Publié le 27 janvier 2023
Écrit par Louis Lapointe et Yves Prescott
Le Canada est le seul pays du G7 qui ne possède pas de programme universel d’aide alimentaire en milieu scolaire. La pandémie ainsi que l’explosion des prix du panier d’épicerie ont exacerbé une problématique ressentie, du CPE à l’université.
Selon une étude réalisée par l’Université de Toronto, l’insécurité alimentaire serait plus élevée en Alberta et au Nouveau-Brunswick ; elle serait à son plus bas niveau au Québec et en Colombie-Britannique. Toutefois, une autre étude, celle-là émanant de l’Université de Colombie-Britannique, semble contredire ces affirmations, puisqu’elle affirme que la faim guette entre 37 et 42 % des étudiants de leurs deux campus. Ces données mettent en relief le fait que les recherches portent habituellement sur le groupe d’âge allant de 0 à 18 ans et ne tiennent pas toujours compte de ceux et celles poursuivant des études postsecondaires.
Certains pays s’assurent que les enfants ont droit à au moins un repas chaud à leur arrivée à l’école ; on retiendra quelques exemples dignes de mention, comme le suggère Laurence Chartrand du Club des petits déjeuners, c.a.d. ceux de l’État de New York et du Brésil. Mme Chartrand précise néanmoins : « Nous reconnaissons les bonnes pratiques des programmes de différents pays, bien que nous ne puissions nous fier à un seul d’entre eux comme modèle. Chaque programme a ses forces et ses faiblesses et les modalités diffèrent d’un pays à l’autre ».
Dans le cas du Brésil, le pays s’est penché sur cette question depuis les années 40 et, outre le fait que l’absentéisme est à peu près nul, les jours de distribution des repas, une loi décrétée en 2009 oblige les différentes commissions scolaires à allouer 30 % de leur budget à l’achat de produits frais venant de fermes familiales avoisinantes.
Les efforts réalisés dans l’État de New York sont considérables. L’organisme City Harvest, fondé dans la ville de New York il y a quarante ans, aide un enfant sur quatre à satisfaire les besoins nutritionnels de base en milieu scolaire. Dans certains quartiers, le prix des espaces commerciaux locatifs est tellement élevé que seules les chaînes de restauration rapide sont capables de s’y implanter, et ce, au détriment des endroits où il est possible d’acheter des fruits et des légumes frais. Comme le faisait remarquer la militante new-yorkaise Majora Carter : « Les enfants pauvres en situation d’échec scolaire ont plus de chance d’aller en prison qu’à l’université. » On a donc remédié à la situation en créant des kiosques mobiles. Néanmoins, des reportages récents précisent que la précarité alimentaire à New York a atteint des sommets historiques.
Mais qu’en est-il au Québec ?
Selon Virginie Larivière, porte-parole de Québec sans pauvreté, le petit déjeuner pris à l’école est souvent le seul vrai repas de la journée. L’embourgeoisement fait son œuvre et des quartiers changent ainsi que la ligne de définition, ce qui les rend inadmissibles à certaines subventions gouvernementales : la cote d’indice, définie par le ministère attribue 10 aux milieux les plus défavorisés, alors que la cote 1 représente les secteurs les moins touchés. Elle peut être trompeuse, et certaines rencontres avec des écoles se situant au niveau 7 les ont néanmoins convaincus qu’un problème persiste.
Pour sa part, Anne Charest, responsable des programmes pour les écoles de La Cantine pour tous, précise que 10 % des enfants souffraient d’insécurité alimentaire en période prépandémique, mais que le pourcentage se situe désormais autour de 24 %. Cela est attribuable à la fin du fond d’urgence du gouvernement fédéral, alors que les coûts de livraison des aliments ont beaucoup augmenté. Dans les foyers, si certaines dépenses sont incontournables et non négociables (électricité, essence, loyer), c’est sur le plan de la nourriture que les ménages peuvent sabrer les dépenses – on constate même que les paniers bio accusent une baisse de la demande.
L’organisme a observé que les heures d’examens tiennent de plus en plus compte du fait que les enfants ont souvent trop faim l’après-midi. On a aussi observé que des professeurs achètent des denrées avec leur propre argent, mais, cela dit, il faut envisager des pistes de solutions permanentes à un problème qui ne devrait certes pas exister. Si le problème semble plus aigu à Montréal, par la grande densité de la population, la métropole bénéficie néanmoins d’un vaste réseau d’entraide.
Selon Laurence Chartrand, du Club des petits déjeuners, les besoins existent partout au Québec et touchent toutes les régions. La situation est encore plus problématique dans les réserves autochtones, notamment en raison des frais de transport. De plus, les enfants doivent souvent faire de longs trajets en autobus pour aller en classe, ce qui n’aide en rien la situation.
L’exemple du Japon est inspirant, puisque depuis les années 50, on a instauré une politique gouvernementale qui assure à chaque enfant le droit à manger à sa faim. Les écoliers doivent à tour de rôle travailler à la ferme pour exécuter des tâches simples et ils apprendront ainsi à respecter les ressources à la base de la vie, sans compter que, de retour à l’école, ils devront servir leurs camarades et nettoieront les espaces communs à la fin du repas.
Malgré les efforts déployés par des organismes, des commissions scolaires et autres, une solution durable à cette problématique dépend d’un effort concerté avec le gouvernement. De plus, le problème doit aussi être vu dans un contexte plus large et complexe. En France, par exemple, il existe un programme universel qui assurerait un milliard de repas servis annuellement. De ce nombre, on estime qu’un million d’entre eux seraient perdus et que le gaspillage alimentaire représenterait dix millions de tonnes par année. Cette question est indissociable de l’insécurité alimentaire.
On ne peut qu’espérer, qu’à défaut d’avoir un régime canadien d’assurance alimentaire, que le Québec puisse créer son propre programme. Il est loisible de penser que les statistiques « rassurantes » de l’Université de Toronto concernant le Québec ne tiennent pas compte de la récente inflation alimentaire qualifiée de jamais vue en 40 ans.