Publié le 17 décembre 2020
Écrit par Nicolas Blanchette, B. Sc. kinésiologie
Dans le premier volet de cet article, j’exposerai ce que l’on sait, à la lumière des recherches disponibles, sur le problème de la fasciite plantaire. Qu’est-ce qui cause une fasciite plantaire ? Quel semble être le processus physiologique de cette blessure ? Quels sont les facteurs de risque de développer cette affection et comment peut-on mettre les chances de son côté pour essayer de la prévenir ? Dans le deuxième volet, je vous présenterai les résultats des recherches quant aux différentes actions que nous pouvons entreprendre afin de soulager les inconforts liés à la fasciite plantaire.
La fasciite plantaire est la cause la plus fréquente de douleur chronique au niveau du talon (1). C’est une blessure musculosquelettique très fréquemment retrouvée chez la population. Elle est tellement commune que des recherches ont estimé qu’elle représenterait environ 15 % des raisons de consulter un podiatre et que près de 10 % de la population adulte en souffrirait (2). Aux États-Unis seulement, les visites chez le médecin pour des cas de fasciite plantaire atteignent 1 million par année, générant des frais pour les payeurs et les compagnies d’assurances de plus de 375 millions de dollars annuellement (3).
Le diagnostic de fasciite plantaire est habituellement établi par le médecin en clinique après l’historique des symptômes rapportés par le patient. La plainte la plus commune est une sensibilité sous le talon, légèrement interne par rapport au centre de ce dernier, sans signe distinctif du début de l’affection (pas de trauma, etc.) qui dure depuis plusieurs semaines. Ce site peut être très sensible à la palpation, particulièrement lorsque les orteils sont retroussés (en extension). La douleur irradie parfois jusque dans l’arche plantaire. L’inconfort au talon est habituellement plus présent lors de la mise en charge le matin (les premiers pas en sortant du lit) ou après une période d’inactivité. Il pourrait également se manifester après une sollicitation plus importante du pied, après avoir accéléré le pas ou avoir marché sur un terrain accidenté, par exemple.
La fasciite plantaire est aussi réputée pour inclure une foule de termes sous-diagnostiques : talon du jogger, syndrome d’épine calcanéenne, bursite sous-calcanéenne, calcaneodynie (4) et bien d’autres encore. Le diagnostic peut être objectivé avec fiabilité grâce à l’échographie, qui révélera un épaississement du tissu fibreux du fascia plantaire (5).
Saviez-vous qu’au 18e siècle, on nommait la fasciite plantaire « talon du gonorrheux » (gonorrheal heel), puisqu’on pensait que le problème était lié au péché de la chair ? Heureusement, nous en connaissons beaucoup plus sur cette blessure, désormais ! Néanmoins, il y a encore beaucoup de confusion sur cette pathologie, qui n’a manifestement pas fini de livrer tous ses secrets.
Anatomiquement parlant, le fascia plantaire et une bande de tissu conjonctif très rigide qui protège la plante du pied. Il forme un lien mécanique très puissant entre le talon et les orteils. Il n’a pas exactement le même aspect chez tout le monde, mais il est généralement formé d’une puissante bande centrale renforcée de plus petites bandes médiales et latérales.
Alors que chez l’enfant le tendon d’Achille du mollet et le fascia plantaire sont liés ensemble, chez l’adulte, le fascia plantaire est une structure indépendante du tendon d’Achille chez la grande majorité des gens. Selon les recherches, seuls 10-15 % des adultes montreraient une continuité fasciale entre ces deux structures (Wearing et coll, 2006 ; Kim et coll., 2010). Au niveau cellulaire, le fascia plantaire contient plus de fibrocytes et de fibroblastes (cellules du tissu conjonctif) que les tissus ligamentaires et tendineux standards. Les scientifiques croient que cet arrangement cellulaire unique, en plus de permettre des transferts et des répartitions de force, permet au fascia plantaire d’agir comme une structure sensorielle importante pour la proprioception et capable d’ajuster sa propre composition en réponse aux demandes qu’il reçoit. Intéressant.
Malgré son nom en « -ite », un suffixe qui réfère habituellement à un état inflammatoire, les études histologiques révèlent que la fasciite plantaire n’est pas primairement liée à l’inflammation (ce qui est également aussi le cas des tendinites (voir Vitalité Québec, septembre 2020). Ceci semble concorder avec le fait que deux revues systématiques de la littérature ont échoué à démontrer des bénéfices cliniques de l’utilisation d’infiltration de cortisone pour soulager à long terme les patients souffrant de fasciite plantaire chronique (Karl et coll., 2008 ; Kumar et coll., 2011).
Au niveau tissulaire, les pistes de l’origine de la fasciite plantaire pointent plutôt vers la dégénération progressive des tissus de l’enthèse de l’os du talon (calcanéum), ce qui pourrait aussi expliquer pourquoi l’âge est un facteur dans le développement de la fasciite plantaire :
« Une enthèse (en grec ancien enthesis[, qui signifie] « insertion ») est l’endroit où les formations collagéniques (tendons, ligaments ou aponévroses musculaires) rentrent dans l’os. C’est une zone de transition qui passe du muscle au tendon puis au cartilage et enfin dans l’os lui-même. »
Cette dégénération progressive n’est pas sans rappeler le processus de l’arthrose, qui peut toucher n’importe quelle articulation. Ainsi, le fibrocartilage plantaire se fissure longitudinalement très progressivement, puis s’ossifie lentement dans ces fissures près du site d’insertion sur le talon. Au fil du temps, cela amène fréquemment la formation d’une proéminence osseuse (ostéophyte). Dans une expérience, cette « épine » calcanéenne était retrouvée huit fois plus fréquemment chez les gens souffrant de fasciite plantaire que chez le groupe contrôle (6). Une autre recherche a démontré que 89 % des gens souffrant de fasciite plantaire chronique présentaient une excroissance osseuse sur l’os du talon (7). La corrélation entre épine calcanéene et douleur n’est cependant pas directe. Plusieurs personnes asymptomatiques (sans douleur) peuvent aussi présenter une épine calcanéenne (Kirkpatrick et coll, 2017).
Qu’est-ce qui peut entraîner ces changements progressifs dans le cartilage plantaire ? Les scientifiques croient qu’il s’agirait sans doute d’une combinaison excessive de forces de déformation (compression, torsion, étirement) appliquée sur le fascia plantaire qui excéderait les capacités de récupération de l’organisme. Ces forces peuvent être causées par l’effet gravitationnel (passer beaucoup de temps debout, être en surpoids) ou encore par un travail inapproprié du fascia plantaire lors de la locomotion (8). Ce travail inadéquat pourrait résulter de plusieurs facteurs divers :
Le fait de présenter un pied plat pronateur est souvent évoqué comme facteur de risque de développer une fasciite plantaire. Ce point est actuellement débattu activement (Wearing et coll., 2006). En premier lieu, il est très difficile d’évaluer ce qui représente une mécanique des arches plantaires optimale in vivo. De plus, il semble y avoir une grande variété de présentations d’arche plantaire parmi les individus, et l’observation de l’arche ne permet pas de déterminer si la personne développera une affection douloureuse ou non. Le même constat a été fait au niveau des genoux (Hochreiter et coll., 2019), où l’alignement ne semble pas corrélé avec le fait de présenter ou non des douleurs à cette articulation (https://vitalitequebec-magazine.com/probleme-de-genoux-gestion-du-syndrome-femoro-patellaire/).
Certains facteurs de risque apparaissent de manière plus évidente dans les recherches (9):
D’accord, le facteur âge est impossible à changer et le facteur travail est souvent hors de notre contrôle. Néanmoins, pour s’assurer de prévenir cette affection, il semble qu’il soit important de veiller à éviter le surpoids et de disposer d’une bonne capacité de dorsiflexion de la cheville et des orteils. Pour le premier point, c’est le régime alimentaire qui fait foi de tout. Pour le second, une routine d’exercices impliquant des mobilisations de la cheville et des orteils (idéalement faits tous les jours) peut donner un bon coup de pouce. Il faut commencer par des mobilisations passives de la cheville et des orteils pour s’assurer d’utiliser la plus grande amplitude de mouvement possible, puis progresser vers des exercices actifs de contrôle moteur.
Mobilisation passive des orteils en extension et de la cheville en dorsiflexion. Maintenir la position pendant 30-60 secondes pour 3-4 séries, 2 ou 3 fois par jour.
Mobilisation active des orteils en extension et de la cheville en dorsiflexion : 3 séries de 10-20 répétitions par jour.
Dans la suite de cet article, nous discuterons des différentes modalités qui existent pour s’en sortir lorsque nous avons une fasciite plantaire. Parmi toutes les approches offertes, lesquelles disposent du meilleur bagage scientifique pour prouver leur efficacité ? Quelles approches présentent les meilleurs taux de succès et les plus faibles risques ?
RÉFÉRENCES
Bartold, Simon. Plantar Heel Pain: How you treat it may not be evidence based. En ligne (2020) : https://www.physio-network.com/plantar-heel-pain-how-you-treat-it-may-not-be-evidence-based/
1. Risk Factors for Plantar Fasciitis: A Matched Case-Control Study. Riddle, Daniel L. PT, PhD and col. The Journal of Bone & Joint Surgery: May 2003 – Volume 85 – Issue 5 – p 872-877
2. Rome K. Anthropometric and biomechanical risk factors in the development of plantar heel pain – a review of the literature. Phys Ther Rev. 1997;2:123–34
3. Tong KB, Furia J. Economic burden of plantar fasciitis treatment in the United States. American Journal of Orthopedics 2010;39(5):227‐31.
4. DeMaio et coll, 1993.
5. Mohseni-Bandpei MA, et coll. Application of ultrasound in the assessment of plantar fascia in patients with plantar fasciitis: a systematic review. Ultrasound Med Biol. 2014 Aug;40(8):1737-54.
6. Jill Cook and Craig Purdham, 2011
7. Johal et Millnar (2012)
8. Menz et coll, 2008. Cook et Purdham, 2011)
9. Lutter et coll, 1997, Irving et coll , 2006, Sahin et coll, 2010, Wearing et coll 2004.