Vous n’aurez pas un diagnostic de longévité

Publié le 1 juin 2024
Écrit par Eric Simard, docteur en biologie et chercheur

Vous n’aurez pas un diagnostic de longévité

Je suis tombé récemment sur une vidéo de Rhonda Patrick (FoundMyFitness sur FB) où elle explique qu’un index oméga-3 supérieur à 8 % serait relié à 5 ans de plus d’espérance de vie. L’index oméga-3 est la quantité d’oméga-3 qui se trouve dans les membranes des globules rouges de votre sang. Entre 8 et 12 %, cet index correspond à un niveau protecteur d’oméga-3 pour les risques de maladies cardiovasculaires. À un niveau de 4 %, vous êtes considéré à risque élevé de maladies cardiovasculaires dû à un manque d’oméga-3. Au Canada, le taux moyen est de 4,5 % et seulement 2,6 % des Canadiens ont un taux ≥ 8 % (protecteur). Environ 43 % des Canadiens ont un taux ≤ 4 % (risque élevé). Le plus surprenant, c’est que les 2,6 % qui ont un taux protecteur sont des gens qui mangent du poisson et prennent des suppléments. Il est pratiquement impossible d’atteindre ce taux protecteur en mangeant du poisson, même les poissons gras trois fois par semaine, et cela vous rendrait certainement susceptible de contamination par des métaux lourds ou des polluants. Il faut consommer environ 40 mg/kg de notre poids par jour d’oméga-3 (AEP + ADH) et non pas de l’huile de poisson total, pour atteindre ce niveau protecteur.

 

Ne pas évaluer la santé

Pourquoi je parle de cela ? Parce que vous ne serez pas informé par votre médecin ou notre système de santé de cette carence évidente (97 % des Canadiens). Pourtant, ces niveaux bénéfiques d’oméga-3 procureraient cinq ans de plus d’espérance de vie. Cela ne fait simplement pas partie de ce qui peut être relié à des symptômes et donc à un diagnostic. Ici, je veux attirer l’attention sur un problème fondamental qui limite notre capacité à orienter la population vers la longévité en santé : un problème de diagnostic.

À votre rendez-vous médical annuel, si vous n’avez pas de problème de santé qui nécessite des visites plus fréquentes, votre médecin évaluera l’absence de maladie et non pas votre état de santé. Il ne s’agit pas de votre évaluation de santé annuelle ; elle n’est pas évaluée. Les plus importants paramètres qui déterminent votre état de santé, comme le VO2max ou la quantité de graisse abdominale, ne seront pas évalués.

N.B. Si ces paramètres de santé globale vous intéressent, je vous conseille le livre de Jean-Pierre Després, qui est sorti l’automne dernier : La révolution active.

 

Mieux vaut être riche et en santé qu’assuré et malade

Ici, c’est un clin d’œil à un article de Josée Blanchette dans Le Devoir du 8 avril 2022. Elle mentionnait : « Un médecin me racontait récemment qu’un patient lui a répondu qu’il “allait bien” à une question de routine. Elle a fait imprimer sa liste de médicaments : trois pages ! » Vous comprenez que ça ne peut pas bien aller avec trois pages de médicaments, mais ça va bien, on n’a pas d’autres diagnostics à ajouter. Elle me citait un peu plus loin, indiquant : « Il n’est pas possible d’avoir des recommandations de saines habitudes de vie si l’on est en santé, puisqu’aucun diagnostic ne précise les lignes de prise en charge. »

Ainsi, le lien entre les oméga-3 et le titre de mon article est le fait que bien qu’il soit possible d’évaluer certains facteurs de longévité comme l’index oméga-3, vous n’aurez jamais un diagnostic qui va vous inciter à en prendre pour prolonger votre vie de cinq ans.

 

Reste sur le divan, on va te payer la bière

Nous avons développé un système de la maladie (bien que certains insistent pour appeler cela un « système de santé »), qui ne considère que ce qui a été démontré en étude clique contre placébo, applicable à des symptômes. Nous accumulons ainsi au fil des années une quantité impressionnante de données scientifiques sur la longévité et les effets protecteurs des saines habitudes de vie, qui ne peuvent pas être mises en application par le système que nous nous payons nous-mêmes, avec la majorité de nos impôts. Josée Blanchette, dans l’article mentionné précédemment, m’avait aussi cité à la fin, disant : « Malheureusement, il n’y aura pas d’étude clinique où on va dire à quelqu’un : reste sur un divan, on va te payer la bière ! »

C’est bien sûr ridicule, mais c’est aussi ridicule de constater que nous ne sommes pas en mesure d’appliquer ce qui devrait être le plus important : garder les gens en santé. Aussi de cet article : « Il est temps d’arrêter de chercher à optimiser le système de santé et chercher à optimiser la santé de la population. »

 

Conflit d’intérêts

Ici, je dois déclarer un conflit d’intérêts important : j’ai un intérêt, comme payeur de taxes et copropriétaire de notre système de santé, à ce que l’on trouve des moyens pour réduire la demande et non pas seulement augmenter l’accessibilité aux soins.

Jean-Pierre Després, auteur du livre La révolution active, dont je vous ai parlé précédemment, est un chercheur de renommée internationale ayant participé à plus de 800 publications scientifiques. Après 40 ans de recherche, il arrive à la conclusion qu’il doit s’impliquer, jusqu’à la fin de ses jours si c’est nécessaire, pour éviter que toutes ses découvertes extraordinaires sur la santé et la prévention ne restent sur la tablette.

 

Accepter de se dire les vraies choses

Il faut donc se dire les vraies choses et commencer par regarder au début du processus : vous n’aurez pas un diagnostic de longévité, pas plus que des recommandations d’optimisation de votre santé lors de votre rendez-vous annuel. Cela n’est pas prévu dans la réforme actuelle, et je crois qu’il faut complètement repenser notre façon de considérer les soins pour faire une place à la santé intégrative.

Comme vous le savez peut-être, je suis le président de l’Association professionnelle pour la santé intégrative (www.apsisante.org). Personnellement, je me suis toujours refusé de critiquer sans apporter de solution. Eh bien, je crois qu’une partie de la solution peut provenir de la santé intégrative, mais il faudra changer la base du fonctionnement du système pour permettre des recommandations en absence de symptôme et de diagnostic. Il faut même se poser la question « Est-ce que ce sont nos médecins déjà débordés qui devraient faire ces recommandations ? » Nous devrions aussi nous donner comme objectif que si une voie de rétablissement de la santé est possible, elle doit être priorisée et les efforts doivent être consacrés au rétablissement. Actuellement, nous traitons des cas de diabète de type II qui pourraient peut-être être rétablis avec une meilleure qualité de vie, mais nous considérons qu’il n’y a pas de problème, car ils sont contrôlés par des médicaments. Tout va bien.

J’espère qu’au cours des prochaines années nous serons en mesure de valoriser la longévité en santé et de, collectivement, nous offrir la meilleure des énergies renouvelables que notre argent pourrait produire : de la santé.

N’hésitez pas à m’écrire si vous voulez en discuter. www.esimard.com

 

 

RÉFÉRENCES: 

Després, Jean-Pierre, 2023. La révolution active. Les éditions du journal. 253 pages.

Flock et al, 2013. Determinants of erythrocyte omega-3 fatty acid content in response to fish oil supplementation: a dose-response randomized controlled trial. J Am Heart Assoc. 2013 Nov 19;2(6):e000513.

Harris WS, Von Schacky C. 2004. The Omega-3 Index: a new risk factor for death from coronary heart disease? Prev Med. 2004 Jul;39(1):212-20.

Harris WS. 2010. The omega-3 index: clinical utility for therapeutic intervention. Curr Cardiol Rep. 2010 Nov;12(6):503-8.