Scoliose et maux de dos

Publié le 30 octobre 2023
Écrit par Nicolas Blanchette, D.O., B. Sc. kinésiologie

Scoliose et maux de dos

Se pencher sur le cas complexe de la scoliose, c’est prendre la mesure de toute l’ampleur du fossé du manque de connaissance qu’il reste encore à combler en médecine musculosquelettique. En effet, malgré tous les progrès fulgurants des dernières décennies dans divers domaines de la santé et de la technologie, force est d’admettre que la communauté scientifique possède toujours bien peu de certitude quant à cet étrange comportement, pourtant très répandu, qu’adopte parfois la colonne vertébrale.

En tant que thérapeute musculosquelettique, je ne peux m’empêcher d’insister sur la relation entre la scoliose et la douleur, sujet autour duquel circule une véritable nuée de mythes plus ou moins fondés et de solutions thérapeutiques miracles en tout genre. À la lumière des informations dont on dispose à l’heure actuelle, je vous expose une synthèse sur le sujet.

 

Avant tout, qu’est-ce qu’une scoliose ?

Elle est définie comme une déviation permanente de la colonne vertébrale en trois dimensions. Lorsque vue de l’arrière, on la reconnaîtra souvent comme un schéma en S de la colonne vertébrale. Quand la personne se penche vers l’avant, un observateur placé derrière pourra constater qu’un côté de la cage thoracique paraîtra proéminent comparativement à l’autre côté.

La scoliose diffère de l’attitude scoliotique. Cette dernière est tout simplement une posture que l’on peut adopter qui amène notre colonne vertébrale à accommoder le mouvement (par exemple, en décalant votre bassin vers la droite ou vers la gauche). Toutefois, l’attitude scoliotique n’est pas permanente. La posture dite antalgique (que l’on adopte lorsqu’on a mal) peut elle aussi créer une scoliose transitoire, qui disparaîtra d’elle-même à mesure que les tissus guériront et que l’aisance de mouvement reviendra.


Pourquoi certaines personnes développent-elles une scoliose ?  

Qu’est-ce qui amène la colonne vertébrale à se contorsionner de la sorte ? On sait que la scoliose s’installe plus fréquemment dans l’enfance ou à l’adolescence, mais aussi qu’elle peut se développer à n’importe quel âge. Certes, il peut arriver que la scoliose ait une cause évidente : en réaction à une grave blessure de la colonne vertébrale ou encore par les conséquences de spasmes puissants résultant d’une maladie neuromusculaire ou osseuse, ou d’une chirurgie invasive des côtes ou du thorax (Loynes et coll., 1972).

Toutefois, la majorité du temps (70 à 80 %), la scoliose apparaît spontanément, sans cause connue ni raison apparente. Il y a probablement davantage de gens qui se promènent dans les rues avec une scoliose légère / modérée que vous le croyez ! Des recherches récentes ont estimé qu’entre 33 % et 50 % des femmes âgées de plus de 40 ans présenteraient une scoliose. Au minimum 1 personne sur 10, tous genres et âges confondus, en présenterait une (McAviney et coll., 2020) !

Heureusement, les cas sévères ayant un grave impact sur les fonctions ne sont toutefois pas légion. Les adolescents présentant un angle de Cobb (la mesure utilisée pour déterminer la sévérité d’une scoliose) supérieur à 40 degrés ne représenteraient qu’environ 0,17 % de la population (Konieczny et coll., 2013). Par ailleurs, peu importe les cas, les scolioses symptomatiques nécessitant un suivi médical toucheraient moins de 2 % de la population, selon une revue systématique de 54 études en la matière (Théroux et coll., 2015).

 

La scoliose entraîne-t-elle la douleur au dos ?

C’est une relation qu’il semblerait tout à fait naturel d’établir, en apparence. La torsion de la colonne devrait entraîner davantage de contraintes sur les tissus du corps humain, et la réponse normale devrait être de ressentir davantage de douleur. Toutefois, la réalité, comme c’est souvent le cas, montre un portrait beaucoup plus nuancé de la question.

S’il est vrai que plusieurs personnes ayant un rachis scoliotique ressentent de la douleur au dos régulièrement, il est également vrai que davantage encore n’en ressentent pas plus que les personnes n’en ayant pas. Par ailleurs, les recensements sur la prévalence de la douleur chez les personnes ayant une scoliose montrent énormément de variance à travers la population (Wong et coll., 2019 ; Théroux et coll., 2017).

L’expert de la colonne vertébrale, le docteur Alf Nachemson, écrivait en 1979 : « À partir des études disponibles concernant le suivi à long terme des patients ayant une scoliose non opérée, les risques de vivre de la douleur au dos handicapante à l’âge adulte semblent minimaux. » Malgré les quatre décennies et demie qui ont suivi depuis sa déclaration, bien peu de choses ont changé ! Une étude récente (Yuan et coll., 2021) arrivait à la conclusion suivante : « Aucun consensus n’a pu être établi quant à la participation de la scoliose dans les expériences de douleurs dorsales et lombaires chez les personnes présentant une courbure scoliotique. » En résumé, les patients ayant une scoliose présentent-ils de la douleur au dos causée par la présence de leur scoliose, ou bien s’agit-il tout simplement de douleurs non spécifiques normales qui pourraient tout aussi bien apparaître chez n’importe lequel d’entre nous, scoliose ou pas ?

Comme le mentionne le journaliste scientifique Paul Ingraham dans son excellent article de vulgarisation sur le sujet, « si nous ne sommes toujours pas capables de nous positionner sur la question en 2023, c’est fort probablement parce que la scoliose ne joue pas un rôle décisif sur la présence de la douleur ! Si c’était le cas, alors il y aurait déjà un consensus établi » !

En neuroscience, il est maintenant bien admis que la douleur persistante au dos est pratiquement toujours un phénomène multifactoriel. En effet, la majorité des douleurs persistantes au dos sont dites non spécifiques, c’est-à-dire que les examens médicaux ne permettent pas de discerner avec précision la cause de la douleur (Maher et coll., 2011). Rappelons que la douleur persistante est influencée à la fois par des éléments physiques, psychoémotionnels et sociaux. Du côté physique, s’il est vrai que certaines études modernes ont pu retrouver des caractéristiques plus fréquemment présentes pour la douleur au dos en lien avec la scoliose (par exemple, Gremaux et coll., 2008, ont observé de la douleur à l’aine et aux cuisses plus souvent chez leurs sujets ayant des courbures scoliotiques), il serait faux de dire que ces douleurs sont foncièrement « pires » que celles attribuables à d’autres causes. Les douleurs des gens ayant une scoliose sont aussi influencées par les mêmes éléments que celles des gens qui n’en ont pas, par exemple le manque de sommeil, la fatigue, la dépression, les habitudes de vie. En réalité, du moins en attendant que davantage de recherches de haute qualité soient effectuées, la scoliose pourrait fort bien ne pas être le principal problème chez les gens ayant une colonne vertébrale scoliotique qui ressentent de la douleur !

« C’est normal que vous ayez mal au dos, regardez cette scoliose ! » est une phrase régulièrement entendue dans les cliniques en tout genre. Blâmer une scoliose légère ou modérée comme étant la source unique d’une douleur au dos persistante n’a pas de sens, scientifiquement parlant. Pourtant, c’est ce qui est régulièrement fait sur le terrain, par des professionnels au mieux mal informés, au pire carrément malhonnêtes. Ce type de langage iatrogène (qui contribue à des effets négatifs) est non factuel et il entraîne l’inquiétude du patient ainsi qu’un sentiment d’impuissance face à la situation.

 

Et le traitement des scolioses ?

Chez les sujets présentant une scoliose sévère affectant leur qualité de vie de manière importante, la chirurgie peut être envisagée. Cependant, comme il s’agit d’une procédure très invasive, elle n’est pas utilisée pour les cas les plus fréquents, c’est-à-dire ceux qui sont de légers à modérés.

En excluant la chirurgie, il suffit d’une recherche sur Internet pour découvrir un éventail de solutions miracles censées empêcher la progression ou carrément renverser les scolioses. Cela ne serait-il pas génial, s’il était possible de repasser la colonne vertébrale pour l’allonger, un peu comme on le ferait avec les ridules d’une chemise froissée ? Malheureusement, nous ne disposons d’aucune preuve à ce jour que la scoliose, structurellement parlant, puisse être aidée de manière significative par aucune thérapie existante !

Dans la dernière synthèse disponible sur le sujet (Schoutens et coll., 2020), les auteurs écrivaient : « La littérature scientifique dont on dispose en 2020 ne nous permet de recommander aucune approche thérapeutique non chirurgicale. Nous manquons encore grandement de recherches cliniques de bonne qualité en la matière [traduction libre] »

 

Au-delà de la courbure spinale

Avant de sombrer dans le défaitisme, bien que la scoliose ne puisse apparemment pas être renversée par des méthodes conventionnelles, il est tout à fait possible d’aider l’être humain à se sentir mieux dans sa peau et à vivre moins de douleur !

À ce sujet, la personne ayant une courbure spinale scoliotique présentant des maux de dos ne doit pas être considérée de manière différente de ses congénères lombalgiques qui n’en ont pas ! J’aime répéter à mes étudiants qu’on ne traite jamais un dos ou un genou, mais bien une personne qui vit une expérience impliquant de la souffrance dont les origines sont toujours multiples. Ainsi, les mêmes solutions qui s’appliquent pour les maux de dos conventionnels peuvent être efficaces pour les gens ayant une scoliose, à savoir :

  • L’exercice physique. Faire de l’exercice physique régulièrement est la modalité la plus éprouvée contre les maux de dos de nature persistante. Cependant, il est tout de même intéressant de savoir que les exercices spécifiques des programmes d’entraînement destinés aux gens ayant une scoliose n’apportent pas davantage de soulagement, ni n’améliorent les scolioses de manière différente que n’importe quelle autre forme d’exercices (Romano et coll., 2013);
  • La thérapie manuelle. Même si la littérature rejette l’idée qu’il soit possible de redresser une scoliose via des manipulations ou des massages (Lantz et coll., 2001; Clifford et coll., 2007), il est tout de même souvent possible d’agir sur la douleur et de vous aider à vous sentir mieux. Les mécanismes thérapeutiques en jeu sont alors vraisemblablement les mêmes que pour n’importe quel être humain consultant pour des maux de dos. Fuyez un thérapeute qui vous dira qu’il peut redresser votre dos manuellement ! ;
  • La rassurance, l’éducation et la déconstruction des mythes ainsi que des fausses croyances entourant la scoliose et la douleur immuable qu’elle est censée entraîner;
  • Les interventions sur les habitudes de vie;
  • La pharmacothérapie;
  • L’application de chaleur ou de froid;
  • L’automassage;
  • Etc.