Trop ménager son dos pourrait ralentir sa guérison

Publié le 20 février 2019
Écrit par Nicolas Blanchette, B. Sc. kinésiologie, D.O.

Trop ménager son dos pourrait ralentir sa guérison

L’exercice comme modalité de choix dans la gestion des maux de dos.

 

Le mal de dos, ou lombalgie, est l’une des conditions médicales les plus communes (et fascinantes) en Amérique du Nord. D’ailleurs, il semblerait que l’épidémie de mal de dos gagne du terrain ; en 1990, une étude du NINDS (National Institute of Neurological Disorders and Strokes) plaçait la lombalgie en sixième position parmi les conditions les plus incapacitantes touchant les Américains. En 2010, le mal de dos avait grimpé de trois échelons, devancé uniquement par les maladies cardio-vasculaires et les maladies pulmonaires obstructives chroniques. Comment peut-on expliquer cette augmentation en deux décennies ?

Qu’est-ce qui fait en sorte que ce que l’on considérait comme une nuisance modérée soit devenu presque aussi incapacitant pour la qualité de vie de nos confrères américains que des désordres métaboliques très sérieux touchant le cœur et les poumons ? La réponse pourrait bien se trouver dans notre tendance à délaisser de plus en plus un mode de vie actif physiquement au profit de la sédentarité.

Selon le Dr James Rainville, professeur de médecine et de réhabilitation du département médical de l’Université Harvard : « Cette tendance s’explique sans doute par le fait que la communauté médicale a trop mis l’accent sur la prudence et le repos lors d’épisodes de maux de dos. Cette approche relativement récente dans les recommandations était pourtant à l’inverse de ce qui avait été enseigné des décennies auparavant. »

Le phénomène du mal de dos est très complexe et encore en voie d’être démystifié. Néanmoins, les avancées scientifiques relativement aux modèles de compréhension de la douleur ont beaucoup progressé dans les dernières années. Ainsi, on peut désormais mieux comprendre un des grands paradoxes concernant la lombalgie. En effet, si le processus de dégénération vertébrale est linéaire (en d’autres mots, si notre colonne vertébrale s’use de plus en plus à mesure que l’on vieillit, ce qui se corrobore aisément avec des imageries ou des radiographies), pourquoi n’a-t-on pas de plus en plus mal au dos à mesure que l’on vieillit ? Or, les gens qui vivent le plus grand nombre d’épisodes de maux de dos se situent dans la tranche de 40-50 ans. Il serait logique de croire que les gens auraient de plus en plus d’épisodes de maux de dos à mesure qu’ils vieillissent, mais force est de constater que ce n’est pas le cas.

De plus, 80 % des adultes rapportent un épisode annuel de mal de dos, tandis que 20 % n’en expérimentent aucun. Mais ce n’est pas parce que leur colonne vertébrale est moins usée. Des études par résonnance magnétique de ces sujets sans aucune douleur montrent souvent des états de dégénérations de leur région lombaire similaire, parfois plus élevée que leurs compatriotes souffrant de maux de dos. La question est donc : pourquoi ces changements dégénératifs visibles ne leur causent-ils pas de la douleur ?

« La théorie actuellement soutenue par la communauté scientifique est que, quand un problème survient dans notre dos, il déclenche des signaux de douleur (nociception). Le système nerveux traite l’information et s’adapte à la douleur progressivement, et c’est ce qui permet à la douleur de disparaître éventuellement », explique le Dr Rainville. « Il apparaît que l’exercice et le mouvement aident notre système nerveux à faire ses ajustements plus rapidement. »

Quand on s’arrête pour y réfléchir, continuer de demeurer actif malgré l’inconfort a beaucoup de sens. Du point de vue de l’évolution, c’est une réponse nécessaire à la survie. « Le mouvement semble être le stimulus qui permet au système nerveux de réaliser les adaptations dont il a besoin pour moduler la réponse à la douleur », avance le Dr Rainville. « Les études réalisées sur des animaux blessés au niveau de la moelle épinière ont permis de démontrer une guérison plus rapide chez ceux que l’on forçait à l’exercice par rapport à ceux à qui on laissait la possibilité de moins bouger. C’est sans doute le résultat d’un mécanisme de survie primitif. Si un animal dans la nature est privé de la capacité de bouger, ou bien il est rapidement dévoré, ou bien il meurt de faim. » On constate également la même chose chez les humains. En effet, étude après étude, les gens qui reprennent leurs activités rapidement, que ces dernières soient de retourner au gymnase ou d’entretenir leur maison, sont ceux qui obtiennent les meilleurs résultats sur les scores de douleur et la capacité fonctionnelle.

 

Note : Les conclusions d’une méga-étude récente (octobre 2018) ont démontré qu’être inactif physiquement pose plus de risque pour la santé que le tabagisme, le diabète et l’hypertension. Allez hop, on s’en va faire une petite marche de santé ?

Les chirurgies peuvent être nécessaires pour quelques problèmes sérieux très particuliers. Néanmoins, les preuves actuelles tendent à démontrer que, dans la plupart des cas, ce type d’intervention est de moins en moins justifié. Le corps humain a une capacité d’adaptation absolument phénoménale. Pour plusieurs pathologies articulaires, des maux de dos en passant par l’arthrose du genou et les déchirures de la coiffe des rotateurs, on se rend compte que les patients qui reprennent l’activité physique convenant à leur condition s’en sortent souvent très bien quelques années plus tard. Même lors d’intervention chirurgicale, de plus en plus on reconnaît l’importance de reprendre le mouvement dès que possible post-intervention.

 

Stratégies pour gérer ses douleurs dorsales et lombaires

Le NINDS recommande quelques stratégies appuyées sur les dernières recherches pour contrer les épisodes de lombalgies :

  • Redevenir actif rapidement : « Tu as mal au dos ? Reste couché le temps que ça passe. » Tout le monde a déjà entendu ce conseil bienveillant. Certes, dans la phase la plus aigüe de la douleur, le repos est recommandé. Néanmoins, cette période d’alitement doit demeurer brève. L’inactivité aura des conséquences fâcheuses au fil du temps : perte d’amplitude de mouvement articulaire, perte de tonus musculaire, augmentation des risques de dépression, de formation de caillot sanguin, etc. Dès qu’il est possible de recommencer à se mouvoir, et même si cela fait un peu mal, il faut chercher à mettre le corps en mouvement. L’augmentation de la circulation sanguine et l’adaptation nerveuse du corps vis-à-vis de la douleur l’aideront à récupérer plus rapidement.
  • Diminuer la sensation douloureuse : Rendre la douleur plus tolérable ne fera pas partir complètement le mal de dos. Par contre, vous aurez plus de facilité à vous mouvoir, ce qui pourrait bien donner le stimulus nécessaire à votre corps pour accélérer sa guérison. Pour atténuer la douleur, plusieurs modalités sont disponibles : l’application de compresse chaude ou de glace, la prise de médicaments, les soins de thérapie manuelle, la consultation en acupuncture, etc. En ce qui a trait à la médication, suivez toujours les recommandations de votre médecin et de votre pharmacien. Attention, certains médicaments qui atténuent la douleur ne devraient pas vous pousser à réaliser des activités inhabituelles parce que vous vous sentez temporairement mieux. Soyez tout de même prudent dans votre choix d’activité. Une progression graduelle est de loin préférable !
  • Renforcer vos muscles et vos articulations : Dès que la douleur a diminué d’un cran, il faut chercher à rendre notre organisme plus fort et endurant. Pour cela, rien ne vaut le conditionnement physique (il importe peu que vous réalisiez les exercices dans un gymnase ou à la maison, l’important est de bouger). Afin d’optimiser votre choix d’exercices et de réaliser ces derniers de manière sécuritaire, il est recommandé de travailler avec un kinésiologue, le professionnel de l’exercice physique.
  • Consulter un thérapeute professionnel : Les méthodes manuelles misant sur les mobilisations et le toucher sont idéales pour vous aider à combattre la peur de bouger et vous diriger vers des exercices adéquats pour améliorer votre mobilité et votre endurance. On mentionnera l’ostéopathie, la physiothérapie, la kinésithérapie, etc.

 

RÉFÉRENCES

Harvard Health Publishing, Babying your back may delay healing, https://www.health.harvard.edu/pain/babying-your-back-may-delay-healing, octobre 2018.

BOORMAN, RS. “What happens to patients when we do not repair their cuff tears?”, Journal of Shoulder and Elbow Surgery, mars 2018.

BRINJIKJI, W. “Systematic literature review of imaging features of spinal degeneration in asymptomatic populations”, AJNR American Journal of Neuroradiology, no 36, avril 2015.

MANDSAGER, K. “Association of Cardiorespiratory Fitness With Long-term Mortality Among Adults Undergoing Exercise Treadmill Testing”, JAMA Network Open, octobre 2018.