Stimuler votre immunocompétence par l’alimentation

Publié le 8 juin 2020
Écrit par Valérie Conway, Ph. D., ND. A., DO.

Stimuler votre immunocompétence par l’alimentation

Avec la crise actuelle de la COVID-19, chacun d’entre nous s’est senti particulièrement concerné par sa santé et celle de ses proches. Vous vous êtes certainement demandé comment agir proactivement afin de vous protéger au mieux de cette menace invisible. Peut-on stimuler notre système immunitaire afin de le rendre plus performant ? Est-ce possible d’y arriver par l’alimentation ? La réponse à ces deux questions est heureusement oui ! 

Dans cet article, je vous propose d’explorer le fonctionnement du système immunitaire et son lien étroit avec l’alimentation.

 

Comment l’alimentation et les fonctions immunitaires sont-elles interreliées ?

Le système immunitaire humain est un ensemble de processus d’une grande sophistication permettant à notre organisme de distinguer le soi du non-soi afin de nous prémunir contre les attaques extérieures telles que les virus, les bactéries, les parasites, les moisissures, les allergènes ou toute autre molécule potentiellement dangereuse. Ce système est aussi responsable de reconnaître et de détruire les menaces intérieures (endogènes) telles que les cellules anormales ayant subi une quelconque mutation.

Le régime alimentaire est quant à lui un modulateur important du système immunitaire1. En effet, une réponse immunitaire efficace nécessite la présence d’un ensemble de nutriments permettant à notre organisme de synthétiser rapidement l’ensemble des protéines dont il a besoin pour assurer la prolifération cellulaire nécessaire à la réponse immunitaire. Plusieurs micronutriments y sont cruciaux, par exemple le zinc, le sélénium, les vitamines D, E, A et C ainsi que certains acides gras et acides aminés spécifiques1, 2. En résultante, une dénutrition peut induire une immunodéficience et augmenter le taux de mortalité par infection sévère2. Au contraire, une surcharge alimentaire peut aussi entraîner des troubles immunitaires, mais indirectement via l’installation d’inflammation chronique de faible grade. Il existe désormais des preuves de l’existence d’interactions multidirectionnelles entre l’alimentation, le système immunitaire et la microflore intestinale3, 4, 5. Pour vous permettre de mieux comprendre l’ensemble de ces concepts intéressants, tentons pour débuter de mieux comprendre comment fonctionne notre système immunitaire.

 

Survol du système immunitaire

Le système immunitaire peut être divisé en deux grandes catégories : le système immunitaire inné, dit non spécifique, et le système immunitaire acquis ou spécifique4. L’immunité innée comprend deux grandes lignes de défense, une ligne de défense externe et une ligne de défense interne. La ligne externe comprend les barrières physiques telles que notre peau, la cornée ainsi que nos muqueuses respiratoires, gastro-intestinales et génito-urinaires. Le mucus sécrété par ces dernières contient des substances antimicrobiennes, telles que le lysozyme, la lactoferrine et des anticorps. La ligne de défense interne permet quant à elle d’éliminer les envahisseurs pathogènes ayant surpassé nos barrières physiques. Elle est constituée d’une abondance de cellules phagocytaires (monocytes, macrophages, neutrophiles) capables d’engloutir et de digérer les substances étrangères à notre organisme. Cette ligne de défense est apte à réagir très rapidement à une invasion, puisqu’elle ne nécessite aucune étape d’exposition au préalable à un agent étranger pour être efficace. Par contre, de façon générale, ces mécanismes non spécifiques sont moins efficaces que ceux de l’immunité acquise. Au contraire, l’immunité acquise arrive plus tardivement, mais permet d’attaquer spécifiquement les agents étrangers (antigène) et confère une protection plus durable. Toute molécule en mesure d’être reconnue par le système immunitaire est donc considérée comme un antigène et peut à ce titre stimuler la production d’anticorps lui étant spécifique3. Suivant l’élaboration d’anticorps, des cellules de mémoire nous permettent de réagir plus rapidement dans l’éventualité où l’antigène serait rencontré à nouveau1. Ce phénomène de mémoire des expositions du passé s’appelle la « mémoire immunologique ». Cette propriété explique le mode d’action des vaccins modernes. Les acteurs de ce type d’immunité sont les cellules lymphocytaires, soit les lymphocytes B producteurs d’anticorps, les lymphocytes T auxiliaires et les lymphocytes cytotoxiques. Les différentes cellules lymphocytaires sécrètent une panoplie de molécules de signalisation spécifiques afin d’assurer la communication et la coordination de l’activité entre elles4. Par exemple, les lymphocytes T auxiliaires coordonnent l’activité des lymphocytes B afin qu’ils produisent une quantité d’anticorps spécifiques (IgM, IgD, IgG, IgA, IgE) et stimulent la création de cellules de mémoire afin que l’organisme soit prêt pour une future attaque du même corps étranger1. Les lymphocytes T cytotoxiques s’occupent quant à eux d’éliminer les cellules infectées par des virus ou ayant subi des mutations6. La figure 1 simplifie les grandes subdivisions du système immunitaire afin d’en faciliter la compréhension.

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Figure 1 : Le système immunitaire simplifié !

Il est important de comprendre que c’est l’ensemble des cellules immunitaires travaillant de concert qui, collectivement, agissent comme un régulateur du maintien de l’homéostasie et de la santé tissulaire chez l’hôte3. En absence de débalancement, la réponse immunitaire s’arrête lorsque l’antigène est piégé et éliminé, provoquant l’arrêt de sécrétion de cytokines et l’apoptose des lymphocytes T cytotoxiques. Seulement les lymphocytes de mémoire sont épargnés afin de constituer la mémoire immunologique de l’organisme. La résolution rapide de la réponse immunitaire est cruciale, puisqu’elle est énergétiquement coûteuse et entraîne, si elle perdure, des dommages oxydatifs et inflammatoires aux tissus de l’hôte1. 

 

Alimentation, microbiote et fonctions immunitaires

L’intestin humain est peuplé d’une gamme diversifiée d’espèces bactériennes symbiotiques formant ce que l’on appelle le « microbiote intestinal ». Un intestin sain dépend d’un équilibre finement régulé lui permettant de tolérer les bactéries bénéfiques tout en luttant contre les agents pathogènes. Par conséquent, il est dorénavant admis que le microbiote intestinal et le système immunitaire ont coévolué et que leurs fonctions sont interdépendantes et sensibles aux changements alimentaires. En effet, les apports alimentaires peuvent influencer directement le système immunitaire (vitamines, minéraux, certains acides aminés) ou indirectement en régulant la diversité et la densité du microbiote intestinal1, 2, 4, 5, 7. Par exemple, le métabolite de la vitamine A (l’acide rétinoïque) peut contrôler directement la capacité des lymphocytes à répondre à un antigène et à migrer vers le système gastro-intestinal alors qu’une carence en zinc ou en sélénium peut altérer profondément le développement du système immunitaire (inné et adaptatif) en tant que constituants majeurs de divers enzymes et facteurs de transcription1. Au contraire, l’immunodéficience peut altérer la flore intestinale et, par le fait même, la capacité métabolique de la flore intestinale ainsi que celle de l’hôte lui-même !

De façon générale, il semble que le régime occidental moderne, caractérisé par une abondance de sucres ainsi que de faibles apports en fibres, en micronutriments, en polyphénols et en acides gras polyinsaturés oméga-3, prédispose les individus à un débalancement du microbiote et à l’installation d’un état inflammatoire, tous deux néfastes au fonctionnement du système immunitaire9. L’hypothèse la plus probable derrière ce phénomène impliquerait la fuite de lipopolysaccharides (LPS) issus de la paroi de certaines bactéries intestinales, du tube digestif vers la périphérie. Cette translocation indésirable serait rendue possible par un changement de l’étanchéité de la muqueuse intestinale ! Le problème avec les LPS (antigène) vient de leur capacité à amorcer et à perpétrer la réponse inflammatoire dans le temps. Un autre phénomène perturbateur potentiellement impliqué résulterait de l’ingestion abondante de produits de glycation avancée. Ces derniers ont pour origine les aliments hautement transformés ayant subi des traitements thermiques importants. En grande quantité, ces composés toxiques altèrent la signalisation et le bon fonctionnement cellulaires10. Ce phénomène serait impliqué dans le vieillissement et l’immunosénescence, et particulièrement lié à l’installation de diverses pathologies, telles que l’inflammation, les maladies neurodégénératives, l’athérosclérose et les complications vasculaires du diabète sucré6, 10

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Figure 2 : La grande classe des polyphénols et des composés organo-soufrés (partiellement tiré de La Nutrition, 4e édition)

Heureusement, une multitude de phytocomposés spécifiques (figure 2), tels que les polyphénols (thé, café, baies, raisins, fines herbes, etc.), les terpènes (agrumes) et les composés organo-soufrés (crucifères, ail, oignons, etc.), ainsi que certains oligosaccharides non digestibles (racine de chicorée, topinambour, oignon, ail, poireau, asperges, etc.) peuvent être bénéfiques à l’hôte. Ceux-ci peuvent limiter les impacts négatifs et inhérents à l’alimentation moderne en modulant positivement le microbiote intestinal par leurs actions antibiotique, antioxydante ou prébiotique6. Bien qu’ils soient généralement mal absorbés sur le plan gastro-intestinal, leur biotransformation par le microbiote intestinal augmente leur biodisponibilité et leurs actions thérapeutiques. 

En conclusion, la consommation abondante et diversifiée de produits végétaux représente la meilleure stratégie afin d’assurer de faire le plein de vitamines, de minéraux et de phytocomposés importants pour le système immunitaire, en plus de renfermer une plénitude de glucides non digestibles capables de nourrir le microbiote intestinal. Ajoutez à ceci la consommation régulière d’aliments fermentés, et vous avez le secret pour assurer, au mieux, le maintien de vos défenses immunitaires via l’alimentation.

 

RÉFÉRENCES

1. Childs, C.E., P.C. Calder, and E.A. Miles, Diet and Immune Function. 2019, Multidisciplinary Digital Publishing Institute.

2. Faria, A.M., et al., Food Components and the Immune System: From Tonic Agents to Allergens. Frontiers in Immunology, 2013. 4(102).

3. Belkaid, Y. and Timothy W. Hand, Role of the Microbiota in Immunity and Inflammation. Cell, 2014. 157(1) : p. 121-141.

4. Hachimura, S., M. Totsuka, and A. Hosono, Immunomodulation by food: impact on gut immunity and immune cell function. Bioscience, Biotechnology, and Biochemistry, 2018. 82(4) : p. 584-599.

5. Kumar, M., et al., Human gut microbiota and healthy aging: Recent developments and future prospective. Nutrition and Healthy Aging, 2016. 4: p. 3-16.

6. Sheflin, A.M., et al., Linking dietary patterns with gut microbial composition and function. Gut microbes, 2017. 8(2) : p. 113-129.

7. Zhang, C., et al., Impact of a 3-Months Vegetarian Diet on the Gut Microbiota and Immune Repertoire. Front Immunol, 2018. : p. 908.

8. Wichers, H., Immunomodulation by food: promising concept for mitigating allergic disease? Analytical and Bioanalytical Chemistry, 2009. 395(1) : p. 37-45.

9. Moldogazieva, N.T., et al., Oxidative stress and advanced lipoxidation and glycation end products (ALEs and AGEs) in aging and age-related diseases. Oxidative medicine and cellular longevity, 2019. 2019.