Tests génétiques, nouvelle mode ou outil intéressant ?

Publié le 27 juin 2019
Écrit par Chantal Ann Dumas, nd.a.

Tests génétiques, nouvelle mode ou outil intéressant ?
Atelier Deuil-Temps des fêtes

Nous savons désormais que la génétique influence la manière dont nous utilisons les substances nutritives, et en retour, ces substances peuvent altérer l’expression de différents gènes, modifiant notre potentiel génétique.

 

L’apparition à grande échelle des technologies dites « omiques » telles que la génomique et le séquençage de l’ADN dans les années 1990iet l’application de ces technologies à de nouvelles sciences comme la nutrigénomique sont en train de bouleverser nos vieux paradigmes concernant l’alimentation. La nutrigénomique* gagne en effet en popularité auprès de certains professionnels de la santé et du grand public.

Face à cet intérêt croissant pour des interventions vraiment ciblées et personnalisées, plusieurs entreprises ont développé des tests génétiques accessibles et abordables. En quoi ces tests consistent-ils et surtout, doit-on les considérer comme des outils intéressants dans notre quête de santé optimale ? Je vous partage mon point de vue de naturopathe agréée sur la question.

 

Génétique 101

Le corps humain est composé de plus de 100 000 milliards de cellules constituées d’un noyau contenant notre ADN qui renferme notre bagage génétique. Ce bagage génétique est partagé à 99,9 % par tous les humains, notre identité tient donc dans le 0,1 % restant. C’est précisément à cet endroit que se trouvent certaines mutations génétiques associées aux maladies et à partir desquelles les entreprises offrant des tests génétiques calculent vos facteurs de risque de les contracter. Le test d’ADN consiste à analyser non pas l’ensemble de l’ADN, mais plutôt les polymorphismes d’un seul nucléotide (PSN) affectant notre ADN. Et c’est en analysant certaines régions de votre ADN que les experts peuvent lier nos origines ancestrales à des zones géographiques en particulier.

 

Que sont les SNP ?

De l’anglais single-nucleotide polymorphism (SNP), le polymorphisme nucléotidique (PN) ou polymorphisme d’un seul nucléotide (PSN) fait référence en génétique à la variation (polymorphisme) d’une seule paire de bases du génome entre individus d’une même espèce. Lorsque les SNP surviennent dans un gène, ils produisent des variantes – ou allèles – de ce gène.

 

DÉFINITIONSii

La *nutrigénomique analyse les interactions entre le génome et l’alimentation et l’influence de ces interactions sur la manière dont les individus ou les populations réagissent à l’alimentation, sur leurs prédispositions à développer certaines maladies et, de manière générale, sur leur état de santé.

La **nutrigénétique étudie la façon dont les nutriments et d’autres composantes alimentaires influencent l’expression du génome (le champ d’études de la nutrigénomique), mais aussi comment le génome lui-même peut influencer la manière dont un individu ou une population réagit à l’alimentation.

Ces variations sont très fréquentes et plus de 100 millions de types de SNP ont été identifiésiii. La plupart de ces polymorphismes n’ont pas d’impact sur notre santé ou notre développement, mais certains sont d’une grande importance. Ils peuvent notamment influencer notre réaction à certains médicaments, notre susceptibilité face aux facteurs environnementaux dont certaines toxines ainsi que le risque de développer des maladies spécifiquesiv.

 

À quoi les tests servent-ils ?

Les tests de nutrigénomique peuvent générer deux types de résultats : une évaluation du risque médical face à un problème de santé et le génotype de gènes précis influençant le métabolisme de substances telles que la caféine ou certains médicaments, ou encore, de substances nutritives telles que les folates et les oméga-3.

 

Application nutrigénétique

Les résultats obtenus révèlent les vulnérabilités face à certaines carences nutritives, les susceptibilités envers des intolérances ou des sensibilités alimentaires, le programme diététique et d’entraînement le plus adapté en fonction de notre génétique, etc. Ils nous permettent d’adopter une alimentation et des habitudes correspondant à nos prédispositions. Les tests peuvent aussi servir à un professionnel de la santé compétent en la matière afin de formuler des suggestions nutritionnelles ou d’autres interventions personnalisées en lien avec le mode de vie pour maintenir ou rétablir la santé.

 

Présentation des tests génétiques

Peu importe l’entreprise choisie, le processus est vraiment simple. On se procure le test par Internet ou un professionnel de la santé qui l’utilise dans sa pratique. Si on achète le test en ligne, on se crée un profil sur la plateforme Web du fournisseur choisi, et une trousse de prélèvement d’échantillon de salive nous est envoyée par la poste après avoir effectué le paiement. Nous n’avons ensuite qu’à prélever l’échantillon de salive dans un tube-éprouvette rempli de stabilisant et à renvoyer la trousse pour que l’échantillon soit analysé en laboratoire. Lorsque les résultats sont disponibles (de 4 à 6 semaines plus tard), un courriel nous invitant à aller voir les résultats sur le site Web du fournisseur nous est acheminé.

 

Les rapports

Puisque la liste des variantes (SNP) ne veut rien dire pour le grand public, le fournisseur présente plutôt les résultats du test dans un rapport plus ou moins détaillé en misant sur des aspects spécifiques.

Par exemple, des entreprises comme 23andMe et Ancestry ne mettent pas beaucoup l’accent sur l’aspect nutrigénétique**, mais on peut obtenir la liste des SNP et l’acheminer à d’autres laboratoires comme Stratagene, qui vont les soumettre à une autre base de données qui permet d’établir des corrélations entre les SNP et différents aspects de notre santé. Des tests comme MyBluePrint et DNAFit sont conçus spécifiquement pour l’application pratique et génèrent directement des rapports axés sur les modifications suggérées en fonction de notre individualité génétique.

Selon le fournisseur, la plateforme Web peut également permettre de discuter avec d’autres utilisateurs et de partager nos résultats, comme un réseau social spécialisé.

 

Les polymorphismes ne sont pas des diagnostics

Il est important de savoir que même lorsqu’un SNP est présent, il n’affecte pas nécessairement notre santé. C’est simplement une pièce d’information supplémentaire mettant en lumière nos susceptibilités individuelles et qui nous aide à établir un plan d’action plus précis, surtout lorsqu’il y a corrélation entre le polymorphisme identifié et les symptômes présents ou une maladie diagnostiquée.

Par exemple, l’identification de la présence d’un SNP comme celui affectant l’enzyme MTHFR*** ne signifie pas automatiquement que nous avons une carence en folate ou un taux d’homocystéine élevé. Par contre, elle devrait nous motiver à valider si nous souffrons de carence en vitamines B ou de besoins accrus par des tests supplémentaires, et le cas échéant, favoriser la consommation de légumes vert foncé riches en folates. Selon les cas, on pourrait avoir recours à un supplément de vitamines du complexe B sous leur forme bioactive – ce qui permet d’obtenir les folates déjà transformés – minimisant ainsi l’impact du polymorphisme sur notre santé et agissant de manière réellement préventive et individualisée.

*** Qu’est-ce que la fameuse MTHFR ?

Parmi les polymorphismes les plus connus, le SNP affectant l’enzyme Méthylènetétrahydrofolate réductase (MTHFR) est certainement en tête de liste.L’enzyme MTHFR contrôle les folates et leur transformation sous leur forme active dans notre organisme. Lorsque son activité est diminuée, il peut y avoirdes répercussions sur une myriade de processus biochimiques pouvant se traduire par une hyperhomocystéinémie, affecter le système nerveux, notrecomportement, notre santé cardiovasculaire, contribuer à des anomalies congénitales, des fausses couches, la pré-éclampsie, moduler notre risque de canceret augmenter notre risque de souffrir d’une maladie chroniquev.

 

Risque prédictif de maladie

Dans le même ordre d’idées, certaines personnes sont tentées d’interpréter les résultats des tests nutrigénomiques comme un diagnostic, la présence de mutations spécifiques indique simplement une susceptibilité et non une probabilité de développer une maladie. Par exemple, une mutation d’une paire de base dans le gène Apolipoprotéine E (Apo E) est associée à un risque accru pour la maladie d’Alzheimervi. Or, le rôle de la génétique n’y est toujours pas clair. À l’heure actuelle, il existe une quarantaine de gènes et de régions du génome associés à cette maladie dont l’allèle 4 du gène de l’apolipoprotéine E (APOE4). Pour évaluer le risque d’une personne de développer un jour l’Alzheimer sporadique, il faut considérer toutes les variables et d’autres facteurs de risque. Comme nous le savons aujourd’hui, la plupart des affections sont multifactorielles ; elles dépendent en partie de la génétique, mais également de notre environnement, de notre alimentation et des autres habitudes de vie.

Il importe de rappeler que les tests nutrigénomiques actuellement disponibles ne sont pas des outils diagnostiques, mais plutôt des indicateurs de risque. En aucun cas, ils ne devraient remplacer une évaluation médicale, des tests d’investigation ou un suivi médical.

 

Est-ce que les tests génétiques en vente libre sont fiables ?

Comme pour toute nouvelle technologie, les opinions en ce sens sont partagées. Ces tests sont effectués par des laboratoires qualifiés, mais aucune ligne directrice n’encadre pour le moment l’utilisation des tests génomiques hors du domaine de la recherche. Les travaux de recherche en nutrigénomique sont à ce jour limités et ne couvrent pas l’ensemble des groupes d’âge et des origines ethniques. Plusieurs aspects restent donc à valider pour appuyer la mise au point d’interventions utiles ou efficientes basées sur les associations entre les polymorphismes et le risque de maladie.

Malgré la réticence des professionnels des approches conventionnelles au Québec à les adopter, les tests génétiques ont assurément le vent dans les voiles et ils jouissent d’une grande popularité du côté américain, particulièrement parmi les praticiens des cliniques intégratives. Personnellement, je suis d’avis que lorsque l’utilité et les limites de ces tests sont bien comprises, les résultats obtenus nous fournissent de l’information supplémentaire pouvant mener à l’élaboration de stratégies vraiment personnalisées permettant d’optimiser notre santé, le tout à un coût abordable. Les tests peuvent aussi servir d’outil d’information et de motivation face à l’adoption de saines habitudes de vie.

 

Conclusion

Pour le meilleur et pour le pire, l’évolution de la nutrition et de la médecine sera de plus en plus liée à l’essor de la génomique. Ces outils innovateurs peuvent nous aider à tracer les grandes lignes d’une alimentation et d’un mode de vie vraiment personnalisés en fonction de nos besoins spécifiques afin d’optimiser notre santé. Ces avancées technologiques doivent cependant être comprises et contextualisées de manière judicieuse afin de nous outiller et de nous donner un pouvoir sur notre santé tout en étant conscients de leurs limites.

 

RÉFÉRENCES

i. L’utilisation de la nutrigénomique et de ses tests par les professionnels de la santé. Ordre professionnel des diététistes du Québec. https://opdq.org/wp- content/uploads/2016/05/LA-nutrigenomique.pdf

ii. L’utilisation de la nutrigénomique et de ses tests par les professionnels de la santé. Ordre professionnel des diététistes du Québec. https://opdq.org/wp- content/uploads/2016/05/LA-nutrigenomique.pdf

iii. « What are single nucleotide polymorphisms (SNPs)? », U.S. National Library of Medicine. https://ghr.nlm.nih.gov/primer/genomicresearch/snp

vi. « What are single nucleotide polymorphisms (SNPs)? », U.S. National Library of Medicine. https://ghr.nlm.nih.gov/primer/genomicresearch/snp

v. « Understanding MTHFR genetic mutation », PrEVimedica. https://previmedica.com/understanding-mthfr-genetic-mutation/

vii. B. WOLF, Andrew et autres. « APOE and neuroenergetics: an emerging paradigm in Alzheimer’s disease », DOI 10.1016/j.neurobiolaging.2012.10.011, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0197458012005222?via%3Dihub