Publié le 8 juin 2020
Écrit par Gabriel Parent-Leblanc, B. Sc., M. Env.
Alors que l’heure est à l’urgence climatique, la consommation de produits pétroliers ne cesse d’augmenter au Québec…
Effectivement, en 2018, le Québec consommait 10 % plus de produits pétroliers qu’en 2013 (consommation quotidienne de 365 000 barils). Pour la même période, en ce qui concerne l’essence seulement, on parle d’un bond considérable de 24 %… Cette fâcheuse tendance n’a rien de nouveau, puisqu’il se consommait, en 2018, 22 % plus de produits pétroliers raffinés et 47 % plus d’essence, si on compare aux niveaux de 1990. Si la tendance se maintient, « les ventes totales de produits pétroliers en 2030 seront 32 % plus élevées qu’en 2013 », alors que la Politique énergétique 2030 du Québec prévoit une réduction de 40 % pour les mêmes dates (Whitmore et Pineau, 2020).
A priori, il serait logique de se demander : mais comment est-ce que cela est possible !? On voit toujours le Québec comme une province verte, où l’utilisation massive de son hydroélectricité lui permet d’abaisser son empreinte écologique et où les gens sont consciencieux… Qui plus est, dans les dernières décennies, beaucoup d’efforts ont été mis en branle pour diminuer notre dépendance aux énergies fossiles, dont l’implantation de nouvelles technologies en efficacité énergétique dans presque tous les secteurs manufacturiers, l’électrification des transports, le marché du carbone, et bien plus encore…
C’est une tendance particulièrement inquiétante et dangereuse, considérant que selon le dernier rapport de 2018 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), pour rester sous le seuil critique du réchauffement de la planète (+1,5 °C), l’humanité devra réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 50 % d’ici 2030 et être carboneutre d’ici 2050 (Shields, 2020, et McGrath, 2019).
Réduire de 50 % les émissions de GES du Québec représenterait des émissions annuelles d’environ 40 millions de tonnes, alors que les engagements actuels du gouvernement (réduction de 37,5 % en 2030 par rapport à 1990) nous amèneraient plutôt à 54 millions de tonnes. Mais cela demeure un but ; et sans plan d’action, les résultats se font toujours attendre. Effectivement, jusqu’à maintenant, nous avons réussi à réduire nos émissions de GES de seulement 9 %, toujours en comparaison aux émissions de 1990 (Shields, 2020). Neuf maigres pour cent. Cette donnée devient moins étonnante en connaissant mieux la problématique de notre dépendance aux produits pétroliers…
Bien souvent, les problématiques environnementales sont complexes et les causes multifactorielles, mais dans le présent cas, le coupable est facile à identifier ; il s’agit de l’explosion des ventes de véhicules plus gourmands en essence.
En effet, depuis quelques années, le marché de l’automobile s’est transformé : les gens achètent de plus en plus de camions (une catégorie comprenant les minifourgonnettes, les véhicules utilitaires sport (VUS) et les camionnettes) et moins d’automobiles. Depuis 2012, la vente de camions a augmenté de 61 %, alors que les ventes d’automobiles ont diminué de 31 % (Whitmore et Pineau, 2020). La figure 1 illustre bien la tendance.
Fait à noter, les ventes de camions ont tellement augmenté que depuis 2015, il se vend plus de camions que de voitures au Québec. Et les données disponibles nous montrent que cette tendance est loin de se calmer… Quand un grand fabricant comme Ford abandonne la production de petits véhicules pour concentrer l’essentiel de sa production vers les VUS et les camionnettes, ça nous en dit gros sur les tendances du marché… (La Presse canadienne, 2018).
Figure 1 : Évolution des ventes de véhicules au Québec entre 1990 et 2018 (tiré de Whitmore et Pineau, 2020).
Ils sont partout : les VUS se vendent comme des petits pains chauds et participent activement aux tendances de vente actuelles. « Plus gros, plus puissants, plus sécuritaires, plus sexy, plus utilitaires… ». Vous avez assurément, comme moi, vu les publicités des fabricants vantant les attraits de ces véhicules.
Mais saviez-vous qu’ils consomment en moyenne 25 % plus de carburant qu’une voiture de taille moyenne (Collen, 2019) ?
Saviez-vous aussi que les fabricants font en moyenne 20 % plus de marge de profit avec ces véhicules en comparaison avec les berlines (Dupont-Calbo, 2018) ?
Il n’est donc pas surprenant de voir que « les sommes payées en 2018 [au Québec] pour tous ces camions (13 G$) correspondent ainsi à plus du double de celles qui sont consacrées aux voitures (4,9 G$) » (Whitmore et Pineau, 2020).
Finalement, et celle-là, c’est la meilleure… Saviez-vous que l’augmentation des ventes de VUS à l’échelle mondiale est venue annuler l’impact positif qu’ont les voitures électriques ? En augmentant la consommation de pétrole pour le secteur de l’automobile de 15 %, « l’impact négatif des SUV a été cinq fois plus important que l’impact positif des voitures électriques [entre 2010 et 2018 mondialement] » (Collen, 2019).
Vous le réalisez en lisant ces données, nous allons dans le mauvais sens et il serait impératif que les choses changent dans le contexte climatique actuel.
La première chose à envisager serait de bien réfléchir à vos choix de consommation par rapport à vos besoins. Loin de moi l’envie de vous dire quoi faire, mais je crois qu’il est très clair que tout le monde n’a pas besoin de posséder un camion, une fourgonnette ou un VUS. En ces temps hors du commun face à la pandémie, peut-être avez-vous justement déjà eu la chance de réévaluer vos besoins en termes de déplacement. Si vous êtes passé au mode télétravail pendant le confinement, il est clair que l’achat et l’utilisation d’un camion deviennent très peu nécessaires. Même chose si vous avez perdu votre emploi et que vous avez plus de temps pour vous déplacer à pied ou en vélo pour faire les courses par exemple… Sans compter le fait que si vos revenus ont été impactés par la covid-19, le budget réservé à l’achat ou la location d’un camion, beaucoup plus cher qu’une voiture, pourrait être un pensez-y-bien.
Dans le cas contraire, comme il est impossible et tout simplement non éthique de forcer un choix de consommation, certains pensent que des effets dissuasifs seraient la seule solution pour essayer d’enrayer la problématique, ou du moins de l’atténuer.
Plusieurs idées ont été avancées au cours des dernières années pour essayer de ralentir la vente de véhicules polluants, dont la proposition d’interdire leur publicité (un peu comme la cigarette) ou de payer plus cher pour leur stationnement (ce que l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal a mis en branle en 2019).
Je crois cependant que la meilleure avenue est celle qui est proposée par un front commun d’organismes environnementaux : Équiterre, Vivre en ville et la Fondation David Suzuki (en partenariat avec l’Association des véhicules électriques du Québec). L’idée est simple : il s’agit d’y aller avec un système d’écofiscalité des transports qui mettrait en place « un système fait de redevances et de remises. Le principe ferait qu’à l’achat ou à l’immatriculation, le propriétaire d’un véhicule énergivore paierait une redevance qui servirait ensuite à soutenir le choix de véhicules zéro émission (VZE) » (Baillargeon, 2020).
C’est une méthode également qualifiée de « bonus-malus ». En ce moment, les gouvernements n’utilisent que le « bonus » (subventions aux voitures électriques), et non le « malus » (redevances pour les véhicules polluants). Le groupe d’organismes pense qu’un tel programme pourrait s’autofinancer, ce qui me semble bien plus économiquement responsable que la gestion actuelle.
Les quatre organismes ont d’ailleurs publié les résultats d’un sondage en lien avec ces mesures, et il semble que l’opinion publique voit généralement d’un bon œil ces propositions :
« Près de 8 Québécois sur 10 (78 %) se disent favorables à « différentes mesures fiscales » pour encourager l’usage de véhicules moins polluants ».
La proportion tombe à un peu plus de 1 personne sur 2 (55 %), quand on envisage d’instaurer une nouvelle taxe pour décourager les véhicules décrits comme « polluants et nuisibles à la lutte contre les changements climatiques » (Baillargeon, 2020).
Les résultats complets du sondage sont disponibles à l’adresse suivante : http://equiterre.org/sites/fichiers/12987-014_rapport_equiterre_1.pdf
Bref, on fonce tout droit vers le mur de l’inaction climatique, et au lieu d’imaginer une façon de s’en sortir, on troque notre voiture pour un VUS et on appuie sur l’accélérateur en multipliant nos besoins en essence. On devrait consommer de moins en moins de combustibles fossiles pour essayer d’amoindrir les conséquences du réchauffement climatique, mais c’est carrément le contraire qui se produit en raison de cette nouvelle mode des véhicules toujours plus gros et puissants. Je rappelle que si la tendance se maintient, le Québec consommera, en 2030, 32 % plus de produits pétroliers qu’en 2013…, alors que la science nous dit que l’humanité doit réduire ses émissions de GES de 50 % pour la même date si on veut espérer atténuer le pire des effets du réchauffement climatique ! Il est donc aisé de constater que l’inversion de cette tendance serait non seulement souhaitable, mais capitale. Seriez-vous en faveur d’un système d’écofiscalité des transports, qui appliquerait des redevances à l’achat de véhicules plus polluants et des remises à l’achat de véhicules moins gourmands ?
RÉFÉRENCES
Baillargeon, S. (2020). Les Québécois favorables à l’écofiscalité des transports. Le Devoir. [En ligne] https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/572652/huit-quebecois-sur-dix-en-faveur-de-taxes-pour-encourager-l-utilisation-de-vehicules-plus-verts (Page consultée le 5 mars 2020).
Collen, V. (2019). CO2 : le succès des SUV annule l’impact positif des voitures électriques. Les Echos. [En ligne] https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/co2-le-succes-des-suv-annule-limpact-positif-des-voitures-electriques-1147463 (Page consultée le 4 mars 2020).
Dupont-Calbo, J. (2019). Les SUV, la cash machine de l’industrie automobile. Les Echos. [En ligne] https://www.lesechos.fr/2018/03/les-suv-la-cash-machine-de-lindustrie-automobile-987649 (Page consultée le 4 mars 2020).
Feitz, A. (2019). SUV : pourquoi tant de haine ?. Les Echos. [En ligne] https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/suv-pourquoi-tant-de-haine-1156825 (Page consultée le 5 mars 2020).
La Presse canadienne. (2018). Ford abandonne plusieurs modèles de voitures pour devenir plus compétitif. Radio-Canada. [En ligne] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1097432/ford-abandon-plusieurs-modeles-voitures-devenir-competitif (Page consultée le 4 mars 2020).
McGrath, M. (2019). Climate change: 12 years to save the planet? Make that 18 months. BBC News. [En ligne] https://www.bbc.com/news/science-environment-48964736 (Page consultée le 4 mars 2020).
Shields, A. (2020). Québec n’a pas l’intention de suivre les recommandations du GIEC. Le Devoir. [En ligne] https://www.ledevoir.com/societe/environnement/572313/climat-pas-question-de-s-aligner-sur-les-recommandations-du-giec-affirme-benoit-charette (Page consultée le 5 mars 2020).
Whitmore, J. et P.-O. Pineau, 2020. État de l’énergie au Québec 2020, Chaire de gestion du secteur de l’énergie, HEC Montréal, préparé pour Transition énergétique Québec, Montréal.