Publié le 17 décembre 2020
Écrit par Valérie Conway, Ph. D., ND.A ., interne en ostéopathie
Il ne fait plus aucun doute que l‘occidentalisation de l’alimentation humaine a eu plusieurs répercussions négatives sur la santé, plus particulièrement sur les maladies inflammatoires, allergiques et auto-immunes. En effet, un grand nombre d’études confirment la capacité de notre alimentation à moduler positivement ou négativement la réponse immunitaire en régulant les processus inflammatoires. Étant nouvellement praticienne en ostéopathie, j’avais envie ce mois-ci de vous concocter un article combinant ma passion pour la chimie alimentaire avec un regard ostéopathique, en explorant l’influence qu’exerce notre alimentation sur les maladies inflammatoires systémiques affectant le système musculosquelettique.
Les maladies rhumatismales sont des affections chroniques du système musculosquelettique et du tissu conjonctif, dont les plus communes sont la polyarthrite rhumatoïde, les spondylarthrites et l’arthrite juvénile idiopathique. Parmi ce groupe d’affections, la polyarthrite rhumatoïde (PR) est la maladie auto-immune chronique la plus répandue. Celle-ci affecte environ 1 % de la population canadienne et touche plus particulièrement les femmes [1]. Elle est caractérisée par une inflammation du liquide synovial responsable de la lubrification et de la nutrition des articulations. C’est en affectant la synovie que la PR provoque une érosion de la capsule articulaire, des tendons et des ligaments, pour finalement s’attaquer aux cartilages et aux os de plusieurs articulations simultanément. Ces phénomènes inflammatoires mènent éventuellement à la perte de fonction des articulations touchées en raison de la douleur, de l’œdème, de l’enraidissement et de la déformation progressive de celles-ci. De plus, diverses atteintes à l’état général peuvent être dénotées chez les patients souffrants de PR, dont une grande fatigue, une faiblesse généralisée, une perte de poids et divers malaises diffus [1].
Le traitement actuel de la PR est basé sur l’immunosuppression afin de prévenir la destruction des articulations, de réduire les symptômes et de tenter d’obtenir une rémission. Cependant, la PR est considérée comme une maladie hétérogène complexe, et beaucoup de patients n’atteindront malheureusement pas une rémission prolongée par cette seule approche médicamenteuse [2].
Les patients atteints de PR rapportent fréquemment une amélioration ou une aggravation de leurs symptômes selon l’ingestion de certains aliments. Typiquement, la viande rouge, l’alcool et les boissons gazeuses sont des exemples d’aliments aggravants, alors que le poisson et les petits fruits améliorent typiquement les symptômes de la maladie. Malheureusement, il n’existe à ce jour que peu d’études portant sur les patrons alimentaires et leur influence sur les atteintes inflammatoires et rhumatismales afin de statuer sur une approche alimentaire thérapeutique unique et efficace. Parmi les quelques données disponibles, mentionnons la réduction des phases d’inflammation actives suivant l’adoption d’un régime méditerranéen, d’un jeûne suivi d’un régime végétarien, ou encore d’un régime végétalien sans gluten [3-5]. Récemment, Bustamante et coll. [6] ont élaboré et expérimenté une diète anti-inflammatoire spécifiquement afin d’en évaluer la faisabilité et l’adhérence chez des sujets atteints de PR. En bref, leur diète expérimentale était composée de repas de poisson gras (trois à quatre fois/semaine) et des plats végétariens à base de légumineuses. Ces repas étaient complétés par des céréales à grains entiers (sans gliadine), des légumes et des aromates. Les collations et les déjeuners étaient quant à eux composés de certains fruits spécifiques, de yogourt faible en gras, de lait de coco et de noix et graines oléagineuses. Un supplément de probiotiques (Lactobacillus plantarum) était aussi fourni aux participants (cinq jours/semaine). Ce régime est actuellement à l’étude afin d’en déterminer les effets anti-inflammatoires, plus spécifiquement sur la douleur et l’enflure articulaire chez les patients atteints de PR [6].
Si l’on se penche attentivement sur le choix des composantes alimentaire spécifique de cette diète anti-inflammatoire (schématisée à la figure 1), on peut noter l’importance donnée aux acides gras oméga-3 marins. Les données cliniques suggèrent qu’une augmentation des niveaux plasmatiques d’acide eicosapentaénoïque (EPA), l’un des principaux acides gras oméga-3 retrouvés dans les poissons gras, est associée à une probabilité accrue de rémission chez les patients atteints de PR. Similairement, une étude de cohorte a pu négativement corréler l’apport en poisson avec les niveaux sanguins d’inflammation (mesure de la protéine C réactive (CRP)) ainsi que la sévérité des symptômes inflammatoires [7].
Parmi les autres caractéristiques communes à plusieurs des aliments proposés par la diète de Bustamante et coll. [6], notons la richesse en polyphénols antioxydants (baies, légumes colorés, thé, épices, aromates) et l’inclusion précise de fruits renfermant des enzymes immunomodulatrices telles que la papaïne et la bromélaïne (papaye, mangue, ananas). Finalement, l’apport quotidien en acides gras mono-insaturés aux potentiels anti-inflammatoires est optimisé par l’ingestion préférentielle d’aliments tels que l’avocat, les grains oléagineux, l’huile d’olive et les noix, alors que l’abondance en fibres solubles est assurée par la consommation régulière de pommes, de poires, de bananes et de grains entiers (sans gluten).
Figure 1 : Résumé des grandes composantes de la diète anti-inflammatoire de Bustamante et coll. [6].
Encore une fois une question de santé intestinale !
L’intestin humain permet à la fois l’absorption des nutriments essentiels tout en assurant une barrière mécanique contre l’entrée en circulation d’antigènes et d’agents pathogènes pouvant affecter négativement notre santé. Au tournant du 20e siècle, Dr Metchnikoff, prix Nobel de médecine, avait déjà souligné les conséquences de l’inflammation chronique sur la perméabilité intestinale et soulevé la détérioration des tissus environnants en conséquence d’une réponse inflammatoire induite par certains métabolites bactériens. Comme l’avait déjà établi Metchnikoff en 1907, la santé de notre système immunitaire repose en grande partie sur la qualité de notre microbiote intestinal, soit la communauté bactérienne colonisant nos intestins, ainsi que sur la santé de notre épithélium intestinal.
La paroi de notre intestin est essentiellement composée de cellules épithéliales absorbantes (plus de 80 %), de cellules spécialisées dans la sécrétion d’enzymes, de mucus protecteur et d’autres responsables du maintien de l’étanchéité des jonctions entre chacune des cellules épithéliales. C’est justement à ce niveau que certaines substances alimentaires peuvent agir, positivement ou négativement, en modulant la perméabilité des jonctions serrées essentielles au contrôle de notre réponse immunitaire.
Les recherches démontrent justement que ces jonctions serrées ne sont pas des structures statiques, mais bien au contraire, sont très dynamiques et constamment façonnées par des stimuli internes et externes. Ces stimuli régulateurs comprennent entre autres les cytokines, les facteurs de croissance, les résidus alimentaires, les bactéries pathogènes et commensales à l’hôte. On sait maintenant que l’épuisement de certains acides aminés, notamment la glutamine et le tryptophane, est tributaire d’une dysfonction de cette barrière intestinale. De même, certains légumes contenant de la solanine, comme les tomates, les aubergines et les pommes de terre, sont pointés du doigt comme de potentiels perturbateurs de la perméabilité intestinale chez certains individus sensibles. Au contraire, la vitamine D, le zinc ainsi que certains polyphénols (ex. : la quercétine, la myricétine, le kaempférol et la curcumine) participeraient positivement à la régulation de l’intégrité de la barrière intestinale.
Tableau 1 : Modulation positive / négative de la barrière intestinale par diverses molécules alimentaires [8, 9].
Altération de la perméabilité | Régulation de la perméabilité |
Diète riche en gras et gras laitiers | Zinc |
Additifs alimentaires (sel, sucre, émulsifiants et surfactants) | Polyphénols |
Certains acides gras (acide caprique, acide laurique) | Vitamine D |
Alcool | Tryptophane |
Gliadine (protéine du blé) | Glutamine |
Certains composés végétaux (glycoalcaloïde et chitosane) | Curcumine |
Comme discuté précédemment, la PR est une affection inflammatoire systémique dont l’étiologie n’est pas entièrement comprise, mais qui vraisemblablement associe une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux (ex. : le tabagisme, les hormones, le microbiote et les infections). Parmi ces facteurs, les études sur modèle animal indiquent le rôle crucial du microbiote intestinal dans le développement de l’arthrite, et des évidences nous indiquent qu’une perturbation du microbiote serait détectable plusieurs années avant l’apparition de la maladie [10] !
Mondialement, les études épidémiologiques actuelles démontrent une incidence croissante des problématiques d’ordre inflammatoire chronique, auto-immune et allergique, dont les arthropathies inflammatoires. Parmi les hypothèses plausibles pouvant expliquer cette croissance, et à la lumière du lien entre le microbiote et les pathologies inflammatoires systémiques, on peut s’interroger sur l’influence négative qu’a eue la réduction dramatique de l’apport en fibres alimentaires dans notre alimentation moderne (figure 2) ! En effet, une déficience importante en fibres induit une altération de la composition du microbiote intestinal, pouvant mener à un état de dysbiose favorisant un phénotype pro-inflammatoire.
On sait que la fermentation des fibres solubles par le microbiote intestinal non seulement produit des acides gras à chaîne courte pouvant maintenir la santé de la muqueuse intestinale et son intégrité, mais aussi représente une source d’énergie préférentielle pour favoriser la croissance des bonnes bactéries [3, 4]. Les recherches sur modèles animaux comme chez des patients souffrant de PR ont révélé qu’une dysbiose du microbiote intestinal pouvait être responsable des maladies inflammatoires auto-immunes et que celle-ci serait associée à la progression de la maladie [11]. Fait intéressant, on observe une augmentation de la concentration de certaines bactéries (Prevotella copri) chez les patients atteints de PR ainsi qu’une corrélation entre l’abondance de celles-ci et la gravité de la maladie ! Au contraire, la réduction de la population de Prevotella copri améliore significativement la symptomatologie chez ces mêmes patients [11].
Figure 2 : Modèle de l’implication possible d’une absence de fibres alimentaires sur la dysbiose intestinale et le développement de la PR.
Malheureusement, seulement quelques essais cliniques sérieux ont tenté de déterminer l’impact d’une supplémentation chez les patients atteints de PR. Jusqu’à présent, la plupart de ces études sont des projets pilotes avec un petit nombre de patients. Toutefois, quelques données cliniques disponibles attestent les bienfaits d’une supplémentation en acides gras oméga-3 (EPA / acide docosahexaénoïque (DHA)), en certaines souches de probiotiques, en vitamine D, ainsi qu’en divers extraits antioxydants issus de la grenade, du sésame et du gingembre. Par exemple, l’administration de souches de Lactobacillus helveticus (probiotique) s’est avérée capable de stimuler la production de cytokines anti-inflammatoires et de réduire la réponse immunitaire inflammatoire, la progression et la gravité des symptômes chez des sujets atteints de la PR [9].
Bien que plusieurs publications portant sur les interactions complexes entre l’alimentaire, le microbiote intestinal et l’inflammation suggèrent une avenue thérapeutique prometteuse, seulement quelques études d’intervention ont examiné l’effet d’un régime alimentaire complet spécifiquement sur les symptômes de la PR. Les données émergentes soutiennent toutefois l’hypothèse selon laquelle la dysbiose pourrait expliquer le phénotype inflammatoire associé aux maladies rhumatismales et qu’une approche préventive et thérapeutique de ces troubles pourrait inclure l’adoption d’une alimentation saine et ciblée, à la fois riche en composantes anti-inflammatoires, antioxydantes et en fibres solubles, et exemptes d’irritants pour l’épithélium intestinal.
RÉFÉRENCES
1. Widdifield, J., et al., The Epidemiology of Rheumatoid Arthritis in Ontario, Canada. Arthritis & Rheumatology, 2014. 66(4) : p. 786-793.
2. Dinesh, P. and M. Rasool, Chapter 22 – Herbal Formulations and Their Bioactive Components as Dietary Supplements for Treating Rheumatoid Arthritis, in Bioactive Food as Dietary Interventions for Arthritis and Related Inflammatory Diseases (Second Edition), R.R. Watson and V.R. Preedy, Editors. 2019, Academic Press. p. 385-399.
3. Cutolo, M. and E. Nikiphorou, Don’t neglect nutrition in rheumatoid arthritis! RMD open, 2018. 4(1) : p. e000591-e000591.
4. Kjeldsen-Kragh, J., et al., Controlled trial of fasting and one-year vegetarian diet in rheumatoid arthritis. The Lancet, 1991. 338(8772) : p. 899-902.
5. Sköldstam, L., L. Hagfors, and G. Johansson, An experimental study of a Mediterranean diet intervention for patients with rheumatoid arthritis. Annals of the Rheumatic Diseases, 2003. 62(3) : p. 208.
6. Bustamante, M.F., et al., Design of an anti-inflammatory diet (ITIS diet) for patients with rheumatoid arthritis. Contemporary Clinical Trials Communications, 2020. 17 : p. 100524.
7. Brown, Z., et al., Modifiable Lifestyle Factors Associated With Response to Treatment in Early Rheumatoid Arthritis. ACR Open Rheumatology, 2020. 2(6) : p. 371-377.
8. Guerreiro, C.S., et al., Diet, Microbiota, and Gut Permeability—The Unknown Triad in Rheumatoid Arthritis. Frontiers in Medicine, 2018. 5(349).
9. Paolino, S., et al., Interactions between microbiota, diet/nutrients and immune/inflammatory response in rheumatic diseases: focus on rheumatoid arthritis. Reumatologia, 2019. 57(3) : p. 151-157.
10. Maeda, Y. and K. Takeda Host-microbiota interactions in rheumatoid arthritis. Experimental & molecular medicine, 2019. 51, 1-6 DOI : 10.1038/s12276-019-0283-6.