Publié le 12 septembre 2023
Écrit par Yves Prescott et Louis Lapointe
Si la nourriture de rue répond en partie au besoin de s’alimenter hors de son domicile, il existe aussi un grand nombre de façons d’assurer sa subsistance, lorsque ces ressources improvisées n’existent pas.
La guerre et la chasse
Le souci de voyager avec son garde-manger trouve sa parfaite illustration chez certaines nations d’Amérique du Nord. En effet, lors d’expéditions de chasse, on prenait soin de préparer du pemmican, fait de viande et de baies déshydratées, et dont le liant était un corps gras d’origine animale. Cette recette avait la qualité de ne pas moisir et de se conserver pendant de nombreuses années. Le pemmican a inspiré les rations des soldats britanniques lors de la guerre des Boers ; inventée vers 1899, la préparation est toutefois un peu différente, dans la mesure où on ajoutait de la poudre de cacao. Le pemmican ne doit pas être confondu avec le jerky, dont l’origine remonte à l’espace andin, et non à la Jamaïque ni aux États-Unis.
Les rations produites lors de conflits armés doivent prendre en compte de nombreux facteurs et ne se conforment pas à une seule façon de faire. Lors de sorties d’une journée, on croyait que de simples bonbons feraient l’affaire, en plus d’être faciles à partager entre soldats. En d’autres circonstances, les conserves étaient plus adéquates, et on estime à 3 700 calories l’apport quotidien auquel avait droit chaque soldat.
Au Maroc, on préparait aussi des rations pour les résistants cachés dans le maquis. Les recettes devaient tenir compte de deux facteurs, soit la valeur nutritive des mets et aussi le fait qu’ils occupent un minimum d’espace. Par ailleurs, les femmes chargées de ravitailler les maquisards ne devaient pas attirer l’attention avec des paniers ou des contenants trop volumineux.
Outre les humains, les chiens se sont distingués lors de conflits armés en ravitaillant les militaires en produits frais, en plus d’autres tâches pour lesquelles ils étaient entraînés.
Pèlerinages
Même en temps de paix, la nécessité de préparer des rations peu susceptibles de se gaspiller et faciles à transporter a, depuis longtemps, été une grande préoccupation en Inde, où les pèlerinages ont toujours eu une place d’importance capitale. Avant le développement des transports modernes, au 19e siècle, les denrées les plus prisées étaient celles qui étaient légères et dont la durée de conservation tenait compte des vastes distances à couvrir. Cela explique en partie la cote d’amour pour les sucreries indiennes faites à base de beurre clarifié.
Influence sur la mode vestimentaire
Les pèlerinages sont aussi importants pour les Tibétains, et pour éviter la déshydratation, ils peuvent boire jusqu’à une cinquantaine de petits bols de thé chaque jour. La fabrication du survêtement que portent les Tibétains en tient compte ; une poche intérieure servira à entreposer une tasse de bois léger que l’on sortira au besoin, que ce soit au temple ou lors d’une pause entre parents ou amis.
Pour sa part, le sporran que portent les Écossais, cette pochette portée sur la jupe en tartan, fut créé au 12e siècle. Elle servait, entre autres, à une certaine époque, de réserve d’avoine et d’oignons, puisque ces ingrédients entraient dans la composition d’une sorte de boudin noir pouvant être préparé lorsque les hommes allaient en forêt ou qu’ils gardaient leur troupeau.
Travailler loin de chez soi
Toutes sortes de méthodes ont été mises au point pour assurer le ravitaillement d’individus travaillant au champ ou loin de leur résidence. Un service de livraison de mets préparés s’est installé à Mumbai (Bombay) vers 1890, et ce service, assuré par quelque 5 000 livreurs, a incidemment été sérieusement menacé par la pandémie de COVID-19, dans cette ville de 21 millions d’habitants. Chaque groupe de contenants identifie la personne à qui ils sont destinés, et il semble que les erreurs fassent figure d’exception.
En milieu nordique, l’inukshuk, quant à elle, est cette structure multifonctionnelle pouvant servir de cache pour nourriture ou pour indiquer les endroits les plus propices à la chasse ou à la pêche. Là où le bois est disponible, on a aussi recours à des plateformes surélevées pour décourager les animaux affamés, mais tout en étant accessibles aux êtres humains.
L’épopée nationale polonaise Pan Tadeusz relate le récit d’individus qui, après une chasse à l’ours, dégustent le bigos – devenu plat national. Selon un livre de recettes publié à Varsovie, ce ragoût fait de choucroute, de restes de viande et de prunes est à son meilleur lorsqu’il a été réchauffé trois fois. Il est donc tout indiqué pour la survie en forêt.
Le nomadisme
Selon une certaine théorie, le fromage caciocavallo doit son origine aux nomades qui mettaient du lait de jument dans des contenants situés de part et d’autre de leur selle ; l’incessant mouvement de va-et-vient accélérait la fermentation : ainsi serait né ce fromage, aussi connu sous le nom de kashkaval. Cette théorie ne fait cependant pas l’unanimité.
Comme le fromage nécessite un climat tempéré, le lait de vache et de zébu, consommé par les nomades d’Afrique subsaharienne, est transporté dans des gourdes faites à partir d’une courge séchée. On notera que si le lait constitue l’aliment essentiel et fondamental de certaines sociétés nomades, plusieurs peuples d’Afrique accusent une forte intolérante au lactose. En Asie Mineure, le yogourt séché au soleil s’accommode bien de ce mode de vie de plus en plus rare.
Au Québec
Le développement de certaines parties du Québec est imputable à la récolte forestière, et il semble que les camps de bûcheron offraient une nourriture plus que satisfaisante aux individus contraints de s’exiler pendant la saison hivernale. La réputation d’un cuisinier pouvait attirer des travailleurs vers un site en particulier ; si les compagnies forestières n’avaient pas le droit de chasser et de pêcher, le lard salé était à l’honneur et on compensait par la création d’une pléthore de desserts préparés par des hommes et des femmes capables de tirer parti des ressources disponibles.
Conclusion
Même les voyages dans l’espace ont aussi leurs traditions ; on dit que les cosmonautes russes préfèrent les plats réchauffés, alors que les astronautes américains se contentent de plats déshydratés à froid. Pour les randonnées plus terre à terre, rien de tel qu’une barre tendre…