Votre dos est bien plus solide que vous ne le pensez

Publié le 9 avril 2021
Écrit par Par Nicolas Blanchette, B. Sc. kinésiologie

Votre dos est bien plus solide que vous ne le pensez

Saviez-vous qu’une tout autre pandémie coexistait en même temps que celle que nous vivons depuis déjà plus d’un an ? Cette menace sournoise était même présente depuis plus longtemps que le coronavirus, et nous menions nos vies sans trop nous en préoccuper. Pourtant, elle affectait déjà et continue d’affecter directement la vie d’environ, tenez-vous bien, 2,41 milliards d’individus sur la planète !

Le célèbre journal médical britannique The Lancet nomme ce phénomène alarmant la pandémie de la douleur (1). En effet, en 2020, c’est une personne sur trois à l’échelle mondiale qui endure une forme de douleur dans sa vie quotidienne. Par rapport à leur précédent recensement, ces données représentent une augmentation de 63 % des cas sur une période de 30 ans ! 

Le mal de dos : champion toutes catégories

Parmi les différentes causes de douleur étudiée par The Lancet, le mal de dos remporte la palme dans 160 pays parmi les 204 analysés dans la recherche. C’est le champion toutes catégories des causes d’invalidité ! Selon le National Institute of Neurological Disorders and Stroke (NINDS), « en 1990, le mal de dos était recensé comme sixième cause d’invalidité aux États-Unis. En 2010, il a grimpé de trois échelons, laissant uniquement les maladies cardiovasculaires et pulmonaires le devancer [traduction libre] ». Chez nos voisins du sud, comme à l’échelle mondiale, force est de constater que le mal de dos gagne du terrain. Pourtant, la colonne vertébrale de l’espèce humaine, à ce que l’on sache, est toujours identique à ce qu’elle était il y a 30 ou 50 ans. Qu’est-ce qui permettrait alors d’expliquer cet accroissement des cas d’invalidités ? Malgré l’accès à des soins de santé de toujours plus grande qualité, pourquoi la douleur continue-t-elle à étendre son emprise depuis les dernières décennies ? 

 

Le principal coupable 

Avant tout, il faut reconnaître que la douleur est un phénomène complexe et que les causes de celle-ci impliquent toujours de nombreux facteurs ayant des répercussions variées. Même si la douleur est vécue de manière universelle par tous les êtres humains, chaque expérience douloureuse a un caractère unique. Cependant, plusieurs experts s’entendent pour dire qu’une des causes principales de cette augmentation est un autre élément qui a augmenté lui aussi à vitesse grand V au cours des dernières décennies. Et cet élément, c’est… la sédentarisation de nos sociétés. 

En effet, les statistiques mondiales nous renseignent que l’être humain bouge de moins en moins. Le nombre de personnes obèses, par exemple, a triplé depuis les 40 dernières années à l’échelle planétaire. En 2016, près de 40 % des adultes de plus de 18 ans étaient en surpoids (2). Au Canada, par exemple, 75 % des Canadiens et Canadiennes n’atteignent pas les cibles minimales de l’Organisation mondiale de la santé en matière d’activité physique, soit environ 20 minutes de marche rapide par jour (Le Devoir, 2019). Et les statistiques sont très pessimistes pour la jeune génération, qui poursuit le processus de sédentarisation. Cette croissance dans l’adoption d’un mode de vie sédentaire n’est pas simple à décoder, puisqu’elle découle de nombreux facteurs tant technologiques que socioculturels. 

Les fausses croyances

L’un des (nombreux) freins à l’activité physique, ce sont de fausses croyances qui ont malheureusement été véhiculées pendant plusieurs années à propos de notre dos et de nos articulations en général et qui sont encore largement répandues. 

Selon le Dr James Rainville, professeur de médecine et de réhabilitation de la Faculté de médecine de l’Université Harvard : « La communauté médicale a trop longtemps mis l’accent sur la prudence et le repos lors d’épisodes de maux de dos. Cette approche relativement récente dans les recommandations était pourtant tout à l’inverse de ce qui avait été enseigné des décennies auparavant [traduction libre] (3). »

Par ailleurs, selon les recherches scientifiques récentes en matière de douleur chronique et de psychologie, la transition de la douleur aiguë vers la douleur persistante (chronique) est connue comme étant catalysée par plusieurs processus psychologiques comprenant les attentes, les attitudes et les croyances envers la douleur (Linton 2011). Autrement dit, si nous adoptons des croyances invalides sur la douleur, ces dernières peuvent nous influencer négativement et nous faire développer des attitudes et des comportements (évitement, peur, anxiété) qui ne feront que renforcer le cercle vicieux de la douleur persistante. Encore plus clairement : si vous êtes convaincu que votre dos est fragile…, il pourrait bien le devenir ! Après tout, la douleur est une alarme automatique qui vise notre propre protection (Butler, 2013). 

Qui plus est, on sait depuis longtemps que les patients qui guérissent le mieux de troubles musculosquelettiques sont ceux qui se gardent actifs physiquement peu de temps après un épisode problématique (Rainville, 2018). Ce n’est pas pour rien que l’exercice physique est la modalité la plus étudiée et dont on dispose des meilleures preuves pour contrer la douleur d’origine musculosquelettique (Babatunde, 2017). 

 

Déconstruire les croyances dépassées à l’aide des données modernes 

Pendant trop longtemps, des croyances pessimistes et trop protectionnistes sur notre dos ont contribué à entretenir la douleur que nous développions. Heureusement, les mentalités sont lentement en train de changer. De plus en plus d’études sont publiées chaque année pour révéler la solidité de notre colonne vertébrale et comment celle-ci dispose des éléments nécessaires pour récupérer, même après de graves traumatismes. L’exercice physique est un catalyseur de la santé vertébrale. Examinons certaines recherches.  

 

La question de l’usure du dos

Une croyance répandue est que nos disques intervertébraux s’useraient plus rapidement plus ils seraient sollicités. Donc, selon celle-ci, plus on ferait d’exercice physique ou on soulèverait de lourds objets, plus les disques se détérioreraient rapidement. Selon les preuves de la littérature disponibles actuellement, cela ne semble pas tout à fait exact ! Une recherche a même examiné la colonne vertébrale de près de 14 000 jumeaux pour tenter d’isoler les facteurs les plus liés à l’usure discale. Les scientifiques sont arrivés à la conclusion suivante :

« La croyance populaire qui présuppose que la dégénération des disques intervertébraux est principalement liée à l’âge et au niveau d’activité physique n’est pas supportée scientifiquement par notre étude » (Battié et coll., 2009). 

Tiens donc ! Voilà qui est très intéressant. D’ailleurs, deux recherches récentes ont aussi montré un effet positif de l’exercice physique sur la santé des disques intervertébraux. Par exemple, les gens pratiquant la course à pied présentaient une hypertrophie des disques intervertébraux de la colonne vertébrale en comparaison avec les sujets sédentaires (Belavy et coll, 2017). Pour simplifier, les disques de leur colonne vertébrale étaient plus robustes que chez les gens moins actifs physiquement! Dans une autre recherche (Bowden et coll. 2016), une relation positive a été démontrée entre la santé des disques intervertébraux vus sur une résonnance magnétique et un niveau plus élevé d’activité physique hebdomadaire. 

 

Pas une machine…, plutôt un écosystème dynamique qui s’adapte

Des résultats similaires sont obtenus pour d’autres articulations, quand on considère la relation exercice / santé articulaire. C’est aussi le cas pour les genoux (Shellock, 1991) et pour les épaules (Keener, 2017). Davantage d’exercice n’amène pas plus de détérioration ni de douleur.

Contrairement au parallèle que l’on entend souvent, notre dos (et le corps humain tout entier, tant qu’à y être) n’est pas comparable à une machine qui s’userait au fil du temps. En réalité, notre organisme est dynamique et en constante adaptation. Nous sommes, en outre, parfaitement outillés pour faire face aux différents stress mécaniques que nous imposons à notre corps par nos mouvements. Toute forme d’exercice physique est un stress ! Mais rappelez-vous que le stress n’est pas nécessairement quelque chose de mauvais. En effet, c’est en récupérant de ce stress graduel et progressif que l’organisme devient une version plus solide, plus forte, plus endurante de lui-même ! « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts », disait Nietzsche. Cela semble aussi vrai pour notre colonne vertébrale que pour l’ensemble de nos articulations.  

Vers une reconceptualisation plus saine de notre dos  

Si nous souhaitons collectivement diminuer l’ampleur de la « pandémie de la douleur », il faut cesser de concevoir notre colonne vertébrale comme quelque chose de fragile qui s’use lorsqu’on l’utilise. Les preuves scientifiques modernes nous montrent qu’au contraire, notre dos est extrêmement résistant. L’exercice physique lui est particulièrement bénéfique. Dans beaucoup de cas, avoir mal au dos ne signifie pas qu’il y a forcément un dommage physique. Une fois les deux ou trois premiers jours d’une crise de mal de dos passés, l’exercice physique est bénéfique pour gérer la douleur et prévenir les récidives dans la grande majorité des situations. Si vous avez besoin d’aide pour votre mal de dos qui traîne, consulter un professionnel peut vous aider à vous guider vers un mode de vie plus actif. C’est le premier pas le plus important, mais le changement commence avant tout dans votre tête !  

 

RÉFÉRENCES : 

(1) Cieza et coll. Global estimates of the need for rehabilitation based on the Global Burden of Disease study 2019: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2019, (décembre 2020)

(2) World Health Organization, https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/obesity-and-overweight#:~:text=Facts%20about%20overweight%20and%20obesity&text=In%202016%2C%2039%25%20of%20adults,tripled%20between%201975%20and%202016.

(3) Harvard Health Publishing, Babying your back may delay healing, https://www.health.harvard.edu/pain/babying-your-back-may-delay-healing, Octobre 2018,

Linton et coll. Impact of psychological factors in the experience of pain, Physical Therapy, Volume 91,  2011.

The Better Clinician Project, https://www.betterclinicianproject.com/blog/10-evidence-based-reasons-you-and-your-patients-should-exercise, (2020)

World Health Organization, https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/obesity-and-overweight#:~:text=Facts%20about%20overweight%20and%20obesity&text=In%202016%2C%2039%25%20of%20adults,tripled%20between%201975%20and%202016.