouvement) en force ou en endurance avaient pu diminuer de manière significative la fréquence et la sévérité de leurs épisodes de maux de tête et de maux de cou.
Exemples d’exercices de renforcement
Voici des exemples d’exercices isométriques (sans mouvement) pour la région cervicale qui ne nécessitent aucun équipement particulier. Ils permettent de globalement activer et renforcer la musculature cervicale en s’intéressant aux différents mouvements de cette région. La routine au complet ne prend que 6 minutes à réaliser.
Extension
Placer les deux mains jointes derrière la tête. Contracter les muscles des bras, comme pour pousser le cou vers l’avant. Résister le mouvement en engageant les muscles du cou.
Flexion
Placer les paumes des mains contre le front. Pousser avec les bras, comme pour envoyer le cou vers l’arrière, et résister pour maintenir la position de départ.
Inclinaison
Placer la paume de la main droite contre le côté droit de la tête. Pousser avec la main, comme pour apporter la tête vers l’épaule gauche. Contracter les muscles du cou pour maintenir la position de départ. Faire la même chose avec la main gauche.
Rotation
Placer la main droite sur le côté droit de la tête. Pousser avec la main, comme pour faire tourner la tête vers la gauche, mais résister le mouvement pour maintenir une position neutre. Faire la même chose de l’autre côté.
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RÉFÉRENCES :
Bellavance, André. Les céphalées d’origine cervicale, Le Médecin du Québec, 2002
cliniqueinteraxion.com/…/les-céphalées-quelle-prise-de-tête
https://medium.com/@chikittsawellnessthane/isometric-exercises-for-neck-support-8aef8849c229
Autres sources dans le texte