Publié le 30 décembre 2023
Écrit par Par Gabriel Parent-Leblanc, B. Sc., M. Env.
Une récente étude de l’IRIS (Institut de recherche et d’informations socio-économiques) révèle que la couverture des besoins de base au Québec (logement, alimentation, transport, etc.) dépasse du double les seuils écologiques proposés dans la littérature scientifique.
Cette surprenante conclusion a été obtenue en quantifiant l’empreinte matérielle d’une famille québécoise vivant avec un faible revenu. Sans aucun luxe, que pour leurs besoins de base, leur consommation de biens et services requiert plus de deux fois ce que la planète peut offrir de manière durable. Cet inquiétant constat est lourd de conséquences : « la stricte consommation vitale au Québec n’est pas viable sur le plan écologique ».
Comment est-ce que cela peut être possible ?
La réponse courte est résumée comme suit dans l’étude :
« Les systèmes de production actuels et leur logique dominante s’opposent à une planification écologique et démocratique de l’économie. Le système économique qui structure la consommation et la production est le fait de décisions privées en vue de l’atteinte d’un profit maximal ».
C’est donc dire que le système en place est tellement tordu que les choix qui ont été faits pour vous en amont dans le système de production (comme les méthodes d’extraction ou de culture, l’emballage et le transport) viennent contrebalancer une bonne partie des efforts que vous pourriez faire pour avoir le moins d’impact possible.
Dans ce qui va suivre, nous allons plutôt nous pencher sur la réponse longue, soit les données de cette fascinante étude, et explorer des pistes de solution.
Le double, vraiment ?
Ce qui est intéressant avec cette étude, c’est qu’elle quantifie l’empreinte matérielle, un concept relativement méconnu. L’empreinte matérielle représente « la somme des matières impliquée dans la production et la consommation d’un bien ou d’un service donné » en tonnes métriques. Par exemple, lorsque vous achetez un hamburger pour emporter dans un restaurant, l’empreinte matérielle comprend toute la matière utilisée pour la culture de tous les aliments présents, leur transformation, la création des différents emballages, le transport impliqué, etc. Ce n’est qu’un hamburger, mais en y pensant, vous comprendrez qu’une petite montagne de matériel a été utilisée, puis gaspillée, pour se rendre du champ à votre estomac.
Pour être viable sur le plan écologique, la quantité annuelle de ressources par habitant ne devrait pas dépasser 8 tonnes métriques.
Le tableau suivant, provenant de l’étude, résume toutes les données associées aux différents besoins de base.
Analysons le tout. Tout d’abord, vous constaterez que le poids physique des produits (en kilogrammes [kg]) et l’empreinte matérielle totale (en tonnes) sont différents pour chacune des catégories. C’est normal et ça explique avec merveille le concept de l’empreinte matérielle. Prenons la catégorie des vêtements, par exemple : la personne type ayant un faible revenu achètera près de 20 kg de vêtements, mais toute la matière requise pour produire ces vêtements représente plutôt 590 kg ! Même chose pour l’alimentation : le poids des aliments que cette personne consommera en une année est de 742,21 kg, mais cela représente une énorme empreinte de 4 360 kg en considérant la culture, la transformation, le transport, l’emballage, etc.
Il est aussi aisé de constater que le transport est le secteur de consommation ayant la plus grande empreinte matérielle et qu’elle varie en fonction du lieu. Celle-ci est plus basse dans les régions où le transport en commun est bien organisé et plus élevée dans les régions rurales où le véhicule individuel est pratiquement requis tant le transport en commun est sous-développé et où tout est loin.
On arrive donc à un total de 16,47 à 19,47 tonnes de matière, soit plus du double du seuil durable.
Je tiens à rappeler que ces données sont pour une personne à faible revenu, pour couvrir ses besoins de base seulement, sans aucun luxe. La base d’évaluation de chacune des catégories a été la Mesure du panier de consommation (MPC), un indicateur de Statistiques Canada. L’étude note que « les biens et les services contenus dans le panier de la MPC constituent un minimum vital et ne permettent pas une sortie de la pauvreté ».
Un système à revoir si l’on veut survivre en tant qu’espèce
Je n’arrive pas à trouver de mots assez forts pour qualifier la situation. Je suis abasourdie par ces données, pour être honnête ! Qu’une personne en situation de pauvreté, arrivant à peine à subvenir à ses besoins de base, consomme deux fois trop de ressources pour que ça soit durable et équitable… C’est triste, désolant et ironique.
À la lumière de ces faits, vous conviendrez donc que les petits gestes individuels ne suffisent plus. Oublions le recyclage, le pipi sous la douche, le fait d’éteindre les lumières, etc. Les changements se doivent d’être structuraux, et les systèmes doivent être repensés pour prioriser la santé des gens et la pérennité des écosystèmes plutôt que les profits économiques immédiats.
Les auteurs de l’étude proposent plusieurs mesures (surtout réglementaires) qui pourraient améliorer la situation :
Excusez mon cynisme, mais je n’ai aucune confiance à nos deux paliers de gouvernance pour nous mener à une réforme de ce système, car les intérêts financiers ont pratiquement toujours plus de poids que tout le reste.
Dans ce contexte et face à ces grands défis, j’ai le goût de vous partager cette citation de l’anthropologue américaine Margaret Mead : « ne doutez jamais qu’un petit groupe d’individus réfléchis et engagés puisse changer le monde. C’est toujours par eux que le changement arrive ».
Voici donc quelques pistes à contresens pour vous aider à faire une vraie différence :
Bref, l’étude de l’IRIS démontre que même les besoins de base des personnes les plus pauvres au Québec dépassent le seuil d’une consommation matérielle durable. Autant dire que nos meilleurs efforts pour diminuer notre empreinte écologique sont la plupart du temps contrecarrés par un système de production capitaliste et mondialiste hors de contrôle. Il faut se rappeler que ces systèmes sont globalement conçus avec un but bien précis : le profit monétaire à court terme. Pratiquement rien n’est mis en place pour être durable ou équitable. On n’a qu’à penser à l’obsolescence programmée, aux objets en plastique à usage unique ou à la mondialisation des chaînes de production… Que faire devant ce triste constat ? Pour moi, c’est très clair, les petits gestes ne suffisent plus et ce n’est pas le gouvernement qui va réussir à agir pour régler cette crise excessivement complexe. La meilleure chose à faire, individuellement, est de dépendre le moins possible de ce système malsain, et cela passe par la décroissance conviviale et la simplicité volontaire. Un autre monde est possible, il s’agit d’être assez nombreux, conscients et connectés pour être le « petit groupe de personnes » de Margaret Mead !
Lectures et visionnements pour en apprendre davantage sur le sujet :
L’empreinte matérielle de la couverture des besoins de base au Québec
Introduction à la décroissance soutenable
La simplicité volontaire, plus que jamais…
RÉFÉRENCES :
Institut de recherche et d’informations socio-économiques. (2023). L’empreinte matérielle de la couverture des besoins de base au Québec. [En ligne] https://iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2023/05/Ecopaniers-WEB.pdf (Page consultée le 6 septembre 2023).
McEvoy, J. (2022). Niveau d’endettement : les indicateurs déjà au rouge avant une autre hausse des taux. Le Journal de Montréal. [En ligne] https://www.journaldemontreal.com/2022/09/07/les-indicateurs-deja-au-rouge-avant-une-autre-hausse-des-taux (Page consultée le 6 septembre 2023).
[1] Données de 2016. Le contexte particulièrement difficile des dernières années a fait augmenter ce montant à 21 128 $ en 2022 (McEvoy, 2022).