Publié le 27 novembre 2022
Écrit par Nicolas Blanchette, D.O, B. Sc. kinésiologie
Le reflux gastro-œsophagien (RGO), communément appelé « reflux gastriques » ou encore « brûlures d’estomac », représente un problème lié au système digestif très répandu. Si ressentir des reflux gastriques à l’occasion (après un repas copieux, par exemple) n’a rien d’inquiétant, plusieurs personnes en font l’expérience de façon fréquente, parfois quotidienne, ce qui peut rapidement devenir désagréable, voire entraîner des problèmes plus importants à long terme.
En Amérique du Nord, selon des prédictions conservatrices, un adulte sur cinq souffrirait de RGO chronique (El-Serag et coll., 2013). De plus, les études épidémiologiques ont constaté que cette proportion tend à s’accroître chaque année (Richter et coll., 2018).
Les médicaments inhibiteurs de la pompe à protons (l’oméprazole, l’ésoméprazole, le lansoprazole, le pantoprazole et le rabéprazole, les plus fréquemment prescrits) sont habituellement utilisés en premier pour ce type de problème.
Toutefois, ces substances ne soulagent qu’une partie de la population souffrant de reflux gastriques, et pour ceux qui obtiennent un soulagement, les symptômes reviennent souvent lorsqu’ils cessent d’utiliser le médicament (Scarpellini et coll., 2016). Plus inquiétant, l’utilisation de ces médicaments sur le long terme est associée à des risques bien connus pour les systèmes respiratoire, circulatoire et digestif, particulièrement chez les personnes âgées (Laine et coll., 2016).
Ce constat rend l’expérimentation pour réussir à trouver d’autres façons de réduire ou d’éliminer le RGO particulièrement pertinente. Parmi les méthodes non pharmaceutiques envisagées, les exercices respiratoires représentent une avenue sans risque très intéressante. Or, il est rassurant de constater que ces derniers sont en train de faire de plus en plus leurs preuves dans la recherche scientifique à travers le monde.
Qu’est-ce qui cause le RGO ?
Pour permettre la digestion, l’estomac se contracte de façon autonome régulièrement. Il sécrète des enzymes et de l’acide hydrochlorique. Heureusement, l’estomac lui-même est fait pour résister à ce puissant acide ! En effet, un système de valve permet d’empêcher l’acide de s’écouler vers l’intestin (plus bas) ou d’être refoulé vers l’œsophage (plus haut). Lors de cette dernière éventualité, la personne peut ressentir une sensation de brûlement désagréable. Les reflux peuvent également encourager la toux. Parfois, ils ne causent pas de symptômes perceptibles, et on peut même avoir des reflux pendant plusieurs années sans en être conscient (on le découvre parfois après des examens médicaux).
De façon peu fréquente, le RGO chronique peut entraîner des conséquences plus sérieuses, comme l’œsophagite. Cette maladie peut causer des ulcères de l’œsophage, des saignements et des difficultés à avaler. Souffrir de RGO chronique constitue également un facteur de risque connu pour développer un cancer de l’œsophage (Cleveland Clinic, 2022).
Deux raisons principales peuvent contribuer à ce que l’acide gastrique soit refoulé dans l’œsophage. En premier lieu, l’effet mécanique : une augmentation de la pression dans la cavité abdominale contenant l’estomac peut entraîner un refoulement de l’acide vers le haut. C’est le cas, par exemple, lorsque l’estomac est très rempli (je savais que la dernière pointe de tourtière du réveillon était de trop !). L’obésité (la quantité de tissus adipeux accroît la pression sur l’estomac) et certains troubles de la vidange gastrique impliquent aussi ce mécanisme.
L’autre cause connue est l’affaiblissement du mécanisme de barrière anti-reflux (Ness-Jensen et coll., 2016). En temps normal, l’étanchéité de la jonction entre l’œsophage et l’estomac est assurée par un effet de valve. Cette dernière est constituée de membranes de tissus conjonctifs. Elle est renforcée par l’action de muscles qui se contractent. Ces muscles sont le sphincter œsophagien inférieur et la portion crurale (centrale) du diaphragme.
Le diaphragme est un muscle polyvalent : il participe au mécanisme anti-reflux, mais surtout, ce grand muscle en forme de parapluie est le principal acteur de la respiration. À chaque inspiration, sa contraction altère la pression intrathoracique, ce qui permet aux poumons de prendre leur expansion. Suivant ce cycle, le muscle se relaxe, et le volume pulmonaire diminue, entraînant l’expiration.
Lien entre anxiété, dépression et RGO
Dans de précédents articles, je vous ai exposé les liens qui existent entre anxiété, dépression et douleur persistante. Cette corrélation a aussi été démontrée au sujet de la sévérité du RGO chronique (Yang et coll., 2015). Ce lien va dans les deux sens : présenter des symptômes désagréables peut renforcer notre état anxieux ou dépressif, ce qui crée un cercle vicieux qui s’autorenforce.
À l’inverse, l’anxiété et la dépression peuvent aggraver les symptômes de RGO ou augmenter notre sensibilité au phénomène. En état de perception de menace, l’activité de notre système nerveux autonome change de façon instinctive : l’organisme se positionne pour réagir (élévation de l’activité sympathique). Ceci aura pour effet de modifier la fréquence respiratoire : elle s’accélère, même au repos. La respiration devient plus courte et superficielle, et la musculature de soutien à la respiration est davantage impliquée.
Par ailleurs, plusieurs de ces muscles sont reliés au cou ; est-ce un hasard si les maux de cou chroniques sont fréquemment associés à l’anxiété ?
En état de stress prolongé, il arrive que « l’interrupteur » reste bloqué à ON (Joshi et coll., 2004), c’est-à-dire que le système nerveux demeure dans un état d’activation sympathique chroniquement élevé, ce qui peut entraîner plusieurs répercussions, telles que de l’insomnie, des troubles digestifs, une diminution de la capacité de concentration et de la douleur persistante. Pour le système respiratoire, cela peut se traduire par une moins grande activation du diaphragme à chaque respiration au profit de la musculature de soutien (Newberry et coll., 2019). À long terme, le mécanisme de barrière anti-reflux peut vraisemblablement être affecté.
Recherche sur les exercices respiratoires pour réduire le RGO
C’est en s’intéressant aux fonctions du diaphragme que les chercheurs ont émis l’hypothèse selon laquelle il pourrait être possible d’améliorer les symptômes des gens qui souffrent de RGO en « réentraînant » le diaphragme. Depuis, des recherches récentes ont permis de démontrer que les exercices respiratoires permettaient d’accroître la tension du diaphragme crural, ce qui a pour effet de renforcer le mécanisme de barrière anti-reflux. Au fil du temps, ces exercices permettent de réduire le dosage de la médication anti-reflux chez les gens souffrant de RGO chronique (Casale et coll., 2016).
Dans une méta-analyse récente (Qiu et coll., 2020), les exercices respiratoires ont produit des résultats sur plusieurs variables quantitatives et qualitatives impliquées dans le RGO, telles qu’une amélioration de la pression de la valve gastro-œsophagienne, une amélioration de la pression respiratoire moyenne, de meilleurs scores au test de manométrie gastro-œsophagienne, une réduction des signes de dommages à l’œsophage par endoscopie, etc. Surtout, les symptômes des patients se sont améliorés, et les exercices ont permis de réduire le dosage de médicaments anti-reflux.
Pratiquer la respiration diaphragmatique
Plusieurs exercices respiratoires différents ont potentiellement des effets similaires pour le RGO. J’ai sélectionné un protocole parmi ceux utilisés dans la méta-analyse de 2020. Voici plus bas ce qui avait été utilisé avec les patients pour réduire leurs reflux gastriques[1].
Les auteurs de l’étude ont obtenu de bons résultats en utilisant ce protocole à raison de trois fois par jour (trois fois cinq minutes) quatre jours par semaine pendant un mois.
Une fois que les sujets avaient bien maîtrisé l’exercice en position couchée et debout, après les quatre semaines de l’étude, on leur recommandait d’utiliser la respiration diaphragmatique en cas de besoin. Davantage de recherches seront nécessaires pour mieux connaître le dosage et la fréquence les plus efficaces pour maintenir l’aptitude acquise après l’entraînement initial. Mais cela tomberait sous le sens de pouvoir conserver nos acquis en réduisant la fréquence d’entraînement de moitié (une fois par jour deux fois par semaine, par exemple).
Alimentation et reflux gastriques
Outre la gestion de l’anxiété, mentionnons que l’alimentation joue un rôle important dans le RGO (Gupta, 2022). Les aliments riches en lipides, en sel ou encore très épicés sont plus susceptibles de créer des reflux gastriques. Les aliments ultratransformés (ayant subi plus d’une transformation), tels que la restauration rapide ou les repas congelés, renferment fréquemment ces éléments. En revanche, les aliments riches en fibres et en eau ont généralement un effet positif sur les reflux ; c’est le cas de nombreux fruits et légumes.
Conclusion
L’ostéopathe (tout comme certains autres professionnels formés en la matière, comme un kinésiologue) peut vous accompagner et vous aider à développer une bonne pratique des exercices de respiration ayant le potentiel d’influencer le RGO persistant. À partir de là, il suffit d’inclure à son agenda une petite session de quelques minutes à peine d’exercices respiratoires quelques fois par semaine. Qui plus est, ces exercices sont connus pour avoir d’autres effets positifs, entre autres en contribuant à réduire l’anxiété et à améliorer la concentration et la qualité du sommeil (Ma et coll., 2017).
RÉFÉRENCES :
Qiu et coll, The effects of breathing exercises on patients with GERD : a meta-analysis, Annals of Palliative Medicine, 2020
Ong et coll, diaphragmatic breathing reduces belching and proton pump inhibitor refractory gastrooesophageal reflux symptoms, Clin. Gastroenterol Hepatol, 2018
[1] Le masculin est ici utilisé pour des fins de simplicité. Évidemment, il s’agit du même protocole pour une patiente.